© Titouan Massé

Ça devient de plus en plus évident : Visions est en train de devenir l’un des meilleurs festivals de Bretagne.

Lancé en 2013 par les Disques Anonymes, aussi organisateurs du festival Treize à Rennes, Visions fêtera sa septième édition cette année. Et malgré une édition annulée en 2015 qui entraînera un changement de site, les Disques Anonymes semblent aujourd’hui bien installés au Fort Bertheaume. S’il est inutile de rappeler la difficulté de jouer avec les contraintes quand on organise un festival, Les Disques Anonymes, eux, s’en rajoutent chaque année en imbriquant dans l’artistique, de la politique et de l’écologie. C’est d’ailleurs ce grand tout que l’on retient quand on discute avec Guillaume Derrien, l’un des fondateurs et programmateur du festival Visions.

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Crédit photos : Politistution

C’est la septième édition, on peut faire un bilan depuis le projet initial ?

Il n’y avait pas vraiment de projet. On avait été invités dans un festival par des amis niçois puis on leur avait rendu la pareille et c’est ça l’origine de Visions#1. On avait quelques idées de ce que l’on avait envie de faire et on était amateurs ; c’était un one shot et on n’avait pas l’intention d’aller plus loin… mais on s’est rendu compte qu’on aimait ça et on était content de refaire une édition l’année suivante, sans même envisager de ligne artistique ou de déroulé. Ça s’est fait naturellement chaque année selon les enjeux de taille, parce que ça a changé entre les premières éditions et aujourd’hui. À chaque fois, on a dû adapter la programmation, l’accueil, et les propositions culturelles et politiques.

« Pas de subvention, pas de partenariat, pas d’argent privé, pas d’argent public ».

Alors à quel moment Visions devient-il un projet sur le long terme ? Est-ce que ça peut s’arrêter demain ?

Oui, on a clairement ce truc-là de se dire à chaque fois que potentiellement, c’est la dernière édition. Et ça a failli l’être à plusieurs reprises d’ailleurs, puisqu’il n’y a pas eu de troisième édition de Visions et l’année dernière après le Treize, on n’était pas loin de mettre la clef sous la porte. On n’est pas des pantouflards. On ne va pas monter un petit truc pépère, trouver une formule qui marche et vendre ça pendant vingt ans. Ça n’a pas d’intérêt. Tant qu’on n’est pas sur la brèche artistiquement, politiquement… L’idée c’est d’avoir un modèle en accord avec ça, et ça veut dire : pas de subvention, pas de partenariat, pas d’argent privé, pas d’argent public. On est 100% redevables des festivaliers. Donc on est sans filet. Et on continue à prendre des risques en payant les conséquences par nous-mêmes. Personne ne viendra nous sauver si on se crashe. Ce sera juste nous qui ne serons plus en phase avec le public et ça mettra un terme à ce projet et c’est très bien comme ça.

Jouer en étant sur la brèche en permanence et avoir un public qui suit : est-ce que ce n’est pas seulement ça le projet de Visions ?

On a quand même développé une ligne artistique, surtout sur les quatre éditions au Fort de Plougonvelin, de mon point de vue et en toute humilité. Parce que c’est une petite équipe et qu’on n’a pas tant de prétention que ça. Mais effectivement, il y a cette remise en question du modèle du « festival » tout court avec la volonté de le mettre tout le temps en porte-à-faux, d’être sur la brèche, de prendre des risques et voir où ça nous mène. Maintenant, on n’a plus les mêmes problématiques qu’au début car sur les premières éditions, on n’était assurés de rien. On n’avait pas de public, ni la petite notoriété que l’on a aujourd’hui qui nous permet de ne quasiment plus faire de pub. C’était plus compliqué. Aujourd’hui, on a des problèmes de riches qui nous permettent de prendre plus de risques et c’est quelque part un peu grisant de pouvoir faire des trucs un peu radicaux… On a aussi des idées qui font le moteur de l’équipe et on a plein de projets sur le feu. On en a un sur le véganisme [devenir un festival vegan, NdlR], un sur l’abandon des avions [ne programmer que des artistes qui ne prennent pas l’avion pour se rendre au festival, NdlR]. Parce que faire un festival, il n’y a plus trop de mystère.

