Deux disques se sont étrangement téléscopés en à peine un mois : l’édition d’un album d’inédits des lyonnais power-pop Floo Flash, « Moderne », et le cinquième album solo de son guitariste, Hervé Paul. Passé et présent se sont retrouvés, comme pour sceller la réunion d’une aventure musicale aussi riche que tristement méconnue, dont la constante fut l’élégance.

L’Ecole Nationale des Travaux Publiques de l’État, acronyme ENTPE, est située au coeur de Vaulx-En-Velin. Il n’y a en fait rien de bien brillant. Vaulx-En-Velin est une triste ville de la banlieue de Lyon, l’une des plus sinistres. Traverser la ville avec attention ne vous permettra pas de distinguer quartiers résidentielles et centre-ville. Parfaite cité de béton, elle n’a pas le moindre charme, contrairement à sa voisine, Villeurbanne, à la délicatesse désuète, typée années trente. Sa proximité plus immédiate avec Lyon n’est pas non plus sans lui apporter de l’attrait. Vaulx-En-Velin est une triste banlieue dortoir où l’on entasse les ouvriers et les employés de bureau.

C’est au coeur de cette agglomération que fut construite l’ENTPE, formant les ingénieurs des travaux publics de l’État, la volonté étant, dans les années soixante-dix, de favoriser la mixité sociale. Qu’une partie de la future élite du pays se retrouve au coeur des quartiers populaires se justifiait ainsi. Cela n’était pas sans soucis pour la vie sociale des étudiants : sortir en ville à Lyon était des plus ardus, d’autant plus que le métro n’existait pas encore. Les élève de l’ENTPE créèrent donc une maison des étudiants, encouragée par la direction, qui voyait d’un bon œil le fait que ses élèves restent entre eux, curieux paradoxe entre leur localisation voulue dans une idée de mixité sociale, et le soulagement de les maintenir en autarcie.

En 1980, le rock a ses salles dédiées à Paris : Golf Drouot, Gibus, Rose Bonbon. En province, c’est une autre histoire. Les Maisons de la Jeunesse et de la Culture (MJC) font leurs apparitions en 1971 suite à la demande grandissante de spectacles pop pour les jeunes. Hormis les pointures internationales comme les Who ou Led Zeppelin, les groupes doivent se produire sous des chapiteaux minables ou des boîtes de nuit. Les Variations, Ange, Magma et Gong ont défriché le circuit de province, jouant dans des endroits parfois totalement insolites. Peu de formations osent s’aventurer au-delà du périphérique, perdant souvent de l’argent à chaque set.

Avec l’arrivée de la seconde vague du rock français, les choses se structurent. Téléphone, Bijou, Little Bob Story, Océan, Ganafoul jouent partout : salles des fêtes, clubs, MJCs, petits théâtres, festivals en plein air.

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Les grandes écoles sont une autre source de prestations : dotées d’une salle de belle taille, assurant la venue d’un public généreux, les petits groupes locaux comme les formations étrangères en démarrage trouvent là de belles occasions de se produire. Déjà, sur Paris, Polytechnique, Sciences Po… font venir des groupes pour leurs bals de fin d’année. Jimi Hendrix effraya les jeunes blancs à la Faculté de Droit de Paris en 1967. La plupart, moulées dans leurs robes de soirée, dévorèrent des yeux ce jeune homme métis à la sauvagerie musicale incroyable.

20 février 1981. La maison des élèves de l’ENTPE organisa un concert d’un jeune groupe irlandais montant : U2. Ils se sont fait remarquer par un mini-tube nommé I Will Follow, sur leur premier album « Boy ». Il faut une première partie, et un petit quatuor local, nommé Floo Flash, assurera la dite session. Le set devait être sacrément palpitant. Voilà deux groupes prêts à bouffer la vie. Malgré un répertoire imparfait, ils ont tout donné, comme des furieux. Se mettre dans la poche deux cents gamins est toujours bon à prendre.

La concurrence fut toutefois rude. U2 était la vedette, groupe étranger, avec déjà deux albums de rock héroïque-New Wave au compteur. Mais le petit quatuor lyonnais donna du fil à retordre. Solidement implanté dans le paysage musical lyonnais, les Floo Flash étaient de toutes les les belles premières parties : Dogs, Starshooter, U2…

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Le bassiste Denis Bourboulon et le batteur Pierre Schussler, alias Schuss, formèrent le trio Diamant, car grands fans de … Bijou. Le trio devint Dialyx en 1979, puis Floo Flash en 1980 avec l’arrivée de Jean-Luc Mangold au chant et de Hervé Paul à la guitare. Déjà, le rock français n’était pas dans sa meilleure forme. Certes, Téléphone sortit son meilleur album, « Au Coeur De La Nuit », et Trust fit de même avec « Répression ». Mais les groupes de seconde division eurent déjà à baisser la garde : le Little Bob Story original n’existait plus, Ganafoul et Starshooter non plus.

Floo Flash mélangeait chant en français, rock nerveux et power-pop inspirée des Dogs. Ils firent plusieurs premières parties : Bijou, les Jam de Paul Weller. Il n’y avait que peu de traces sonores de leur aventure sonore. « Moderne » réunit enfin les bandes pour Polydor France de 1985, et celles de concerts de 1982 et 1981 à la télévision suisse. Il régnait beaucoup d’espace dans cette musique. Les chansons de 1985 s’aventuraient dans la new wave. La musique était parfois squelettique, raide, sèche, amère.

