Considéré courant 2000's comme l'un des pays européens les plus prospères, l'Islande a littéralement vu son économie exploser en novembre 2008, la faute à des placements foireux. A l'occasion de ce reportage au long cours, j'ai eu le plaisir de rencontrer Kristján, un mec batteur dans un groupe local sobrement nommé Reykjavik!, surtout connu pour être manager du label indépendant Kimi Records.

L’Islande a connu l’horreur. Considéré courant 2000’s comme l’un des pays européens les plus prospères, ce caillou situé tout au nord du globe a littéralement vu son économie exploser en novembre 2008, la faute à des placements foireux, des banquiers peu scrupuleux et aussi une population avide de paraitre plus blindée qu’elle ne l’était réellement. Deux ans après un krach économique et social sans précédent, je me suis rendu en ces derniers jours de juin à la rencontre de cette jeunesse qui apprend à se réinventer et semble avoir intégré qu’être pété de pognon est loin d’être une fin en soi.

A l’occasion de ce reportage au long cours, j’ai eu le plaisir de rencontrer Kristján, un mec batteur dans un groupe local sobrement nommé Reykjavik!, surtout connu pour être manager du label indépendant Kimi Records. Un label qui peut se targuer de quelques signatures pas forcément inconnues comme FM Belfast, Hjaltalín, Kimono ou encore Sudden Weather Change. L’occasion de parler de crise économique d’une part, de crise industrielle d’autre part et puis de Pampers un peu aussi, un lundi au soleil à Reykjavik.

Il se passe des trucs musicalement aujourd’hui, en Islande?

Oui, il se passe énormément de choses aujourd’hui sur la scène musicale islandaise. On trouve une diversité artistique assez impressionnante allant du jazz au heavy-metal avec tout ce que l’on peut imaginer entre deux. Enormément de jeunes gens bourrés de talent jouent de la musique, souvent plusieurs instruments, et font des trucs vraiment cools. Honnêtement, on est super chanceux avec notre musique.

Et les choses ont changé de manière positive, depuis la crise?

Ouais, les choses ont vraiment changé, mais dans le bon sens. Les gens apprécient carrément plus notre boulot et sortent plus dans les concerts par exemple. Ils supportent tous nos artistes et pas uniquement les musiciens. La population semble plus impliquée et c’est un phénomène qui s’applique à tous les domaines artistiques.

Justement, la musique a t-elle été utilisée comme une arme de protestation au cours des deux dernières années? J’entends par là, les artistes ont-ils utilisé leur chansons pour faire part de revendications ou partager leur ressenti à propos de la crise économique?

D’une manière ou d’une autre, la crise a touché tout le monde dans le pays. Cela dit, je ne crois pas qu’elle ait réellement changé quoi que ce soit pour les artistes et les musiciens en Islande. A mon sens, le plus grand changement a surtout eu lieu dans la perception que les gens à l’étranger se font du pays. De nombreuses personnes connaissaient l’Islande pour sa musique et ses artistes phares comme Bjork ou Sigur Ros. Etant moi-même artiste, je me souviens qu’avant, quand on allait jouer à l’étranger,  les gens nous disaient souvent « franchement votre pays est cool et vous avez de la bonne musique… » Maintenant, quand tu débarques et que tu dis que tu viens d’Islande, les gens te disent plutôt « putain, tous ces bâtards de banquiers vous ont bien entubé ». Les étrangers sont désormais très conscients de la crise, bien plus qu’il y a deux ans, et je crois que c’est surtout là qu’on ressent un vrai changement. Par conséquent chacun travaille à inverser cette image négative, parce que tu sais, ces banquiers, c’était juste dix ou vingt types qui ont détruit tout un pays. Il est là le vrai problème. Tu vois, pour donner un exemple concret, j’ai deux gosses et ne serait-ce que pour acheter des couches, ça me coûte bien plus cher qu’il y a deux ans (ndlr: l’inflation a progressé d’environ 30% en deux ans). Donc cette crise, c’est la merde mais on tente d’en sortir.

Et pour toi, en tant que label manager, les choses sont-elles également plus dures depuis deux ans?

Bien sûr que c’est plus dur mais comme je te disais, on essaie de rester positif. Quelque part, je crois qu’on est assez chanceux que les Islandais achètent de la musique islandaise. Les ventes sont en baisse bien sûr, ici comme partout dans le monde mais les gens font leur possible pour supporter les artistes locaux.

Attends, tu veux dire que les gens achètent encore des CDs en Islande?

Ouais je t’assure et j’en suis plutôt content. Mais oui, pour revenir à ta question, ça nous affecte cette crise. Presser des disques coûte plus cher qu’avant par exemple. On est obligé de faire ça en Allemagne ou en République tchèque maintenant. Mais je le redis, on vraiment chanceux que les Islandais achètent de la musique et n’écoutent pas que de la pop commerciale. C’est ça qui nous permet de continuer à faire vivre ce petit label indie.