« On peut se tromper, ça arrive. Mais si on s’est planté c’est qu’on n’a pas pris les bons risques. »

Tu parles de chantier. C’est une constante de toujours être « dans l’évolution » avec un festival qui grandit, voire qui se duplique avec le Treize… C’est nécessaire de « grandir » ?  

Disons que les deux premières éditions, on n’avait aucune idée de ce qui allait se passer. L’année où il n’y a pas eu d’édition, on a quand même continué à bosser, à chercher des lieux, et ça a permis de mettre en place un projet sur le long terme. Pour ça, il faut avoir les moyens de ses ambitions quelque part, donc une progression en termes de jauge, même si elle est petite. Ça fait partie du projet et d’avoir les moyens de mettre en place des dispositifs, une programmation artistique et un accueil public. Ça fait partie d’un grand tout et d’une prise de risque. De 500-700 personnes sur Visions #2, on est passé à 2 000 d’un coup sur Visions #4 après un an d’absence. C’était un peu un coup de poker. Après, c’est ce que disent toujours les gens qui font des choses : si t’as peur de te planter, tu fais rien. Ça fait partie du truc. On peut se tromper, ça arrive. Mais si on s’est plantés, c’est qu’on n’a pas pris les bons risques.

 Oui mais c’est pas du simple suicide, c’est toujours un risque contrôlé…

Le risque contrôlé… On ne fait pas de salariat, on ne s’engage sur rien, donc personne ne compte sur nous. Y a beaucoup de personnes sur le projet mais on n’est responsable de personne. On a un bureau qu’on paye 150 balles par mois. On a aucun actif. Le projet peut s’effacer demain d’un claquement de doigts, c’est fini. On ferme notre compte en banque et on n’en parle plus. C’est ce qu’on explique à tout le monde. C’est risqué et y a aucune garantie. Et personne n’aura un CDI à Visions. C’est antinomique.

« Personne n’est propriétaire ou ne sera fonctionnaire du festival ou en CDI. »

Tu emploies le futur de façon très décidée. C’est quelque chose de compliqué ou c’est quelque chose d’absolu ?

On est attentifs. Quand on voit le Freakshow ou le Baleapop qui arrêtent au bout de dix ans, ça nous fait réfléchir. David et moi qui sommes porteurs de ce projet depuis sept ans, peut-être qu’à un moment on aura envie de passer à autre chose aussi. Mais est-ce qu’on arrêtera comme les gens de Baleapop ou Freakshow ? Ou est-ce qu’on passera la main à quelqu’un d’autre ? Et qu’est-ce qu’ils feront eux ? Je sais pas… En tout cas, tant que David Moreau et moi sommes porteurs du projet, le fait de le pérenniser avec de l’emploi, ce serait contradictoire avec notre vision de prise de risque. Et ne pas se laisser dans un confort qui serait agréable mais qui ne serait pas gagnant selon mon point de vue artistique, et peut-être politique aussi.

Le confort, ça tue ?

Malgré tout, non. Car les gens qui bossent avec nous ont besoin d’un salaire… En attendant le grand soir, on est tous soumis au même quotidien où on doit aller bosser et payer son loyer. Et tout travail mérite salaire, je comprends qu’on ait besoin d’un certain confort. Moi-même je ne te cache pas que souvent, j’aimerais un tout petit peu de confort pour vivre. Mais voilà, c’est Visions et la manière dont on l’a construit. Ce ne serait pas honnête d’à la fois revendiquer ce truc-là et en même temps de ne pas l’appliquer à nous-mêmes. Si ça marche bien, on a quelques cachets pour indemniser le temps passé dessus mais personne n’est propriétaire ou ne sera fonctionnaire du festival ou en CDI.

Parce que ça tue la créativité ? 

Au début, c’était un truc d’opposition aux grands festivals qui reposent sur une économie du maintien. Je ne cite aucun festival, et je n’ai rien contre ces festivals parce que c’est dur à faire ce qu’ils font… Mais voilà, on ne sait plus pourquoi ces festivals qui ont je sais pas combien d’années sont encore là, et ce qu’ils apportent encore. Peut-être que la mortalité de ces projets c’est une bonne chose mais c’est une vision hyper néolibérale et je ne suis pas sûr de l’assumer.

Squatter les subventions c’est très néolibéral aussi. Vous seriez plutôt anarchistes vous, alors ? 