Les prestations live de 1982 et 1981 sont superbes. On découvre toute la nervosité de ces quatre garçons, leur talent. Hervé Paul y est brillant. La fougue de sa main droite pour coller les accords nerveux laisse pantois. Les prestations ont été nettoyées du mieux que la technologie le permette. Mais le talent est effarant. Malgré la prise de son bancale, Floo Flash serre les dents. Leur force naturelle est implacable. L’écoute de ce bel album est un amer gâchis. Bien sûr, des groupes pop, il y en eut des bons en Grande-Bretagne. Mais aucun n’avait autant cette classe en 1982 que ces discrets amateurs que furent Floo Flash, dans la droite lignée des Dogs.

Le contrat tant rêvé avec Polydor en 1985 les mènera dans une voie de garage. La nerveuse prestation de Un Homme Qui Sort De L’Ordinaire est l’épitaphe de cet incroyable quatuor que tout le monde à oublier, quand bien même leur réputation dépassa quelques cercles parisiens ou lyonnais. Et ce terme est bien maigre. Floo Flash dépassa largement la région lyonnaise. Golf Drouot, Gibus, Rose Bonbon s’offrirent à eux, sans réel résultat, à part cette maigre session de 1985, sur laquelle déjà, Floo Flash délivrait une pop plus aride et désenchantée, à la hauteur de Joy Division.

Hervé Paul débutera une carrière solo en 1988 qu’il voyait en trois volumes. Son travail de réalisateur lui permit de faire connaissance avec bien des idoles de son cru. Floo Flash devint un souvenir un peu amer. Toutes ces chansons, aussi belles qu’imparfaites, resteraient à jamais un souvenir de jeunesse.

Sa carrière fut donc sacrément belle, pour un homme que personne ne connaissait. Il croisa bien des routes, posa ses accords auprès de Johnny Thunders à la fin des années 80. Il était devenu ce secret bien gardé que l’on se colportait entre amateurs. Tu cherches un guitariste vif, avec du nerf et de la classe ? Eh bien, je te passe le numéro de téléphone de Hervé Paul. Il bricole dans le cinéma, mais il n’hésitera pas.

Il voyait donc sa carrière solo en trois volumes, il en fera quatre. « Le Chemin Des Dames » devait clore sa carrière en 2008. Il activa un groupe sans suite, les Ex. Des chansons sortirent au tournant des années 2010, et puis rien. L’envie, elle, fut difficile à éteindre.

Ce nouvel album est produit par Mark Plati, l’un des derniers producteurs de Bowie. Il y a Pete Thomas, batteur des Attractions de Elvis Costello, et puis Charles Giordano au piano, fidèle compagnon de Bruce Springsteen depuis dix ans. « #5 » est un album réunissant des chansons issues des sessions des Ex, il y a bien longtemps, et puis d’autres… Et puis on s’en fout. Dix chansons sont présentées sur cet album, et elles ont indiscutablement l’âme héritée de Floo Flash. Le nerf, la candeur, l’élégance, une vision cinématographique, déjà… Tout est intact.

« #5 » est un disque étrange. Il croise de multiples influences. Il y a la voix très chanson française de Hervé Paul. Et puis il y a la musique derrière, croisant power-pop des Raspberries et Americana à la Fleetwood Mac/CSNY. L’alliage est des plus audacieux, mais ça fonctionne.

En fait, personne ne peut le faire à part à Hervé Paul. Parce que c’est une culture musicale, et fusionner tout cela est délicat. Mais il l’a fait. C’est La Vie, Omaha Beach, Puisque La Vie Continue… sont autant de ces sommets. Pour Ma Lolita a cet aspect cinématographique qui transpire du talent personnel de Paul. Ce cinquième album a toujours la classe, l’élégance de cette power-pop impeccable qui vibre entre Floo Flash et Hervé Paul en solo.

Hervé Paul vient de poser un superbe album mêlant ce qu’il aime, des audaces chanson, tellement belles et fougueuses qu’elles rappellent ce concert à l’ENTPE de Lyon avec les furieux Floo Flash, lorsqu’ils croisaient le fer avec U2, Dogs, Starshooter…faisant résonner les murs de béton de Vaulx-En-Velin, un soir de 1981.

Floo Flash // Moderne // Simplex Records)
Hervé Paul // 5 // Dispo sur son Bandcamp

13 commentaires

  1. Histoire de rendre à César ce qui appartient à César, il faut rendre grâce à l’illustre Emmanuel De Buretel élève-ingénieur à l’ENTPE pendant cette époque bénie.

  2. Bonsoir Julien
    est-ce que l’article est paru dans le magazine ? Et bien sûr lequel…
    Merci.
    PS : c’est fou le nombre d’abruti qui ne savent même pas écrire… cf pok&moon et autres…

    1. Bonsoir Denis. Il n’est paru que sur le site internet de Gonzaï. Le magazine a un contenu bien spécifique, souvent thématique. Le site et le magazine sont deux choses complémentaires.

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