En une décennie, Joakim n’a pas atteint la sacro-sainte célébrité. On pourrait dès lors conclure que le grand échalas a échoué à trouver la porte de sortie, celle qui aurait dû lui permettre d’échapper au cénacle des petits clubs où les gamines se laissent tripoter backstage pendant que deux branchés sucent un pamplemousse en trémoussant leurs jeans Diesel. Faut bien avouer que quelque chose a merdé au pays des tigres pixelisés, Jojo’ condamné à racler les fonds de tiroirs pour réinventer et surprendre, name-dropper des influences toujours plus obscures pour séduire le branché et trouver des diodes toujours plus grosses pour éclairer sa boutique. Après trois disques dont un formidable (Monsters & silly songs) et un autre plus cosmique et free jazz à la limite de l’invendable (Milky Ways, 2009), le quatrième aurait dû suivre une trajectoire balisée par l’indifférence. « Un nouveau disque de Joakim, à quoi bon ? » Un disque de plus pour refuser d’éteindre la lumière, un truc un peu triste que certains soutiendraient par compassion et d’autres par suivisme, parce qu’il n’y a pas de raison valable pour que le journaliste tourne le dos à celui qui l’a fait danser dans la décennie précédente, et que dans ce petit milieu tirer à bout portant sur ses idoles d’hier est souvent considéré comme une trahison. Avant même d’écouter Nothing Gold, une question se posait en sourdine : y a-t-il une vie après la hype ?
De manière plus générale, on peut également se demander s’il existe une vie après les années 2000.
D’ailleurs l’anecdotique single de Jojo, Forever young, ne parle que de ça, de toutes ces soirées où la fatigue commence à l’emporter sur l’excitation, de ce basculement où les longs accords du synthé métallique font taire la boîte à rythmes avec des refrains qui ne font plus danser personne. Que devient le clubber, quand il ne peut plus faire swinguer son bassin ? Quand ses membres le trahissent et que la réalité a rendu ses nuits plus longues et pénibles, sans même parler de cette drôle de pochette faussement médiocre où se reflètent tous les plaisirs perdus, à quoi pense vraiment Joakim, seul face aux machines ? Vous conviendrez que ça fait beaucoup de questions pour un seul homme, et même pas sûr que le musicien barbu ait autant de cas de conscience. Un musicien qui vieillit, c’est souvent un beat qui s’apaise, point barre.
Des onze titres qui composent ce disque d’artisan, rien de révolutionnaire si ce n’est la nostalgie en trame de fond et deux chansons dantesques. Par les temps qui courent, c’est déjà deux de plus que la majorité des disques, mais bref, on pourrait faire comme tout le monde et s’appesantir sur les titres plus hédonistes, de Find a way avec sa mécanique bien huilée (accord de piano répété en boucle + batucada tribale + choeurs en progression vers la boule à facettes) aux quelques comptines électroniques mid-tempo (Labyrinth) qui relâchent la pédale d’accélérateur, tout cela sent quand même la fin de nuit et le retour au bercail par le premier métro. On sent l’évolution, si ce n’est vers le chill-out, du moins vers un assouplissement des muscles ; le Joakim d’aujourd’hui a suivi l’évolution de son propre label où certains des artistes d’hier – Poni Hoax en tête – ne sont plus qu’un lointain souvenir, une impression fantomatique qui inspire autant la mélancolie que l’harmonie douce.
Mais revenons aux deux pépites, ces deux titres qui donnent envie de se relever la nuit pour simplement vérifier qu’on n’a pas rêvé. Fight Club et Nothing Gold, un enchainement puissant entre John Carpenter sous acide avec un robot marabouté dans le rôle du chanteur, et ce titre éponyme où les notes du piano s’étirent langoureusement pendant que la lente basse disco fait son boulot, travaillant le rythme mesure après mesure pour aboutir au désespoir lucide : « My love is gone / Is it forever ? Is it like the weather ? » chante-t-il sans fin, encore et encore… C’est déjà bien assez, Nothing gold est un disque de clôture pour boucler la boucle et tourner définitivement le dos à l’insouciance. Le grand mérite de ce Joakim nouvelle ère, c’est finalement d’avoir su inverser la tendance ; et alors que d’autres courent encore après les ordinateurs comme des pionniers vers l’or, lui revient ici plus près de son être bancal. C’est à la fois digne, modeste et terriblement humain. Et si la fête est un état transitoire, Nothing gold raconte cette lente marche vers la position horizontale.
Joakim // Nothing Gold // Tigersushi
http://www.myspace.com/jimibazzouka
2 commentaires
Vous êtes vaches. J’ai d’excellents souvenirs de soirée avec Joakim en DJ. Et je vous prie de croire que ceux qui passaient après avaient l’air de mixer dans une boum en comparaison….
Ensuite, oui, personne n’est parfait et il y a eu des mixs moins enthousiasmant, quelques creux.
Mais de toute façon, vous n’aimez que le rock et l’énergie, la puissance sonique.
Sinon, la fin de l’article contrebalance les premières lignes, heureusement.
Moi, j’attends l’album. Il y avait d’excellentes choses sur le précédent « Back to wilderness », « Fly like an apple » par exemple.
PS : Je vous met le lien. si vous êtes un peu patient et que vous laissez le morceau monter, ça devrait vous chauffer les pavillons des oreilles : http://www.youtube.com/watch?v=FDE5t6Qc3QI