L’amour rend con. L’amour rend fou. Et Jérôme Reijasse est tombé amoureux d’une des plus belles garces qui soient : le PSG. Le genre de salope qui vous rend maboule et qui occupe toutes vos pensées. Un jour vous décidez de la quitter, et puis le lendemain vous la suivez comme un caniche, la bave aux lèvres. Jean Malback est allé rencontrer un amoureux maladif.

Le foot est une passion difficilement avouable sans passer pour un gros beauf, écervelé et buveur de bière — parfois les trois à la fois. C’est vrai que l’on n’est pas forcément des lumières quand on regarde un match de foot, et l’arbitre se voit souvent attribuer le doux nom d’enculé. Mais il faudra un jour m’expliquer pourquoi les supporters de rugby sont tous des grands gentlemen aux valeurs profondes, alors que le fameux esprit rugby ne se compose que d’un accent du Sud et d’un jambon de Bayonne entre les dents. À degré d’alcoolémie identique, le supporter de rugby est trois fois plus con que celui de foot. Toujours partant pour montrer sa virilité. Tous des Pascal Brutal en puissance. Tous.
Et puis j’ai lu Parc. Tribune K – Bleu bas de Jérôme Reijasse. Petite bible que tous les supporters devraient avoir. Journal de bord d’un amoureux du foot et de son équipe, le PSG. Parc n’est pas un manifeste pour le PSG. Il nous renvoie tous à notre passion aveugle pour la baballe, à nos superstitions à la con. Reijasse a brûlé des cierges pour voir son équipe gagner : « Ça a marché ! Diané a marqué. » Les jours de match à domicile, il ne monte que par la gauche des escaliers. Lui aussi s’est posé ce genre de questions idiotes : « Et si je ne venais plus au Parc, peut-être que l’équipe gagnerait enfin ? »

Reijasse est un mec qui a banni « peut-être » de son vocabulaire. Et il nous distille toutes les semaines son phrasé sec sur le site du « gri-gri international ». Un ton et un humour qui frappe souvent juste, sur Lugano par exemple, dont il dit : « Quand exactement Lugano a-t-il changé de sexe ? Son regard fou, sa coupe de cheveux de Playmobil psychédélique, ses petits mollets roses comme une dragée de baptême, c’est une évidence : cet homme a été opéré. On devine la femelle dangereuse, hystérique derrière l’Urugayen défenseur… Et on frissonne. »

En plus, Reijasse est fan de Will Ferrell, alors forcement c’est un homme bien. Mais un homme triste, en pleine séparation. Cette salope de PSG est de train de lui briser son petit cœur.

Gonzaï : D’où est partie l’idée du bouquin ?

Jérôme Reijasse : J’en avais marre de devoir me justifier d’être supporter du PSG. Pour la plupart des gens, si t’es supporter du PSG et rasé comme moi, alors t’es un facho. J’ai donc écrit le bouquin et depuis je n’ai plus de questions. Par contre, ils n’arrivent toujours pas à comprendre que je continue de les supporter. C’est comme la clope, je suis un gros fumeur et je sais que j’en crèverai. Pour Paris, c’est pareil. Mais au moins, sur mon lit de mort, je pourrai me dire que j’ai vécu à fond un truc inutile.
(…) Combien de fois je me suis ridiculisé pour ce club, à bouder comme un gosse lors de réunions de famille parce que Paris avait perdu. Ou à péter ma table basse à cause de ce fils de pute de Lorik Cana (joueur de l’OM à l’époque, vous l’aurez compris — NdA) qui nous met un but à la 90e minute…

Le livre retrace d’ailleurs l’une des pires saisons de Paris (2007-2008), où la relégation leur tend les bras…

En effet, on se sauve à la dernière journée. Cette année-là, l’équipe ne joue pas. Apparaissent aussi les problèmes de supporters dans les médias. Ma copine n’en pouvait plus. Car quand tu rentres et que t’as perdu, ça nique ton week-end et celui de tes proches. Je me rappellerai toujours des trajets en métro, de la Porte de Saint-Cloud jusqu’à chez moi, les soirs de défaite contre Troyes ou Sedan. Mais c’est la condition sine qua non du supporter : aller au stade. Si ce n’est que regarder des matchs à la télé, alors oui je peux supporter l’équipe de France de Handball. Ça n’engage à rien. J’éteins la télé et je passe à autre chose.

L’entrée dans le Parc, c’est le point de non-retour ?

C’est ce qui me liera pour toujours au PSG : le Parc des Princes. Je n’oublierai jamais la première fois que j’y suis entré. C’est comme la première femme que t’as aimé. J’y suis entré et je ne voulais plus ressortir. C’est simple, pour moi, s’il n’y a plus le Parc, il n’y a plus le PSG. C’est un rapport sacré. Mais je crois qu’on ne respecte plus les gens qui ont la foi. Dès que tu as la foi, on te montre du doigt. Un bel exemple de foi, c’est Lorik Cana. Quand il était encore parisien, il est venu vers nous en embrassant le maillot alors qu’il avait signé à l’OM dans la journée. Voilà où se place la foi de nos jours.

