Capture YouTube « What They Call Us »

Karin Dreijer venant tout juste de sortir un nouveau titre, What They Call Us, il fallait bien en parler. Et la tâche m’est tombée dessus alors que je ne connais que trop peu l’œuvre de la Suédoise connue pour jouer à cache-cache depuis 1994 (source : Wikipedia). C’est en tout cas ce que je pensais avant d’écrire ce papier.

Lorsqu’on m’a proposé de donner un avis sur le retour de Fever Ray, Karin Dreijer dans la vie la vraie, j’ai instinctivement répondu par l’affirmative. Un peu à la hâte, car il faut dire que je suis loin d’être aux pièces sur la carrière de l’ex-moitié de The Knife, groupe que la Suédoise pilotait avec son frère Olof. Pour être honnête, en 2009, lorsque la chanteuse sortait son premier essai solo, « Fever Ray », mes préoccupations principales étaient plutôt de savoir si ma professeure de Français du lycée allait capter que j’étais défoncé pendant ses cours. Et… c’est à peu près tout. J’étais à des années-lumière de m’imaginer que son disque était aussi remarquable que nous l’écrivions dans cet article. Extrait :

« Dans ce contexte disco-festif à capitaux réinjectés, Fever Ray s’affirme comme l’exact contraire de tous les possibles. Froid, glacial, cold-wave, digne descendance du meilleur de Massive Attack lorsque le gang de Bristol laissait les stores encore à demi-clos. Blue lines, ou l’angoisse des années 90 qui, pensait-on, ne finirait jamais : Aimer son époque, parce que c’était la pire ; aimer le pire, parce que c’était notre époque. »

Après coup, je n’ai rien à redire sur la qualité de cet album qui, je le conçois maintenant, a pu marquer un large panel d’auditeurs (des plus vieux que moi, s’entend). Enfin si, peut-être un petit détail. À la différence de ceux qui l’écoutent depuis sa sortie, je ne l’ancre pas dans une époque précise et ne ressens donc aucune nostalgie particulière — un détail important pour la suite, vous verrez. Quoique peut-être un peu avec le titre d’ouverture, If I Had A Heart, qui s’était retrouvé en musique du générique de la série Vikings. Ah, REP Ragnar Lothbrok… !

Faisons maintenant un bond dans le temps. De 2009 on avance à 2014. Ma chère professeure n’a pas remarqué mes petits yeux rouges en forme d’amande et, bac en poche, je me gèle les miches à Montréal. Karin Dreijer vient de s’affranchir de son frère après avoir honoré une ultime tournée, dont le clap de fin a retenti à Reykjavík. Avec la chanteuse, nous n’avons toujours pas entendu parler l’un de l’autre. Continuons de défiler les années. 2017, mes yeux ne seront plus jamais rouges et je débute mon taf de journaliste dans un magazine « concurrent ». Fever Ray, elle, commence doucement à teaser la sortie d’un deuxième album, « Plunge ». C’est ici que notre relation va s’accélérer.

Au petit matin du 6 novembre 2017, j’arrive à la rédaction tout heureux à l’idée de taper des news. Mon ancien chef me lance sur le premier papier de la journée : un partage de clip. J’ouvre le lien et tombe sur Mustn’t Hurry de… Fever Ray. Je me rappelle encore de la découverte en images et en sons de ce single, deuxième extrait de « Plunge ». D’emblée, je suis saisi par ce sentiment d’horreur et d’envie, vous savez, celui qui vous pousse autant à regarder qu’à préférer détourner le regard. En même temps, tout au long des 4 minutes du titre, la chanteuse est couverte d’argile et caresse un spéculum. Ensuite, le son. Tout de suite, sa voix presque nue, presque métallique, se confond dans une mélodie convoquant autant des flûtes de pan que des synthétiseurs. Une rencontre étonnante, vraiment.

L’album est sorti depuis peu, alors je me le passe pour avoir un avis. Disons que je reste mi-figue mi-raisin. Il y a des choses que j’aime, IDK About You pour ses BPM haletants et cette voix trafiquée au possible. D’autres, pas vraiment, notamment le violon strident de Red Trails. Finalement, je crois que l’ensemble m’échappe un peu, mais j’ai de tout de même l’impression de comprendre que ce disque raconte une sorte de transformation. Je connais désormais Fever Ray et bientôt elle aussi. Quelques jours après ce premier article sur elle, on me somme d’annoncer sa tournée qui passera par… l’Olympia de Paris. Pour me récompenser de mes deux news pertinentes, mon chef me demandera de l’accompagner à ce concert. Même si je reste à moitié convaincu par « Plunge », je me dis qu’en live, la balance pourrait plus pencher d’un côté que de l’autre. Puis, de toutes les manières, j’adore sortir. J’accepte son invitation.

19 mars 2018, Olympia de Paris. J’ai réécouté l’album de Fever Ray en attendant son concert. Je n’ai pas changé d’avis. Le show commence. Il y a pas mal de chansons que je ne connais pas — j’en déduis qu’elles appartiennent à Fever Ray — et d’autres que je reconnais mollement. Au vu des autres spectateurs, j’en conviens que la Suédoise nous livre ici une bonne prestation. Arrive le dernier morceau. Mon chef et moi sommes au premier rang. Avant de quitter la scène, d’un air très décomplexé si vous voyez ce que je veux dire, je crie son nom pour la saluer. D’un revers de main et d’un léger sourire, Karin Dreijer me renvoie la pareille. Elle sait désormais que j’existe. Notre histoire s’arrête ici. Elle ne reprendra que des années plus tard.

5 octobre 2022. J’ai changé de rédaction. Fever Ray, elle, vient tout juste de sortir un nouveau titre, après 5 ans d’absence. Une période qui m’a presque fait tout oublier d’elle. Enfin, jusqu’à cet après-midi, moment que mon nouveau chef a choisi pour me demander de commenter ce What They Call Us. Je me suis lancé, en précisant que je ne connaissais pas grand-chose de sa carrière solo. J’ai posé les premiers mots de cet article et cette histoire m’est revenue. Les souvenirs qui vont avec, aussi.

De façon purement analytique, je reconnais certains éléments de « Plunge ». Ces percussions inspirées, ces claviers déformés, ces manipulations de voix. De façon plus personnelle, j’éprouve à nouveau cette sensation de clair/obscur propre à son univers. Ce single écrit et co-produit par son frère Olof Dreijer ne dénote finalement pas par rapport à ce que la Suédoise a pu faire jusqu’ici. Appelle-t-il une suite ? Il semblerait que oui.

À l’origine, on me soufflait dans l’oreillette que son retour était décevant. Je ne le pense pas. J’ai simplement l’impression qu’il est juste différent de ce que la Suédoise a fait avant. Si on reste sur cette idée de transformation qu’elle a entamée avec « Plunge », disons sans complexe que Fever Ray ne ment pas, au moins à elle-même. Pour ma part, maintenant que ce texte est posé, je ressens aussi, à ma manière, une forme de « nostalgie » à son contact.

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