Le truc de pas avoir de subvention… déjà j’ai pas la réponse à ça. La manière dont on subventionne la culture en France franchement, j’en sais rien. C’est un sujet qui revient toujours sur le tapis. J’entends des bons arguments d’un côté comme de l’autre. Avec Visions, on a le confort de pouvoir s’en passer et de ne pas donner une réponse. C’est confortable d’être dans cet entre-deux. Et c’est pas une vision libérale… mais quand le public ne rencontre plus les propositions des organisateurs, c’est peut-être que les choses ont été dites, et peut-être que quelqu’un prendra le relais. Ce qui est important, c’est la participation, que les gens payent et qu’ils sachent pourquoi ils payent. Et avec beaucoup de guillemets, on arrive à une forme d’autogestion assez embryonnaire.

Comme pour le Treize, le revers quand ça marche pas, c’est que tu n’as pas de filet… Comment ça s’est passé après justement ?

Les compromis se sont faits principalement sur le fonctionnement de l’association. Les gens qu’on devait payer, on leur a demandé de faire des efforts. Et après, on avait la chance d’avoir la trésorerie de Visions. Puisque le Treize était en avril, la billetterie de Visions nous a permis de payer les factures pour ne pas mettre la clef sous la porte. On a fait des choix sur la sixième édition : on a réduit un peu la programmation. On a joint des scènes. Dans ce cadre-là ça collait hyper bien avec Echap et Midi Deux qui avaient des problèmes. Pour nous, ça nous faisait faire des économies de les faire venir et eux, ils trouvaient un endroit donc ça donnait quelque chose de gagnant-gagnant, comme dirait Ségolène Royale. On a un peu augmenté le prix des billets, des bières et on a réussi à remettre les choses à l’équilibre. L’année dernière, c’était une belle édition. Il a fait super beau, c’était la chance qui nous souriait après le Treize. Il n’y a pas de formule magique, c’est mathématique. Et ça nous permet cette année de rebaisser le prix des places et celui de la bière. Ça passera sûrement inaperçu, mais pour nous, symboliquement, c’est assez fort. On a décidé de mettre des dispositifs en plus sur le festival et donc de reprogrammer pas mal d’artistes. On en a un gros nombre, donc c’est une programmation assez lourde pour un petit festival. On a changé un peu le fonctionnement de l’association avec des décisions plus collégiales. Donc voilà, on espère avoir assaini le truc.

Le Treize a encore un avenir ?

Carrément. À la base, il y avait le projet d’avoir trois festivals. L’idée d’avoir des évènements qui fonctionnent comme des chaînes de Ponzi… Je me souviens d’un mec qui faisait des festivals partout dans le monde et il se retrouvait dans un déficit de folie. Sauf qu’avec la trésorerie qui rentrait tout le temps en organisant toujours un nouveau festival, il arrivait à surnager en payant des prestataires en faisant rentrer des nouvelles trésoreries tout le temps. Ça me faisait penser aux chaînes pyramidales, comme l’avait fait Madoff alors moi je me suis dit : « Nous aussi on va faire un truc comme ça…» Avoir une trésorerie qui rentre tout le temps en multipliant les événements, plutôt que d’en avoir qu’un où on mettait tous nos œufs. Si on se crashait sur Visions on perdait tout, on n’a aucun moyen de remonter. Mais si on a trois évènements de la même ampleur ou similaires avec un roulement de trésorerie, ça permettrait d’amortir les risques inhérents à ce type d’organisation. C’est peut-être très naïf, mais c’est ce qu’on a essayé de faire avec Treize. Quelque part, ça a montré que ça marchait, parce que c’est la trésorerie de Visions qui a permis de combler ce trou. L’idée, c’est d’avoir trois évènements différents qui puissent se compléter, dans trois endroits différents avec des billetteries qui permettent de la trésorerie un peu tout le temps afin d’assurer financièrement la prise de risque par la multiplication des évènements. C’est toujours le projet. Là, on travaille toujours sur Treize pour le refaire cette année. Ce sera pas la même chose que Treize #2. Le modèle n’avait pas marché donc on ne va pas faire exactement « la même chose qui marche pas », il y aurait du panache mais bon… Ah ! Ah ! On est de nouveau dessus mais, comme on est une très petite équipe bénévole, ça dépend de tout ce petit monde qui gravite autour de Visions et de son implication du moment. Ça va sûrement se faire cette année ou l’année prochaine…

L’année dernière, la loi Collomb et les dérives sécuritaires avaient compromis pas mal de festivals… Aujourd’hui, on en est où ?

