Cher Jean Amadou, je ne vous ferai pas le coup du rallié de dernière minute, de l'émotion aussi subite que suspecte. Cela serait mal venu.

Comme beaucoup d’adolescents des  années 70 et 80, je vous ai en effet maudit, vous et vos copains humoristes de l’époque. Votre bonne humeur, vos jeux de mots étaient ceux des adultes raisonnables et rassis, je condamnais régulièrement le Bébête Show à la peine capitale pour vanter les Nuls, forcément plus drôles puisque plus jeunes. L’humour est un impitoyable carbone 14 datant les hommes à l’année près. J’ai récemment regardé un programme baptisé Bref, atterré par la banalité, la fausse modestie et la résignation qui en suintaient. Autour de moi des gens riaient aux larmes en reprenant les répliques. Ils avaient dix ans de moins. Remarquez, j’ai également revu il y a peu des sketches des Nuls pour lesquels je n’ai pas même trouvé la force de sourire. Alors Mitterrand en Kermit…

Élevé par des fonctionnaires de gauche, rad-soc pour être exact, vous êtes devenu le symbole de l’humour de droite du pays. On racontait que vous aviez même été interdit d’antenne dans les années 80 par le pouvoir rose. Généralement, on croise des fils de gauche qui restent dans leur camp par tradition familiale, des fils de droite qui passent de l’autre côté par dégoût, avant de revenir au bercail après 35 ans. Votre chemin est plus étonnant. Quand je me moquais de vous au beau milieu de l’ère Mitterrand, j’étais le conformiste de l’affaire.
Et puis, la politique n’était pas que votre gagne-pain. Je me souviens d’interviews où vous expliquiez votre passion pour l’Histoire, votre connaissance encyclopédique de la IIIe République. Jacques Martin pleurait pour l’Opéra et lisait le latin, vous passiez vos soirées dans les volumes de Chastenet et Jean-Marie Mayeur. Sans parler de vos tours de France avec Blondin et Chapatte. Don’t look back, je sais… D’ailleurs, vous avez toujours veillé à ne pas en rajouter sur ce point. « Je suis simplement un type qui fait sourire« , disiez-vous pour remplir la case « profession » et chasser le sérieux d’un revers de blazer pied-de-poule. Aujourd’hui, sur Canal +, un gars fait des commentaires ironiques sur des images de politiciens et les magazines estiment qu’il « décode le politique. » On rit donc on a un avis, le plomb devient immédiatement lingot. Avec vous, un jeu de mot était un jeu de mot. Sa qualité dépendait de votre forme du moment, ce n’était pas toujours olympique mais ça ne prétendait pas « décoder ».

De toute façon, je suis sûr que personne n’a retenu vos plaisanteries.

Ce qui restera dans les mémoires, c’est avant tout votre présence étrange à l’écran – comme si vous étiez  déjà sur le départ dès le début de l’émission, prêt à déplier vos deux mètres – et votre voix. Posée, polie et ironique… Du grand art. Votre voix off de L’Aile ou la Cuisse vaut des années de Bebête Show, croyez-moi. Elle garde le film sur des rails ironiques et s’efface quand l’ensemble vire à la farce.
Je dois dire aussi que j’ai souvent envié votre vieillesse en passant devant le Théâtre des Deux ânes, boulevard de Clichy à Paris. Avoir une scène à soi, passer ses soirées entre copains à dire des conneries, souper au Wepler, s’organiser parfois quelques virées en province… Franchement, je ne connais pas de meilleur scénario pour la retraite. Dire qu’à l’âge où vos amis lancent  « Pas nique au FMI », je risque de pointer encore à l’usine du tertiaire…

Le jour où la radio m’a appris votre mort, j’ai  vu, à la télévision, le visage d’Arnaud Montebourg (du pain béni pour vous, ce patronyme), puis celui de Xavier Bertrand. Tout le monde les déteste et ils le savent, ce n’est même plus drôle. J’aurai bien aimé trouvé un jeu de mots sans conséquence, ou une blague généreusement lestée, pour me moquer d’eux. Ca n’est pas venu. A la place, j’ai glissé deux ou trois piques misogynes dans un dîner, en guise d’hommage. Plusieurs regards féminins, vengeurs ou atterrés, en retour : une réussite. Quelques jours plus tard, j’ai vu la bande-annonce d’un film réunissant Alain Chabat et Djamel Debbouze qui ne m’a pas arraché le moindre rictus. Le 23 octobre 2011, Jean Amadou, vous êtes mort, et moi j’ai pris un coup de vieux. Ces deux événements sont sans doute plus étroitement liés que je ne veux bien l’admettre.

8 commentaires

  1. Mon cher Syd tu n’es pas seul, j’ai ressenti la même… J’ai une haine assez tenace des chansonniers et j’ai du supporter l’écoute des grosses têtes durant toute mon enfance alors la mort du jeannot hein… N’empêche, et ça me fait mal de l’admettre, derrière leur blagues pouet pouet ce sont de vrais lettrés, une espèce en voie de disparition qui les rendent inexorablement excusable une fois dans le trou.

  2. Ah oui, j’ai gravement merdé sur les infinitifs et consorts. Ecrit trop vite, envoyé trop vite, toujours la même histoire… Vais y remédier, er.
    La particule, c’était une sorte de blague, un peu foireuse… BAh… A bientôt.

  3. Oh non, faut pas exagérer hein, j’ai juste noté deux Omar m’a tuer, le reste m’a pas choquer.

    Pour la blague, je crois que c’est le coup du « patronyme pain béni pour Amadou », du coup, qui l’annule.

    A+

  4. Non, non vous aviez vu juste. Il faut accorder ses participes avec ses actions. En revanche pour l’ami Arnaud, Monter et Bourrer dans le même nom… Pour un chansonnier, c’est Noël !

  5. Brillant. Le passage sur Jean-Marie Mayeur est excellent. C’est vrai que ces mecs étaient des champions de la culture gé de façade qui avaient autant de profondeur que leurs blagues vaseuses. On a plus l’impression qu’ils jettaient en pâture quelques références habilement extraites des pages cultures du Figaro pour se donner une caution intello, balisant ainsi brillamment une carrière d’agitateurs de mots professionnels.

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