Dix ans après la fameuse prophétie apocalyptique de 2012, celle qui devait condamner l’humanité entière à son extinction via un large panel de catastrophes naturelles, Brian Eno revient avec un nouvel album aux thématiques voisines, « ForeverAndEverNoMore « . Et contrairement aux habitudes du pape de l’ambient, ici la voix est au centre de l’œuvre.

Athènes, 4 août 2021. Une vague de chaleur frappe la Grèce, les températures dépassent les 45 degrés, les forêts brûlent comme partout ailleurs. Quelque chose s’installe sur l’Acropole, une scène, du son. Deux semaines plus tôt, au Texas, Jeff Bezos envoyait une fusée dans l’espace, dilapidant des milliers de litres de carburant pour concrétiser sa dernière lubie (remerciant au passage les salariés largement exploités d’Amazon, sans qui rien de tout cela n’aurait été possible, évidemment), dans un genre de doigt d’honneur absolument décomplexé à la terre entière.

La nuit tombe à Athènes. Brian Eno marche sur l’Acropole, qui sera ce soir le théâtre d’une performance live de son dernier morceau, There Were Bells, issu du nouvel album « ForeverAndEverNoMore ». Il est accompagné de son frère Roger. C’est sa première scène depuis onze ans, elle est lourde, suffocante parfois, mais finit par se libérer et monter aux étoiles, comme un cantique millénaire. Pour la première fois depuis 2004, Brian Eno chante, ou plutôt psalmodie des paysages dignes d’un William Blake exalté :

There were horns as loud as war that tore apart the sky
There were storms and floods of blood of human life
Never mind, my love, let’s wait for the dove
Fly back to tell us there is a haven showing nigh

Brian Eno, constat d’urgence

L’expérience du « Live at Acropolis » est déjà solennelle, mais elle revêt pour le compositeur une symbolique toute particulière : « nous sommes ici au berceau de la civilisation occidentale, pour observer ce qui est sans doute son déclin ». C’est là tout le propos de son album au titre déjà évocateur, une élégante manière d’avertir que l’humanité a mangé son pain blanc. « ForeverAndEverNoMore » est ainsi une œuvre profondément personnelle et préoccupée, marquée par un constat d’urgence (pour reprendre NTM), celui du désastre écologique et de la fin d’un cycle. Eno le dit lui-même, certaines choses ne seront plus jamais comme avant, et d’autres sont tout simplement vouées à disparaître. S’invite alors une forme de noirceur, une mélancolie qui se ressent et transpire sur certains morceaux proprement angoissants, comme l’apocalyptique Garden Of Stars.

 

La thématique, autant que ce sentiment d’urgence face à un danger imminent, est encore plus lourde de sens venant de celui qui fondait en 1996 The Long Now Organization. Cette fondation culturelle ambitieuse, rassemblée autour de Brian Eno, vise à défendre une pensée large, horizontale et portée sur le long-terme (visant un horizon d’environ dix mille ans pour régler les problèmes de l’Humanité) dans un genre d’humanisme optimiste.
À l’époque, les intellectuels philanthropes de la fondation observaient l’avènement d’un âge du « tout, tout de suite, plus vite et moins cher » qu’ils prenaient à contre-pied en défendant des valeurs comme la patience et la réflexion. Vingt-cinq ans plus tard, la patience, l’optimisme et l’humanisme au long terme semblent malheureusement dépassés par les événements, et Eno se fend d’un nouvel album en clair-obscur.

Toutefois, l’album présente une certaine ambivalence, et comme la définition même de l’apocalypse, il porte un certain espoir. Brian Eno n’est pas un oiseau de mauvais augure. Il n’est pas un illuminé arpentant les rues, pancarte sur le torse, annonçant une imminente fin du monde. S’il partage ses observations et réflexions préoccupées, il garde l’optimisme comme étoile du berger : « nous devons tomber amoureux à nouveau, mais cette fois-ci, de la nature, de la civilisation, de l’espoir en l’avenir ». Certes, ça sonne tout de même un peu prêchi-prêcha New Age, mais après tout, pourquoi pas. Certains morceaux sont ainsi d’une réelle tendresse, et « ForeverAndEverNoMore » oscille ainsi sur cette dichotomie, pour finir sur la note paisible et lumineuse de la longue pièce Making Gardens Out Of Silence.

 

Si musicalement, Brian Eno ne se réinvente pas vraiment sur son dernier album, en restant dans les limbes de son ambient cosmico-spatial, la grande nouveauté (si l’on peut dire), c’est surtout celle du retour au micro. Et forcément, quand on ne pose sa voix qu’une fois tous les dix-sept ans, celle-ci a tendance à changer. Le timbre descend dans les graves, il se fait plus rocailleux, plus profond, plus solennel, chargé d’émotions et d’une forme de sagesse. Un instrument tout à fait adapté, donc, pour cet album qui aurait pu rester purement instrumental et réussi en tant que tel, mais qui donne une certaine profondeur aux lents psaumes de l’ex Roxy Music, sonnant ici plus gourou que jamais.

Ce retour à la voix est aussi une manière de ramener de l’humain dans la composition : « en tant qu’artiste, je crée des mondes sonores, dont les humains ont longtemps été absents. Cette fois-ci, j’ai essayé de les ramener dans ces mondes pour voir comment ils s’y sentent ». Et dans les faits, Brian n’a pas hésité à ramener toute la famille sur son dernier projet, notamment son frère Roger, mais aussi sa nièce Cecily et sa fille Darla, qui l’accompagne au chant sur We Let It In (qui rappelle le Let Em In des Wings, certes dans un autre registre), comme une sorte de grande célébration de retrouvailles et de transmission familiale. Ainsi, si sur bien des aspects « ForeverAndEverNoMore » sonne comme un album marquant aussi bien le retour d’un monument que la fin d’une ère, il est aussi l’instrument d’une passation et la voix d’un paisible optimisme.

Brian Eno // ForeverAndEverNoMore // Universal, sortie 14 octobre 2022.

6 commentaires

  1. si gonzai pouvez faire d recherches sur brianE santos (assez facile) & l’interwieuvé, vous verriez le futur du rock’n’roll (acoustic!)

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