Mes amis geeks et moi, on n’était jamais venus dans cette salle d’arcade avant. C’est un peu tape-à-l’œil, mais quand même, je dois dire qu’on est contents qu’on nous ouvre les portes de ce Grand Palais, nous les petites mains (chargées de manettes) d’une sous-culture méprisée (à tort, évidemment).

Après avoir fait la queue trois heures avec mon billet coupe-file, je réussis enfin à entrer. Tout de suite, des démonstrateurs habillés comme des vigiles me demandent si je suis plus Columns sur Game Gear ou Tetris sur Game Boy et m’orientent vers des bornes de jeu. A ma droite, des lecteurs de Tilt. Ça parle en termes de « fonctionnalités ». Je tourne la tête de trois-quarts sur ma gauche et le « TM » après le logo Sega apparaît. Je commence à avoir des sueurs froides : moi qui étais devenu à grand-peine un adulte, voilà que je redeviens adolescent, puis post-ado. Une pâte blanche se forme à la commissure de mes lèvres et mes paumes deviennent grasses.

Depuis tout à l’heure, je suis de près une famille : les enfants nés dans les années 2000 n’entravent que dalle à Battle Zone (« Papa, j’arrive pas à faire la distinction entre le vert et le rouge ») tandis que les parents se rappellent qu’ils ont vécu « la pratique familiale de l’informatique » : l’universelle Programmothèque d’Illel, l’inoxydable Amiga 500, l’indispensable PC 486 DX 66.

Comme je sens déjà que je vais vivre une véritable expérience sociologique grâce à cette expo, tel Link, je m’immerge à fond dans cette quête initiatique, laquelle consistera à retrouver le goût perdu des choses de l’enfance. Ma madeleine à moi, c’est la 16-bits et ses jeux de combat. Flashback.

VS Fighting avec mon enfance

« Utilise ta grosse bombe !
– Je l’ai déjà utilisée !
– T’as déjà bouffé deux crédits alors que j’ai toutes mes vies ! »

Je regarde deux garçons jouer à Streets of Rage II, et me revient cette image : 1995, cité Tristan Bernard, dans la chambre d’Aurélien Rouchi, le Soirée disco de Boris comme murmure de fond, une demi-douzaine de gosses excités derrière Ali Atahiri (chez qui on va jouer à Pole Position sur Atari 2600 le mercredi à l’heure du goûter, quand sa mère prépare des cornes de gazelle) et Grégory Quiquempois (chez qui on va jouer le dimanche après-midi à International Tennis Open sur Lecteur Philips CD-I, moquette blanche double épaisseur sur laquelle nos chaussettes sales imprègnent leur odeur pestilentielle, poster de Rocky III au mur, Missing de Everything but the girl en single dans le range-CD) jouant en 2players sur Virtua Cop. Et ce geste, comme une éthique : tirer hors de l’écran pour recharger le flingue. Un truc que ceux-qui-l’ont-pas-vécu-peuvent-pas-comprendre. Ouais.

Y avait les riches avec leur Néo Géo, les pauvres avec leur Master System (et même que c’était tellement pas cher, la Master System, qu’ils filaient un jeu intégré avec : Alex Kidd and the Miracle World). Puis il y a ce jeu qui a mis tout le monde d’accord, riches et pauvres, et qui a entraîné l’achat massif de la Super Nes chez tous les auditeurs de l’émission présentée par Cyril Drevet sur Antenne 2, Televisator 2. Plus que cultissime : mythique.

On pensait qu’il n’y aurait pas plus fédérateur que Mario Kart. On s’était trompé. Les joysticks prenaient feu, parfois le bouton L du pad allait se briser contre la table cocktail. Ce n’était pas encore le temps du jeu en réseau, chacun dans son coin, la tête dans le guidon. Il y avait un point de ralliement (souvent l’appartement d’un pote dont les parents travaillaient jusqu’à pas d’heure), et les invités se ramenaient recta avec les Bamboula (les biscuits au chocolat, pas autre chose) en bandoulière et les deux litres de Seven Up dans les poches du baggy. Pendant ce temps-là, les mères de famille cherchaient leur progéniture partout dans la cité.

A travers une fenêtre entrouverte filtraient des « Fais-lui des boules de feu lentes, avec le bouton vert ! », « C’est pas vrai, j’ai les doigts qui glissent ou quoi ? », « Comment il a pu avoir les priorités alors que je l’ai étourdi… Foutu CPU ! », « Comment je t’ai défonce avec ma chope ! », « Je lui ai mis un perfect ! », « Vas-y, arrête avec ta technique de petit joueur là, gros marsupilami, va ! », « Et toi, avec tes coups de vieux loup de mer, tu crois qu’tu vas résister à mes doubles kicks ! », « Oh PU-TAIN, chuis dead », « Yeah !!!! Dieu est avec moi », « Ah non, pas ça ! ». Et les mères de famille n’avaient plus à s’inquiéter. Leurs enfants étaient au domicile de la famille Faïa et jouaient à Street Fighter II Turbo. Plus que mythique : mythologique.