Il y avait eu des dérives assez lourdes des préfectures et des gendarmes, surtout sur Groix, c’était assez clair. Puis Collomb dans sa lettre avait remis les choses au clair, c’était pas très doux ce qu’il disait auprès de ses préfets et de ses gendarmes, ce qui a sûrement arrêté le processus. Nous, on en faisait pas partie, mais les gros festivals ont des fédérations et ils font du lobbying qui ont permis de recadrer. C’était assez opaque ce que faisaient les préfectures et les gendarmeries facturaient, qui n’étaient pas équitables d’un département à l’autre, et dont on ne savait pas ce que couvraient les factures. Il y a un terreau d’incompréhension en plus avec tout ce qui est free party. Je suis pas sûr qu’un gendarme fasse la différence entre une free party et le reste. Pour eux ce sont des drogués qui écoutent de la musique de drogués. Je caricature un peu volontairement mais on n’en est pas loin non plus. Nous notre volonté de rester petits nous protège un peu de ça. Mais après, ça ne veut pas dire que ça n’arrivera pas un jour. C’est encore un peu le far west ce domaine-là. Ça risque de se réguler mais ça risque d’être au détriment de tout le monde. Ce sont encore des frais qui vont se standardiser sur tous les festivals et y compris les petits. On travaillait sur les polices d’assurance il y a quelque semaines… les courtiers étrangers, luxembourgeois particulièrement, vendent des polices d’assurance pour les annulations sur annonce préfectorales administratives. C’est devenu tellement la roulette russe en France que c’est vendu comme un tremblement de terre, un attentat. Je trouve ça assez révélateur. C’est devenu imprévisible.

Et vous, comment ça se passe avec les riverains et le maire ?

Les riverains nous soutiennent dans l’ensemble, ils sont contents qu’il se passe quelque chose. Avant les zones littorales c’était plutôt : une boîte de nuit, des bars sur la plage… et au fur et à mesure, économiquement et administrativement, ces endroits-là ont fermé. Ils se retrouvent avec des zones où il n’y a plus d’activité. Donc il y a beaucoup de gens et de riverains qui sont contents de ces activités, de ce dynamisme, qu’il y ait des jeunes, de la musique, un endroit pour boire un verre passé 22 h. Nous au contraire on sent plutôt un soutien unanime. Après, on n’empêchera jamais les esprits chagrins qui se plaignent qu’il y ait du bruit. On est conscients qu’on fera pas l’unanimité.

Le site de Visions est ouvert l’après-midi aux familles et aux touristes, ce n’est pas enclavé….

Exactement. Parce qu’il y a beaucoup de festivaliers qui ne viennent pas de Bretagne et encore moins de la zone, on a eu peur qu’il y ait un aspect « invasion ». Donc il y a la journée qui est gratuite, et qui fait contrepoids à la nuit. C’est destiné aux riverains, aux touristes, aux gens des clubs de vacances qui viennent dans ce contexte familial, et nous, on n’imagine pas faire l’un sans l’autre. On parlait de soutien, mais on ne pourrait pas faire sans la mairie de Plougonvelin. On avance main dans la main avec les conseils municipaux dont celui de Plougonvelin avec qui on travaille depuis quatre ans et dont on a un soutien sans faille. On s’inscrit bien localement et on se sent les bienvenus.

Il y a aussi un discours rassurant avec vos projets sur l’autogestion, la protection de l’environnement autant naturel que social…

Oui c’est évident. Après ce sont des questions auxquelles nous avons été confrontés de suite. Quand tu ramènes 10 000 personnes dans un petit endroit comme ça, si on n’avait pas la fibre écolo, ce serait dramatique. Si on n’avait pas veillé en tant qu’organisateur à ce qu’on produit comme déchet, ce serait un enfer sur la plage et on n’aurait pas pu faire autant d’éditions. Et puis la cohabitation de tous ces publics différents entre les gens qui ne sont pas contents, les familles qui ne savent pas qu’il y a un festival et nos festivaliers sur la petite plage au pied du fort…. c’est pas simple à gérer, on a dû fixer ces règles de bienveillance même si j’aime pas trop ce mot… mais voilà, c’est une société et chacun doit être respecté. Ce sont des rappels simples mais c’est vrai qu’aujourd’hui ça ne coule pas de source dans notre pays.