Quel est ton plus beau souvenir au Parc ?

Elle est dure, celle-là… Ça dépend des jours… Peut-être quand on perd contre Bordeaux au Parc à la dernière journée, leur offrant ainsi le titre et en privant Marseille par la même occasion. Je crois en 1999… Ou ce but splendide de Pauleta sur Barthez. Je ne sais pas. La baston générale contre les supporters de Galatasaray ne manquait pas de saveur non plus…

Et le pire ?

Il n’y en a pas. Je prends tout avec le PSG, absolument tout. Et le temps qui passe se charge de toute façon toujours de transformer le pire en beau. Après, le pire, c’est quand même ce plan Leproux, la disparition des kops et le futur au Stade de France. Un cauchemar…

Justement, est-ce qu’il y avait vraiment une autre ambiance au Parc avant la dissolution des supporters, ou est-ce de la pure nostalgie ?

Maintenant, il n’y a plus de chants. Ça chante quand ça marque, et au tout début, pour l’arrivée des joueurs. Avant, ça chantait même quand il ne se passait rien sur le terrain. Si tu mets les nouveaux supporters dans notre position, quinze ans de défaites, quinze ans de déceptions systématiques. Les types seraient morts d’un ulcère. Regarde le premier match de cette saison, que l’on perd contre Lorient. Les mecs étaient à bout, à la limite de la crise de nerfs. T’imagines quinze ans de défaites ?
Ce qui me manque aussi, ce sont les tifos (les banderoles — NdA). Maintenant ils sont faits par le club, alors qu’historiquement le tifo est fait par les supporters. Et puis surtout, on a perdu la culture de la vanne, la chambrette de cour d’école. Même s’il y a eu un sursaut lors du dernier match contre l’OM avec le fameux « un Big Mac pour Gignac ». Niveau vannes, on a toujours été les meilleurs. Quand Bastia vient jouer au Parc au moment où Yvan Colonna s’est fait choper et que les supporters déploient un tifo « Transfert de l’été : Colonna à Paris », ça me fait marrer. Mais je pense que l’on a payé pour la banderole sur les Ch’tis (Pendant la finale de Coupe de France 2008 contre Lens, les supporters parisiens avaient déployé la célèbre banderole : « Pédophiles, chômeurs, consanguins : Bienvenue chez les Ch’tis » — NdA). C’est une hypocrisie totale, car elle n’était même pas visible à la télé. En plus, les supporters lensois, ça les faisait marrer. Sur les forums, tu pouvais même lire : « Super les gars ! Vous avez oublié ‘alcooliques’. »

À une époque, le PSG traînait une réputation de club de fachos. Une réputation qui lui a longtemps collé au cul…

Au début, le PSG avait même la réputation d’être un club tenu par des Juifs. Ensuite on a eu le droit au club de fachos, et maintenant c’est le club du milliardaire Qatarien. La haine pour Paris est sans limite. Mais est-ce que les gens qui déclarent ça sont déjà venus au Parc quand c’était soi-disant Nuremberg en 33 ?
Alors oui, moi aussi j’ai vu des bastons. J’ai vu un Black se faire tabasser par des fafs de Boulogne. Mais tu ne vas pas expliquer la France via les 18 % de gens qui ont voté FN. C’est trop facile. Moi, j’ai trouvé plus de diversité au Parc que dans la vie de tous les jours. J’ai une théorie malsaine sur le sujet : pour moi, le fait qu’il y ait eu un mort a arrangé tout le monde. Pourquoi on punit 20 000 abonnés et pas les 300 mecs fichés au RG que tout le monde connaît ? Je me sens comme un gamin qui n’a rien fait et qu’on punit quand même. Le placement aléatoire me dégoûte. Pendant quinze ans j’ai été en tribune K. C’est ma tribune, je ne veux pas être ailleurs. Et puis l’ambiance me manque ; quand je voyais 30 000 écharpes levées, ça me foutait des frissons.
À l’époque du plan Leproux, on avait fait la grève des supporters en restant dans le stade après le match. Tout le monde chantait « Nous les supporters, on sera toujours là ! ». C’est assez ironique, quand on y repense. T’as beau être fidèle, y consacrer tous tes week-ends, le jour où le marketing prend le dessus, t’es prié de foutre le camp.

Deux potes de Jérôme viennent nous rejoindre. Un brun supporter de Toulouse, et un roux supporter de Nantes qui tient à garder l’anonymat. En effet, ce dernier nous raconte qu’il s’est fait pisser dessus au Parc lors d’une victoire 3-0 des Canaris sur les Parisiens. En tribune présidentielle, s’il vous plaît ! Éclat de rire général. Paris est magique !

Il y a un truc qui revient souvent dans le bouquin, c’est l’envie de défaite de ta propre équipe.

