Qu'est-ce que le Fan’Art en 2013 ? Lorsque le sujet m’a été proposé, je me suis demandé « pourquoi moi ? Ai-je une aura de groupie paumée ? D’artiste ratée ? De no-life emo ? » Une mise au point s’est imposée — et pas forcément sur les plus belles images de ma vie. Magnéto…

En plein âge ingrat, Miss Star Club, OK Podium et consorts m’abreuvaient de ces portraits de pop-stars en noir et blanc. Je me délectais de ces petites horreurs esprit fusain. Les sentiments dégoulinaient de la page en éclaboussant la rubrique « courrier du cœur » qui faisait face. De ce que je pouvais en voir, le phénomène touchait les jeunes filles en fleur trop sensibles pour avoir une vie sociale, libres de mettre à profit leur session hebdomadaire d’éveil artistique.
A 29 ans, Fan’Art (ou fanart) est une expression que je ne connais plus. Ou plutôt, la discipline représente quelque chose d’un peu honteux — à l’image de ces lettres d’amour que je me félicite de ne jamais avoir envoyées. Engluée dans mes réflexions, me viennent à l’esprit les représentations 3D d’icônes tirées de jeux vidéo créées par celui qui partage mes pizzas le soir. Plus gênants, remontent à la surface ces collages-hommages à l’univers de Tori Amos réalisés par mes soins quelques années en arrière. L’étau se resserre, me voilà contrainte à creuser. Et si je suis directement touchée par le phénomène, peut-être l’êtes-vous aussi ?

Première surprise, en 15 ans les sujets de ces productions ont peu évolué : artistes à l’univers tordu, fictions et jeux vidéo. Une seule règle : plus l’univers est fantasmagorique, plus il appelle à une créativité débordante. Mais lorsque nous sommes confrontés à ceux qui matérialisent leur passion par des projets artistiques, la distance s’installe. Manque de fantaisie aidant, l’univers du fan’art redevient terra incognita.

Qui sont les victimes du Fanartisme ?

« C’est Koyuki de Beck, je l’ai fait en 3h29. ». Je ne sais pas qui est Koyuki et la nature de ses relations avec l’interprète de Loser m’importe peu. Par contre, le fait que son portrait ait été réalisé en 3h29 précises me laisse songeuse. Pour celui qui ne partage pas sa passion, le fan est porté par un engouement impénétrable. Et ce, même si des enquêtes sociologiques tentent régulièrement d’analyser le malaise : que celui qui n’a pas jamais vu un Confessions Intimes évoquant les difficultés d’un fan de Johnny à faire accepter sa dévotion au reste de la société lève la main. Et parce qu’à mon époque, les seules fantaisies digitales concevables étaient d’écrire « ELLE BESE » à l’envers sur sa calculatrice, le fanartiste de 2013 n’est pas tout à fait celui de mon adolescence. Aujourd’hui, les fans n’hésitent pas à troquer leur crayon gris contre divers logiciels ouvrant les portes de la création numérique.

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Au-delà du fait que la toile est un lieu de partage théoriquement sans borne, la nouvelle ère du fanart trouve sa spécificité dans l’interactivité 2.0. A côté de sites comme behance ou 4chan, deviantART reste le principal lieu d’expression et d’échange de la communauté. Le site invite ses membres à échanger, voire à participer à des créations collaboratives, telle que la réalisation d’une fresque consacrée à Mario Kart rassemblant une quarantaine d’entre eux. Fan-fictions que Michel Gondry ne saurait renier ou clip musicaux, le web permet en outre la prolifération de vidéos sur les sites de partage. Internet permet également aux artistes d’échanger sur leurs créations. Le problème est que ces critiques de fan à fan ne sont pas toujours propices à la remise en cause de la qualité d’un travail : « Cet artwork (…) est vraiment à part de tous ceux que l’on pourrait trouver sur internet. Le fond [a] beau être simple, cela la met grandement en valeur, ainsi que le blond platine, ce qui la rajeunit fortement. »

Hier au Japon (demain sur la page Facebook de ta mère)

En se penchant sur les origines du phénomène, on arrive quasi-instantanément au Japon, patrie des mangas/animes qui inspirent l’essentiel des fanarts. Historiquement, les artistes japonais entretiennent une relation forte avec leurs admirateurs. Il y a quatre décennies, le pays inventait le fan service, cette pratique qui consiste à satisfaire l’imaginaire érotique du public en l’abreuvant d’images explicites, hommage à l’anatomie et/ou à l’hypothétique vie sexuelle de ses idoles fictives. En parallèle de la pratique du Cosplay qui consiste à recréer le costume de son idole et à l’exhiber lors de conventions, le Furry Fandom permet aux groupies les plus perturbées de représenter leurs idoles sous les traits d’un petit animal sexy [sic].