Il n’y a pas à se congratuler de faire un truc qui devrait juste être normal pour tout le monde.

Ou alors ce sont des concepts pour choper des subventions… mais chez vous ça semble très différent puisque c’est présent depuis la première édition quand c’était encore à la ferme de Traon Nevez. Donc ça ne semble pas si tributaire du volume du public que vous accueillez…

Je comprends mais on peut pas se féliciter de quelque chose qui pour nous semble normal. Avoir des fournisseurs locaux, c’est normal. Trier nos déchets, on va pas s’en féliciter. De ne pas salir la plage, non plus. Etc. L’année dernière, on avait le projet sur l’auto-défense féministe, l’acceptation des minorités sexuelles, on ne peut pas non plus se vanter de ça. On essaye de le faire mais sans avoir de revendication. Parce qu’il y a pas à se congratuler de faire un truc qui devrait juste être normal pour tout le monde. Comme le fait de se respecter sur la plage. Qui irait revendiquer le contraire ? Nous, on fait simplement ce qui nous paraît normal et on se revendique pas de la normalité. Impossible.

Mais ce qui est normal pour toi peut aussi être vendu de façon plus opportuniste pour d’autres… comme le cashless ou les écocup qui se veulent écologiques mais qui permettent surtout aux festivals des gains de trésorerie… 

Oui et il y a surtout un flicage des bénévoles. On est souvent démarchés par des entreprises mais le flicage des bénévoles… ça paraît horrible de plus pouvoir faire confiance aux bénévoles. À un moment on fait ça pour être ensemble. Si je commence à me méfier des gens avec qui je travaille, je vois même plus l’intérêt de le faire. Et puis la disparition de l’argent, on sait quelle problématique ça va apporter, la dématérialisation complète… On accepte les cartes bleues, on n’est pas non plus des ayatollah là-dessus mais je suis pour garder le billet de banque… on n’est pas prêt de passer au cashless. Mais je t’avoue que je ne vais jamais dans ces festivals, je connais pas les gens, je sais pas comment ils se positionnent ni la proportion d’opportunisme que cache ce genre de discours.

Notre festival doit aussi être à la hauteur des problèmes qui se posent par l’arrêt du plastique, de la consommation de la viande ou des trajets d’avion.

Votre prochain chantier, c’est le veganisme. Ça consiste en quoi? 

C’est un chantier qui a démarré il y a plusieurs années, pour nous c’est le chantier “de la saucisse”, ah ! ah ! Dans notre modèle, on fait les choses sur plusieurs années. On avait décidé à un moment de devenir végétarien progressivement sur trois ans. On avait prévu d’introduire de plus en plus de plats vegan et de noyer ce veganisme autour des saucisses pour qu’elles disparaissent sans que les gens s’en rendent trop compte. On a bloqué la quantité de viande alors que notre jauge augmente, donc proportionnellement on vend moins de viande. Pour la suite, on voudrait réduire considérablement et reprendre ce projet jusqu’à 100% végétarien pour ensuite aller sur quelque chose de vegan. C’est plus de 10 000 repas, donc c’est un gros travail.  Les gens ne se rendent pas compte de l’effort que ça demande mais c’est massif. C’est pour ça qu’on y va progressivement. C’est un festival, on s’en rend bien compte, qu’après une soirée, on veut un repas bien gras. Maintenant on se rend bien compte aussi que notre avenir – si on en a un – il est forcément végétarien au minimum, mais vegan probablement. Donc on a envie d’être à la hauteur. Je le dis tout humblement, mais notre festival doit aussi être à la hauteur des problèmes qui se posent par l’arrêt du plastique, de la consommation de la viande ou des trajets d’avion. Ça m’apparaît comme une évidence, une condition sine qua non à la possibilité d’un futur. Donc il n’y a aucune raison qui nous permette de continuer de nous dire qu’on va faire de la viande et du plastique ou programmer des artistes qui prennent l’avion. Ce n’est pas honnête vis-à-vis des festivaliers, même si ça leur plaît pas, c’est pas vraiment le problème. […] C’est pareil que d’être clivant artistiquement, on sait qu’il n’y a pas d’impact sur le public, au contraire ce sont les prises de risques qui vont être appréciées.