Pour moi, la victoire est moins importante que l’appartenance. Si t’attends uniquement la victoire, va supporter Barcelone. Celui qui croit à la victoire éternelle est un crétin ou un Lyonnais, presque pareil. Cette année, pour une fois, j’aurais pu combiner le jeu sur le terrain et l’ambiance en tribune. Mais la pelouse revit et les tribunes s’effondrent. Le PSG restera toujours le PSG. Il y aura toujours un truc qui cloche. Il faut choisir des trucs dans la vie, et s’y tenir. Moi, je signe tout suite pour avoir Pouget et Madar comme stars de l’attaque et galérer toute une saison. Si t’es pas fidèle dans la vie, pour moi t’es pas quelqu’un de respectable. Le PSG c’était parfait pour ça tellement on était nuls. Fallait y aller, au Parc, il y a dix ans, avec le spectacle qui était proposé. Ça ne jouait pas mais l’ambiance était là.
La saison prochaine, je rêve que l’on fasse un recrutement de dingue et que l’on finisse quinzièmes, pour que tous les nouveaux supporters disparaissent et que le club rappelle les anciens pour mettre l’ambiance. Mais bon, ça ne risque pas d’arriver. Cette saison, je suis devenu schizophrène. Je ne pense pas me réabonner. Pour te dire à quel point quelque chose s’est cassé. À une époque, peu importe nos résultats, la saison merdique de Marseille m’aurait suffi. Mais ça ne me fait même plus rire.

Est-ce parce que le PSG est redevenu plus fréquentable (image new look) que tu commences à moins l’aimer ? Comme quand un groupe de rock que tu suis depuis le début rencontre le succès et que tout le monde se l’approprie ?

En fait, ce n’est pas le PSG que j’aime moins — le PSG étant quelque chose de presque indicible, quelque chose de sacré donc, blotti au fond de mon cœur — mais l’époque que traverse le PSG, je crois… Je m’en fous que des gens que je n’estime pas viennent au Parc supporter la même équipe que moi. J’ai toujours haï ceux qui crachaient sur un groupe, pour reprendre ton exemple, simplement parce qu’il rencontrait le succès. Je suis un grand fan des Cure et je ne les ai jamais reniés, malgré leur succès international, malgré leur décrépitude artistique. Fidélité, toujours, surtout dans les moments difficiles. N’importe quel trou du cul peut se targuer d’être fidèle quand tout va bien. Mais c’est évidemment dans la tourmente que l’on reconnaît les vrais enragés, les derniers fidèles. Simplement, j’aime moins aller au Parc parce que cette ambiance extraordinaire est morte. Aujourd’hui, c’est donc une kermesse gigantesque. J’ai remarqué l’apparition de placeuses en tribune centrale. La passion a été priée d’aller brûler ailleurs. C’est ça qui me rend triste. Et puis, le PSG, pour moi, n’est pas devenu plus fréquentable. Certes, il n’y a plus de chants racistes (ce qui était déjà le cas depuis plusieurs années, bien avant le plan Leproux — NdA), de bastons ultra violentes, mais je ne suis pas sûr que cette foire marketing soit beaucoup plus fréquentable. Pas sûr… Je ne crois pas que l’argent soit la meilleure façon de s’élever moralement…

Qu’est-ce que tu retrouves dans le foot et dans le PSG que tu ne retrouves pas ailleurs ?

L’appartenance, toujours et encore. Seul le PSG m’a procuré ce sentiment si rare, si précieux, quand des gens diamétralement opposés, qui jamais ne se fréquenteraient dans la vie de tous les jours, s’unissent pour vibrer dans la même direction. Et puis ce sens de la vanne qui, à Paris, était juste sublime. Cette capacité à rire de tout, et d’abord de nous-mêmes, même dans le chaos le plus total. Ça va cruellement me manquer.

Quelques jours après l’interview, je reçois un mail de Jérôme :

« Sinon, Jean, tu vas rire mais aujourd’hui, avec mon pote Karim, je me suis… réabonné.
La fameuse schizophrénie dont je te parlais hier… Presque une histoire drôle. Horriblement drôle… » 

Cette succube de Paname l’a encore attiré dans son antre diabolique et malfaisante. Car, comme il l’écrit si bien, « aimer Paris, c’est aimer souffrir ». Un amour que l’on doit payer pour notre orgasme hebdomadaire. Une amante qui s’effeuille à peine. Paris est une pute que l’on ne peut même pas baiser mais qu’on ne peut s’empêcher d’aller voir tous les week-ends.

Jérôme Reijasse // Parc. Tribune K – Bleu bas // Éditions L’Oeil d’Horus

3 commentaires

  1. « C’est ce qui me liera pour toujours au PSG : le Parc des Princes. Je n’oublierai jamais la première fois que j’y suis entré. C’est comme la première femme que t’as aimé. J’y suis entré et je ne voulais plus ressortir. » Phrase of the year 2012!

    Ce qui ressort très bien de cette ITW c’est que l’appartenance comme dit J.R, semble plus forte que le jeu lui même ou le résultat et que la fidélité est indéniablement ce qui est le plus intéressant dans ce mouvement dans les joies comme les peines…d’ou ce terme « ultra ».

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