Comme souvent au Japon, la demi-mesure n’a pas sa place et la groupie se doit de faire preuve de dévotion. Certains s’essayent donc à la rédaction de doujinshi, ces mangas amateurs dérivés de fictions existantes, vendus sous le manteau. Depuis le début des 80’s, le Pays du Soleil Levant est par ailleurs très friands des MADs, ces montages vidéo souvent parodiques aujourd’hui largement partagés sur le YouTube japonais, Nico Nico Douga.

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Enfin, depuis quelques années, les systèmes d’exploitation informatiques ont droit à leur OS-tan. Ces personnifications réalisées par des amateurs sont supposées représenter les caractéristiques techniques propres à chaque OS. Comme dans un épisode d’Amour, Gloire et Beauté, ces personnages.

Un marché aux 50 nuances

Parce que la marge se doit, tôt ou tard, d’être récupérée par le système, la professionnalisation est une tendance sérieuse du fanart ; même si du point de vue de la qualité, la diversité domine, allant de la caricature involontaire — majoritaire mais assez peu mise en avant par la communauté — jusqu’aux réalisations d’artistes confirmés. Des illustrateurs tels que Ron Salas ou l’artiste Mark Ryden qui a réalisé de nombreuses peintures inspirées de la pop culture (notamment la série Buffy contre les Vampires, Leonardo Di Caprio ou Christina Ricci) participent à une professionnalisation de l’exercice. Et il n’y a finalement qu’un pas à franchir pour affirmer qu’avec ses portraits de Marylin, de Liz ou de Jackie, Andy Warhol s’est appliqué à devenir le premier fanartiste bankable.

Pourtant partout où règne le copyright, le Fan’art et son commerce sont, par principe, hors-la-loi. En France, le droit d’auteur est régi par le code de la propriété intellectuelle qui prévoit notamment dans son article L123-1 que « l’auteur jouit du droit exclusif d’exploiter son œuvre sous quelque forme que ce soit et d’en tirer un profit pécuniaire. » Mais s’il y a une règle, c’est que l’exception n’est pas loin. Il suffira donc de se prévaloir du droit de caricature ou de suffisamment déguiser le dérivé pour qu’il puisse en toute légalité devenir source de revenus. Exemple éloquent — et un brin désespérant — aux plus de 65 millions d’exemplaires écoulés : 50 Shades of Grey d’E. L. James. L’essence de la trilogie est née de la rédaction d’une fiction érotique inspirée de la relation entre les deux héros de la série Twilight, Bella Swan et Edward Cullen. La quadragénaire britannique, soucieuse de satisfaire les fans souffrant de la pruderie du couple, partagea par bribes ses scénarios sur un forum. Réalisant la portée quasi-universelle de ses fantasmes, il ne resta plus à James qu’à changer l’identité de ses héros pour mieux les laisser batifoler dans un autre espace-temps.

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L’autre alternative sera de récupérer du commercial pour en faire du gratuit. Du point de vue des originaux, la démarche, quand elle se borne à des hommages de qualité et désintéressés, est accueillie de plus en plus chaudement. Les comptes créés sur les réseaux sociaux par des séries comme Les revenants , Girls ou encore par des jeux vidéo tel qu’Angry Birds mettent en avant des créations qui montrent à la fois l’engouement et la créativité de leurs admirateurs. Dans les réunions de dir’com on parle avec des étoiles dans les yeux de User Generated Content et des mastodontes tels que Radiohead initient eux-mêmes des créations qui permettent de revendiquer une proximité avec des fans un peu plus cool que les tiens.

Le DIY, c’est chic

Passés 15 ans, le fan est par nature inquiétant et, du fait d’une disposition à faire étalage de ses failles psychiques, le fan créatif l’est d’autant plus.
Mais grâce au développement du web 2.0, couplé à l’accès du grand public à du matériel de professionnels, être un névrosé créatif n’a jamais été aussi fédérateur. Les nouvelles technologies vous y invitent : il est temps de sortir du placard et de partager worldwide cette VHS du clip qui a animé vos repas de familles entre 1989 et 1995 : Je te survivrai comme un ouragan. Sentant le vent tourner, j’ai moi-même entamé l’exhumation de mes collages-hommages pour faire fortune sur eBay.

2 commentaires

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