On n’a pas encore parlé musique, tu veux nous dire comment tu as ficelé cela ? 

On est quatre sur la programmation, je supervise donc j’ai une vue d’ensemble puisque je coordonne l’organisation du festival en lui-même, mais c’est devenu plus collégial. Donc la difficulté est de ne pas tomber dans le confort. On sait qu’il y a des trucs qui marchent comme typiquement un live de modulaire super planant l’après-midi dans le théâtre de verdure. Ça marche avec la mer derrière, un beau truc de synthé modulaire, là c’est banco. Mais on l’a déjà fait et on serait dans un confort qui nous mettrait mal à l’aise. Alors on préfère explorer d’autres territoires et ne pas se répéter. On n’a jamais fait jouer deux fois un artiste sur la programmation de Visions. Ça oblige à un certain renouvellement mais aussi à casser les habitudes des festivaliers pour les mettre eux aussi dans l’inconfort. Ne pas s’habituer à  ce qu’une scène ait toujours la même couleur. Que le public soit aussi obligé d’évoluer, de se déplacer dans le site parce qu’il est toujours reconfiguré, mais aussi de garder quelque chose de reconnaissable dans la programmation de Visions. Là c’est plutôt de faire des grands écarts entre deux artistes qui vont se suivre sur une scène, des associations qui sont pas forcément évidentes mais qui fonctionnent… voilà c’est un jeu d’équilibriste.

© Titouan Massé

C’est donc ça la force de la programmation ? Un grand fourre-tout sans procédé standardisé qui consiste à aller du rock à l’électro dans une même soirée. 

C’est le genre de questions qu’on me pose souvent : “C‘est quel genre musical ? Sur quels critères vous vous basez ?” On n’a pas vraiment de réponse, on se considère comme généraliste. Parce qu’on a l’impression de couvrir l’entièreté du spectre vu de notre petit côté de la lunette. Ce qu’on peut proposer ce sont des projets qui sont sur la brèche, dans un festival qui est sur la brèche. Et si y a plus de limite sur le type de musique qui est proposé. Et on n’a pas besoin de se forcer à mettre deux créneaux de musique electro dansante à la fin pour que les gens soient contents parce que nous on aime vraiment la musique electro. Il y a toujours eu une scène, un plateau lié à la culture free, rave, avec une passion de la culture électronique. On n’a pas besoin de se forcer, on aime ça tout simplement. Comme on aime aussi les musiques orientées vers la Jamaïque. Cette année, on fait Lee Scratch Perry & Adrian Sherwood le dimanche. Ils sont, quelque part, aussi importants que Terry Riley dans l’histoire de la musique du vingtième siècle, sauf qu’il y a la petite touche jamaïcaine en plus. On a habitué notre public à être curieux, à ne pas attendre quelque chose de standardisé ou qui n’ait qu’une seule couleur. Et puis il y aussi la trajectoire des festivaliers qui est marrante sur trois jours, des moments où ils sont biens, des moments où ils n’ont pas dormi, des moments où ils ont froid, où ils ont chaud… tout ça raconte une histoire personnelle. Pour l’instant, on voit pas de limites au modèle, peut-être qu’un jour ça arrivera. Pour l’instant, les critères que l’on s’est fixé, ils fonctionnent à notre goût.

Et pourtant la Bretagne, c’est blindé de festivals, au moins l’été. C’est une région hyper concurrentielle. Ça a encore du sens de faire un festival ici ?