Et j’imagine que l’industrie musicale islandaise travaille également à développer de nouveaux modèles économiques, numériques notamment…

On a une plateforme payante de téléchargement en Islande qui s’appelle cocoyoco  (ndlr: cocoyoco ou un truc du genre. J’ai bien essayé de retrouver le truc en question sur google mais je dois reconnaitre que j’ai lâché l’affaire après cinq minutes) et on essaie bien entendu de bosser ensemble. C’est toujours positif que les gens puissent télécharger de la musique, ça permet d’une certaine façon de faire parler des groupes et ça donne aussi la possibilité aux gens de trouver notre musique depuis n’importe quel endroit. Plus que le streaming, on est dans un système d’achat de musique en ligne mais j’ai vraiment le sentiment que les Islandais ne téléchargent pas beaucoup de façon illégale, parce qu’ils ont encore une sorte de conscience morale.

Sérieusement, les Islandais seraient respectueux de ce point de vue là?

Oui, il y a une vraie forme de respect. Les gens savent qu’ils ne sont pas censés télécharger la musique illégalement mais l’acheter. En France par exemple, vous avez cette loi avec laquelle le gouvernement vous envoie trois avertissements avant de couper internet (ndlr: la loi Hadopi). Ici, le gouvernement n’a jamais pris la peine de s’interroger sur un truc pareil et ils n’ont aucune idée de ce qu’ils feront un jour à propos face à ce problème.

Et du coup la majorité des ventes de ton label proviennent du net?

Non, elles découlent beaucoup plus de la vente de CDs que des achats online. Mais on y travaille. On tourne aussi énormément dans tout le pays depuis trois ans. On part souvent en road-trip pendant l’été, dans un bus de tournée avec trois ou quatre groupes et les gens du label, et on parcourt l’Islande en long, en large et en travers. Du coup, on profite de ces moments là pour vendre un max’ de disques et de merchandising. C’est honnêtement notre meilleure opportunité pour vendre des CDs.

Et concernant les disquaires – un sujet plutôt sensible en France, disparaissent-ils eux aussi petit à petit chez vous?

Malheureusement oui. Le plus gros vendeur de disques de la ville a fermé il y a trois ou quatre semaines. C’était un magasin énorme qui était situé sur Laugavegur (ndlr: artère principale du centre de Reykjavik), la plus grosse boutique de la ville en fait, un truc genre Virgin Megastore. On faisait la majorité de nos ventes là-bas. C’est vraiment problématique pour nous. Du coup, on essaie d’arranger la situation tant bien que mal, en distribuant nos disques dans d’autres types de magasins comme les librairies par exemple, avec lesquelles on tente de mettre en place des partenariats. On essaie aussi d’y organiser des petits concerts et ça marche pas mal.

Et pour toi en tant que musicien et pour les musiciens de manière générale, est-il possible de vivre de sa musique dans un pays de 320 000 habitants?

Non pas vraiment. Il n’y a que très peu de nos artistes qui peuvent prétendre vivre de leur musique. La majorité d’entre eux sont obligés de faire un break pour pouvoir partir en tournée. Mais c’est aussi une des raisons pour laquelle nous avons tant de mecs qui font de la bonne musique en Islande. Ils ne font pas toute une montagne de la question du pognon. Ils jouent, prennent du plaisir, boivent de la bière et voilà.

C’est curieux parce qu’en Islande, beaucoup d’individus se sont retrouvés ruinés à cause de crédits foireux, tout ça parce qu’ils avaient voulu un jour vivre sur un train de vie dément. Or, les artistes que je rencontre jour après jour n’ont pas spécialement l’air de mal vivre cette crise, justement parce qu’ils ne sont pas tombés dans cette dérive matérielle…

C’est clair. Beaucoup d’artistes, de peintres ou de musiciens ont gagné un peu d’argent à l’époque parce qu’ils étaient « sponsorisés » par les banques. Beaucoup d’entre nous ont touché de l’argent de ces banquiers. Les gens n’en sont pas forcément fiers aujourd’hui mais la vérité, c’est que tout le monde faisait ça. Ces mecs, ces banquiers essayaient de s’acheter une caution cool en finançant ces trucs. C’était juste une illusion. C’est peut-être un cliché, mais en ces périodes de crise, les gens parlent plus de culture qu’à l’accoutumé et c’est précisément ce qui se passe en ce moment. Finalement, pas mal de gens essaient de faire des trucs cools aujourd’hui, tant qu’à faire en étant créatif.

Crédits Photos: David Arnoux

http://www.kimirecords.com/

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