Les groupes autoproduits sont nombreux, les trios homme-femme-boite-à-rythmes sont pléthore, beaucoup d’appelés mais peu d’élus. A la grande loterie de la célébrité éphémère, ceux là repartiront peut-être les mains vides mais leur album « Highway », lost comme chez David Lynch, pue le nain estropié, le sang caillé dans des draps de satin et les virées nocturnes dans la forêt canadienne. A défaut d’apprendre qui a tué Laura Palmer, voici le groupe idéal pour baiser sur sa tombe.

Entre Paris et Halifax, Canada, il y a un monde aquatique. De profundis, le monde. Un océan d’ombres où les corps flottent comme dans un épisode de Le petit Gregory a découvert la new-wave, et où le tremolow de la guitare accompagne à merveille la parade de Flippant le dauphin. Voilà pour l’introduction à Hey Mother Deah. Qui avec un nom pareil ne pouvait évidemment pas verser dans la folk insipide telle qu’on l’entend dans ces pubs où les femmes ont des règles bleues.

De ces franco-canadiens – la bio n’est pas claire sur ce point, but who cares ? – on ne sait pas grand chose d’autre que ça ; que leur premier LP « Highway » s’est enregistré entre ici et là bas, et que globalement il sonne comme Gina X et Grace Jones jouant une partition de Badalamenti, ce qui au regard des productions actuelles suffit à consacrer plus de trois lignes à un album qui n’en compte que quatre, des chansons. Pas les temps qui courent, ça pèse pas lourd, mais… mais…
Mais le titre d’ouverture éponyme possède ce truc indescriptible qui donne à ces 4.49’ un gout de reviens-y. Il y a à la fois l’angoisse d’un film hitchcockien tourné en 2060 et l’esthétique VHS des rares choses qu’on a su aimer dans les années 80, le talkover échomatique des nuits blanches à Paris, toutes ces légendes urbaines de serial-killing racontées en images basses résolutions, les paroles vaudous type Bernard Lavilliers Dr John qui ne veulent rien dire et qui pourtant disent tout. En bref, Angel Heart avec Mickey Rourke tourné à Twin Peaks avec un groupe de bal maquillé monochrome en arrière-plan.

Si Hey Mother Death, comme récemment avec l’autre duo canadien Essaie Pas, effraie la chronique, c’est avant tout parce que le groupe ne cherche pas à contenter l’auditeur avec un positivisme en vogue chez les neuneus ; ici on ne s’encombre pas de bons sentiments, le malaise est un bon conducteur et l’anxiogène un carburant comme un autre. Denma Peisinger et Laurence Strelka racontent donc leurs histoires en donnant l’impression d’avoir au préalable ingurgité un cocktail à base de tranquillisants et de speed ; sensation de flou, de marathon sans fin dans un petit couloir et d’auréoles sur une chemise froissée, voilà ce qu’évoque « Highway »… to hell?

Viennent après les détails autobiographiques pour donner du crédit à une histoire qui n’existe pas. Laurence Strelka s’avère être une disciple d’Alejandro Jodorowsky, rencontré à Paris après avoir découvert Santa Sangre. Le jour de leur rencontre, le cinéaste perché marche dans un Paris désert, il sort tout juste du Téméraire où il vient de donner une lecture gratuite de tarot. « J’étais très émue et choquée dit Laurence, mais j’entame une conversation avec lui, et le raccompagne jusqu’en bas de son immeuble où il me propose que nous restions en contact. Le lendemain matin, Alejandro m’a appelé et laissé un message. Le dimanche de la même semaine, il m’invite chez lui pour que nous rencontrions à travers le tarot. C’est comme ça que notre amitié a commencé ». Par la suite, Laurence deviendra comédienne et fera ses débuts dans une pièce écrite par Jodorowsky. Puis fera un stage d’acting à l’école Philippe Gaulier où, finalement, elle rencontrera son double, Denma. Hey Mother Death naitra (sic) ainsi. Jusqu’à l’enregistrement de ce disque, masterisé à Londres par Mandy Parnell, un type vaguement pas connu responsable du son du « Biophilia » de Bjork. Ca, comme la genèse du disque, on s’en fout.

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La réalité d’un groupe étant souvent décevante, autant se fixer la rétine sur les photos vaporeuses du duo. Perdus dans la vallée canadienne, eux fixent l’horizon des conifères assis sur le capot d’une berline de location. Voilà. C’est à la fois désuet et grandiose, à l’image d’un disque qu’on imagine pensé dans une chambre de bonne et à l’inverse de tous ceux joués avec autant de billets que peut en contenir le string d’une stripteaseuse. Les plus grands albums naissant souvent dans des espaces qui ne le sont pas, le rêve sans filtre de Hey Mother Death est court comme un songe ; 27 minute, le temps de transformer une motte de terre brulée en montagne sacrée.

Hey Mother Death // LP Highway // Snake Power Records
http://heymotherdeath.com

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