Je vais pas faire de l’anthropologie à la petite semaine mais on se rend bien compte qu’il y a un truc fort qui se passe pour cette population qui se reconnaît dans ces évènements. Il y a des festivals qui vont presque constituer des rites de passage à l’âge adulte. Je pense à Panorama, à Morlaix. Les premières fois, c’est une vraie initiation. On perd les grands rendez-vous collectifs, les fêtes folkloriques et quelque part ces fêtes-là viennent les remplacer avec l’équivalent d’un mariage, de mélange de population, de rites communs. Les gens vivent ça comme des pierres blanches à l’échelle de leurs vies, c’est hyper important pour plein de gens. Ils nous remercient sincèrement d’avoir pu retrouver un moment collectif qui ritualise la société d’une certaine manière. Je pense qu’en Bretagne, il y avait peut-être ce terreau culturel avant. Cela permet de comprendre pourquoi il y a autant de festivals dans cette région. Et puis, il y a plein de choses à dire, de gens qui ne se sentent pas encore représentés et qui n’ont pas leur évènement. Donc, il y a encore de la place pour plein d’autres choses. Peut-être qu’on est à l’âge d’or des festivals, peut-être que plus tard tout cela prendra une autre forme, mais ça ne peut pas disparaître. Ou alors, il n’y aura plus la possibilité d’une société. La musique, c’est juste un prétexte pour être ensemble et revendiquer quelque chose qui nous rassemble à un moment donné dans un espace donné. Mais ça reste de l’ordre du prétexte, la musique c’est la cerise sur le gâteau mais le voyage, le camping, les copains, tout ça ce sont des rituels et… et… Je sais plus où je voulais en venir, ah ! ah ! ah !

Festival Visions, les 2, 3 et 4 août à Plougonvelin
https://www.festivalvisions.com/

 

11 commentaires

  1. traine pas fauche le 10″ dubplate du nouveau Lee Scratch Perry ON_U_Sound D solé pas Dispo a Paname la Banane

  2. enfin un festival couillu dans un pays ou 9 festivals sur 10 sont ultra conformiste
    en conséquence « Sa majesté Persévérance » va se pointé a ce festival ,et pour ce faire fera pété un bel arrêt maladie d’une semaine car son enflure de patronne la bien mérité. »Sa Seigneurie » Perseverante » n’avais plus remis les bien en Bretagne depuis 2011 (brest année zero ,un putain de fiasco ,depuis je vomis brest et la bretagne)

  3. naïveté ou cynisme ? bah, le paysage est chouette, la hype des hipsters écoresponsables tant qu’on touche pas à leur barbiche fera le reste. Mais sapristi, excepté l’interminable relent d’égout des prods 80’s, n’assiste-t-on pas à « Visions » (le nom déjà…) au retour du refoulé de l’esprit baba de papy/mamie ? Riley, Sherwood, Perry… Allez-y, frères & soeurs, planez sur Plougonvelin comme à Woodstock 69 & stop the rain surtout hein, Visions c’est le Finistère… & heu, combien ça coute déjà ?

    1. Aha, aha, nan mais pourquoi t’irais toucher à leur barbiche ? Est ce que je te chatouille la ***, moi ?
      Ca se targue de sapristiser, mais le « retour du refoulé de l’esprit », safépatré français…
      Si t’es pas content, pour changer ça, tu peux toujours :
      -développer tes goûts musicaux (nan, parce que tu cites trois groupes et moi je les connais pas, et ce que je connais, c’est pas vraiment du 80, encore moins de caniveau [d’ailleurs, si tu parles de relent d’égout interminable, c’est peut être parce que t’as des goûts de chiottes et qu’on peut t’enlever l’inter])
      -réviser ton histoire, ça te fera passer le temps (sérieux, faudrait se décider entre les « prods 80 » et « Woodstock 69″…)
      -faire en sorte de te dégager un budget pour venir un peu plutôt que de raler (raler, ça dégage pas de budget)
      – faire un tour et aller te trouver un truc qui te fait kiffer.

      En attendant ta réponse, hais bien ton été !!

      Julien

      1. Ben ma cocotte, faut pas trépigner comme ça tout rouge, ça fait pas très vegan. T’en fais pas, j’ai pas du tout l’intention de venir t’embêter toi & tes copains tout verts, à votre chouette tofu party sur la plage. N’oublie pas de tout bien nettoyer avant de repartir, euh…en trottinette ou en tricycle ?

  4. « Personne ne viendra nous sauver si on se crashe.  » Aha, aha, ça chouine depuis plus de dix jours sur FB parce que c’est (presque) sold out. Keep up the good work !!!
    Et attention à la tentation du véganazisme… It’s a slippery slope.
    En tous cas, bonne interview, merci Guillaume, ça donne envie de prendre son billet 8 p

    C U there & then,

    Julien

  5. ..? hors sujet ? nous n’aimons pas la façon dont certains disquaires montrent leur arrivage sur la fesse book, les disques sont traités de manière outrancière, ils font cela pour le blé de fond de caisse du soir & ce mok des artistes presentes, bientôt un boycot sera avere & ils seront tout etonnes,

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