Au moment du grand bilan, à la fois de l’an 2019 et de la décennie, il faut bien admettre que le premier album du groupe emmené par Alexis Fugain pointe loin derrière Eddy de Pretto et autres Flavien Berger et Papooz. Sans véritable équivalent sur le territoire, à moins qu’on ne tente un parallèle avec Aquaserge en version versaillaise, Biche avait pourtant de solides arguments pour ceux inconsciemment biberonnés aux harmonies les plus enlevées de Paul, John & George.

Pas sûr que Bertrand Burgalat, en composant voilà près de 20 ans son premier album « The Sssound of Mmmusic », aurait pensé qu’il influencerait autant une bande de jeunes Franciliens dont l’un, fils de Michel Fugain. Il existe pourtant un parallèle évident, dès la première note. A ceux qui, au début des années 2000, redécouvrait le plaisir d’entendre de belles choses racontées en français avec une basse bien coiffée en avant, « La nuit des Perséides » répond, coup pour coup, avec un soin méticuleux. Le chant de Fugain Jr est lent, trainant ; à l’image de l’album qui a mis 6 ans à être pondu. Et l’on se dit que, franchement, la comparaison avec Tame Impala, qui leur a longtemps collé aux basques, n’a plus vraiment lieu d’être.


Alors que, comme on l’a souvent écrit, il y a un avant et un après « Lonerism » ; quelque chose qui relève autant de la trahison que de l’ouverture au grand public, Biche semble avoir pris la tangente inverse. Il y a d’abord cette pochette indéniablement un peu ratée, et puis ce titre d’album un peu obscur aux mélomanes qui ne voient plus désormais les disques en 10 pixels sur 10 sur leur player Spotify. Plus qu’une posture élitiste consistant à s’éloigner du plus grand nombre, Biche a tout simplement fait le pari de l’efficacité sans fanfare. Un pari risqué qui les éloigne à court terme des top 10 de fin d’année (mais qui les lit ?) mais qui pourrait s’avérer gagnant sur la longueur si tant est qu’un Jul mutant de 20 mètres de haut ne ratiboise les plus grandes villes françaises avec un scooter nucléaire à pot tuné. Bon, on s’égare un peu mais c’est un bon résumé du combat inégal entre la musique populaire actuelle et le combat d’arrière-garde mené par quelques irréductibles zazous, persuadé qu’on peut encore faire chavirer des âmes avec des musiques enregistrées sans sample sur Logic, avec de vrais instruments dans un studio.

Dans le titre de ce papier est utilisé le terme « psychédélique », un mot passe-plat, passe-partout depuis que tout le monde a un avis sur la question. Oui, c’est vrai : Biche est moins psyché que ton aptitude à prendre des drogues en écoutant des disques de merde faussement mixés en stéréo spatiale, mais il y a des cordes. Pas comme celle de Ian Curis, hein, on précise. Plutôt comme celles du « Revolver » des Beatles, avec le souci d’une production maniaque par Alexis Fugain, dont une grande partie en mid-tempo (autant dire que pour ton overdose et ton entrée glorieuse dans le club des 27, il faudra tout passer en accéléré). C’est peut-être ça, d’ailleurs, qui a fait que cette « Nuit des Perséides » a pour l’instant raté le coche ; à rebours de l’époque, ces jeunes gens aux goûts de vieux n’ont pas réussi à viser correctement le cœur de vieux qui jouent à avoir des goûts de jeune. Drôle d’époque où la biche devient chasseuse, et où le public rate connement des chœurs de toute beauté (comme sur L’essor, qui rappelle en ultra filigrane les harmonies de tête des Beatles sur Because).

Tout cela reste, pour minimiser la micro-injustice qui nous occupe, de bon augure. Déjà car les membres de Biche ont assez d’idées à revendre pour combler les trous de mémoire de la nouvelle scène française ; par exemple le groupe parallèle d’Alexis Croisé avec Mottomoda (très bon EP à écouter ici). Ensuite parce que le temps fait souvent bien les choses ; et qu’on s’amusera de noter qu’il aura fallu presque 40 ans pour découvrir que Michel Fugain avait enregistré un concept album de jazz funk en hommage à Israël (et que son propre fils n’était même pas au courant). Enfin parce que le secret de l’album était depuis le départ contenu dans son nom ; les Perséides désignent une pluie de météores visibles à l’œil nu quand elles traversent l’atmosphère terrestre. La France devrait être prête pour le prochain passage.

Biche // La nuit des Perséides // Banquise Records

 

11 commentaires

  1. Merci Bester
    pour ce nouvel épisode d’  » Une Nuit au Musée »
    ou quand les jeunes font de la musique de vieux.
    Et remplacé mou par mid-tempo c’est subtil mais c’est efficace, du vrai journaliste quoi.

Répondre à ces petites moustaches... Annuler la réponse

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

*
*

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.

partages