On allongeait notre bras comme Dhalsim pour brancher la prise Péritel derrière la télé, on soufflait sur la puce électronique de la cartouche de jeu pour enlever la poussière (même geste pour mettre le CD de Dangerous de Michael dans la chaîne) comme Chun Li quand elle se prend un uppercut dans les côtes. On emboîtait le jeu, on mettait sur ON et le logo Capcom apparaissait. Quand tu allais combattre aux USA, toute la plateforme militaire était là pour t’applaudir. Des voix digit (qui n’étaient pas de vulgaires bip-bip mais des Hadoukens clairs et perçants) aux bruitages (dignes d’être oscarisés) jusqu’au packaging même du produit, tout filait des frissons. La jouabilité à son paroxysme. Quand ton personnage (indistinctement Ken ou Ryu, le blond ou le brun) était mis KO, tu le voyais évoluer au ralenti dans les airs, et s’abattre au sol comme une bûche. Ton cœur battait la chamade. La phrase « You lose » clignotait au milieu du téléviseur. T’en pleurais presque. Non, parfois, t’en pleurais vraiment. Dans ma folie Street Fighter, j’étais passé du stade de joueur occasionnel à celui de gamer. Ma vie tournait entièrement autour de ce jeu : plus d’école, plus de sorties. Je me demande encore comment je me suis extrait de ce tourbillon.

Console avec nostalgie intégrée

Au final, je suis resté deux heures dans la première partie de l’exposition (c’est là que tu vois que t’es un vétéran… Pourtant, j’ai le même âge que le Commodore 64, alors faut pas exagérer, merde !), lâchant ma place dans la queue de Sonic pour aller jouer à Bomberman en arcade, snobant le parcours d’embûches de Bubble Bobble ou Pac-Man (par contre, je ne suis pas aussi vieux que Pac-Man, c’est déjà ça !) pour une partie de Mortal Kombat sur Mega Drive, y allant de ma larmichette en rejouant à Zelda, complètement émerveillé de retrouver mes repères dans le parcours et me faisant la réflexion que je n’avais jamais aimé l’heroic fantasy que dans les jeux vidéos.

Puis on avance dans le temps : Doom, Alone in the dark, Final Fantasy IV, Tomb Raider, Counter-Strike. Les années 2000 perdent en authenticité ce qu’elles gagnent en graphisme (discours de vieux briscard). La fin de la visite est rythmée au son de la Macarena : « Samba de Amigo » sur Wii. Les années 2010 rejoignent les années 1980 : un jeu de retrogaming (nostalgie 2.0 pour la 2D de grand-papa) clôt l’expo. C’est un jeu de pong qu’on peut tester sur écran LCD… Le pixel fait trois fois ma tête : un vrai piège à épileptiques. Je me dirige vers la sortie.

Le Grand Palais avait été édifié pour l’Exposition Universelle de 1900. Un siècle après, elle accueille un monde virtuel qui a explosé dans le monde entier et a imposé sa culture. J’ai pris autant de plaisir à jouer à Contra III que, j’espère, j’en prendrai devant un Picasso de la collection des Stein, la semaine prochaine sous cette même nef. Au fond, je me demande si les jeux vidéos n’ont pas été, finalement, les premiers arts visuels que j’ai appréhendés, influençant ainsi mes goûts et mes couleurs.

En guise de PS (vous avez vu ce jeu de mot ? Ah ah), une petite colle pour les warriors : saurez-vous retrouver le jeu ci-dessous, rien qu’en écoutant ce qu’il provoque chez ses joueurs ?

– Tire sur les trucs rouges, c’est « a » pour tirer ! Passe dans l’anneau !
– Récupère les vies !
– Esquive, là, essaye d’éviter de te les manger !
– Dégomme le vaisseau, il n’est vulnérable que quand les trucs sont allumés !
– Il t’a touché dans l’aile !
– Explose le triangle !
– Lui, il va te servir dans la mission 2 !
– Ah, t’as pris la ligne directe !

La réponse au quizz en cliquant http://www.rmn.fr/Game-Story/

7 commentaires

  1. Putain, ce que j’ai pu passer d’heures sur Alex Kidd, le matin avant d’aller à l’école, à même remonter le réveil à 5H du matin pour terminer un niveau. Ca, c’est de la madeleine Proustienne.
    Et totalement d’accord sur l’approche sociologique de ce papier, la Neo Geo était définitivement pour les fils de riche.

  2. Et encore vous êtes passés à côté de choses comme Delphine Software, King’s Quest, SRAM, le Spectrum, Fruity Frank, l’Amstrad CPC6128…

    Sweet 80s, where art thou ?

  3. Un peu de sérieux que diable, le jeu vidéo n’est pas une sous-culture, c’est l’art du XXIème siècle. Il me semble l’avoir déjà dit autre part, je radote.

  4. Le fait est que la plupart de ces vieux jeux 8 bit exigeaient des réflexes de Jedi; un pote a ressorti sa NES il y a quelques mois. Essaie de finir Probotector avec tes 3 vies… Il faut être un autiste pour y arriver. Alex Kidd c’était encore pire. Et puis il n’y avait pas de sauvegarde, il fallait tout se retaper quand tu te faisais avoir par le boss de fin. Quelque part, ça façonnait un caractère.

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