En 2002, Steve « Fujiya » Lewis et David « Miyagi » Best sortaient leur premier essai rock coquet tendance IDM un peu naïve. A l'époque, l'ensemble de la planète rock est trop occupé à se palucher allègrement sur le premier Strokes et passe à côté. Dix ans plus tard, tout le monde fait de l'electro-rock et les Strokes sont morts. Mais Fujiya & Miyagi ne souffrent aucune mode : « Artificial Sweeteners », leur cinquième et dernier album, donne une leçon de style à tous les présomptueux.

Fujiya & Miyagi aiment prendre leur temps pour fignoler les détails, lire Nabokov et s’en inspirer tellement qu’ils nommeront leur deuxième album d’après un de ses bouquins, « Transparent Things ». Une bonne note sur Pitchfork et une petite synchro-pub (Collarbone pour Jaguar) plus tard, F&M se prennent finalement le succès dans la gueule. Ils quittent leurs jobs, sont maintenant quatre et affinent leur style d’inspiration kraut-rock minimaliste.
S’ensuivent deux albums, et les mecs s’empêtrent un peu. Trahis par leur principale alliée, la réalité, dans laquelle ils n’ont plus le temps de puiser depuis que les tournées s’enchaînent, ils sont vite au bord de la caricature et même le coup de main de Tom Manahan -producteur de Devendra Bahnart, sur « Ventriloquizzing » en 2011 n’y fera rien.

Fujiya-and-Miyagi-Artificial-Sweeteners-SignedDepuis cette sombre histoire, F&M ont pris du recul. Steve et David ont découvert les joies de la paternité, ce qui a du les faire réfléchir à deux trois trucs sur la vie, Matt Hainsby (le bassiste) orchestre son side-project Ampersand et Lee Adams doit sûrement être en train de fouiner des trucs dans son coin, lui aussi. Toujours est-il que les quatre rosbeefs ont retrouvé leur fraîcheur de vivre et ont décidé d’abandonner leur côté pop relou pour augmenter ostensiblement les BPM, ce qui n’est pas pour me déplaire. Sans abandonner leur amour des petites basses funky (James Murphy si tu m’entends) et des envolées un peu lyriques, ils osent les incartades techno et acid qui insufflent à leur musique une nouvelle vigueur et donc plus de force dans le propos.

Justement, le propos. Ecrivant sur tout et au sujet de rien, David Best chuchote des poèmes surréalistes qui rappellent que Damo Suzuki et Gainsbourg sont assis à côté de Nabokov sur le banc des références. Comme ce dernier, Best est à la recherche du « détail divin », il joue avec les mots pour élaborer une histoire qui n’est en fait qu’un prétexte à des digressions sur la vie ordinaire. Son espièglerie littéraire rappelle les jeux de l’Oulipo. Pour eux, la liberté se développe grâce à la contrainte, alors ils jouent à tordre la sémantique, stimulés par la perspective de renouveler la littérature en se basant sur l’invention de nouvelles contraintes d’écritures.

Moins accessible que « Transparent Things », « Artificial Sweeteners » fait partie de ces albums qu’il faut écouter plusieurs fois avant d’en saisir la densité. La simplicité apparente des arrangements et des paroles est un leurre pour le réfractaire qui trouve que ça sent le réchauffé. En mettant l’accent sur la forme plutôt que sur le fond, Fujiya & Miyagi laissent ouvertes les infinies possibilités d’interprétation et laissent leur public imaginer la fin de l’histoire. Il est là, le génie.

FUJIYA & MIYAGI // Artificial Sweeteners  // Yep Roc
http://www.fujiya-miyagi.co.uk/

En concert le 14 juin au Nouveau Casino

2 commentaires

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