Qui va voir des festivals aujourd'hui ? Des jeunes. Qui hante les salles de presse pour leur raconter ce qu'il fallait voir ? Des vieux. Entre les deux, un fossé dans lequel notre correspondant local languedocien s'est planté comme une vache. Reportage hésitant entre souvenirs d'addictologie musicale et stage de réinsertion pour paumé rhumatisant. Bref, enquête de sens en pleine pénurie.

 

JOUR UN : Un dernier fix

Il y a quelques années, la question qui hantait les cours de récré et les hospices-PMU était : « C’est quoi être rock ? » Vue la capacité de notre pays à ne pas répondre aux questions, je suppose que c’est toujours le cas. Mais d’un naturel égocentrique, j’ai préféré me poser la question suivante : « À quel âge est-ce que je n’en aurais plus rien à foutre ? » Moi qui ai sniffé du mp3 au kilomètre par passion, puis par habitude, puis par obligation, je voulais voir si, après tout ce temps, le corps réagissait encore à la musique. C’est dans cet état d’esprit que je me suis infligé trois jours de festival à Paloma (Nîmes).

Pas de méprise, je tiens le festival This is not a love song (TINALS) en haute estime. Ses influences indie, noise, pop, sont aussi les miennes et sa programmation arrive à fixer le VU-mètre entre les Inrocks de la grande époque et les bonnes pages de New Noise, et ce sans tomber dans la putasserie Pitchfork. Bien joué les mecs. Notable également, un esprit et une déco typique. L’esprit est à la cool, avec plein de trucs open, libre-service, des oreillers géants, chaises longues et un côté cabanes, bricolage, déguisements / sapes colliers de fleurs, tatouages… Un peu hippie tout ça mais faut reconnaître que le pékin moyen vous sourit au lieu de vous renverser de la bière dessus en criant : « À poil » ou « vazy cé ou Nekfeu ? » Oui, le site est décoré. C’est-à-dire qu’on y a ajouté des éléments visuels, du mobilier pratique ou artistique, avec goût et non pas avec des kakemono et des bannières à la con pour vanter les mérites de tel alcoolier, hormis un ballon-sonde à la gloire pisseuse de Kronenbourg. Bref, c’est un festival qui profite d’être encore à taille humaine pour se respecter un peu et de toute évidence, ça se ressent.
J’en vois qui ricanent. Tous ces détails, on s’en secoue les cheveux quand on a vingt ans et qu’on veut juste danser et boire jusqu’à tomber dans un acouphène mental. Oui, mais voilà le cœur du truc : toi qui hoquettes et te trémousses à côté de moi pour oublier que le bac est dans dix jours, tu as la moitié de mon âge, et si tu vis intensément un grand moment, moi, je me tape juste un festival de plus. Un dernier ? Peut-être. Pour savoir où j’en suis avec ce truc auquel j’ai donné tant et dont je m’éloigne malgré moi.

Bracelet au poignet, je ressors de l’espace presse en pensant au Renton de Trainspotting : « There’s final hits and final hits. What kind was this to be ? » Dans le couloir qui s’ouvre sur le parc, un photomaton m’invite à figer l’instant. Je le fuis de peur de me planter la gueule devant l’obscène miroir du temps qui (tré)passe. Une toute autre question me taraude. Face à ce festival qui grossit et gagne en notoriété chaque année, alors que tous les autres ploient sous les castrations de subventions, je m’interroge sur le sens même d’un festival en 2016. L’été approche et tous les bookers de France ont les fesses qui font bravo en rafraîchissant frénétiquement leur page Digitick… Enquête par le gars qui n’en fait plus depuis des années.

Tout est bon dans le garage-rock

À enchaîner les fins de concert, je constate qu’il est aisément possible de confondre les groupes entre eux. Mettez ça sur le compte de ma déconnexion de l’actu ou de ma sénilité. N’empêche, ayant foncé voir Ty Segall, j’ai trouvé largement surestimée sa légende. Cet énième retour du rock 60’s rappelle sacrément la révélation Dandy Warhols vs Brian Jonestown Massacre. Il y a déjà quinze ans. Ou Primal Scream circa 1987. Ou les compilations Nuggets. Enfin, toujours le même truc. Je dois être trop vieux, ou trop à cheval sur les références. Plus tard, je découvrirai que, grotesquement sapé en combi de garageot, Ty Segall a joué trente minutes plus tôt sur une autre scène. Le plus drôle : j’y étais, assistant aux dernières minutes d’un combo puissant mais bordélique qui m’a décroché un sourire plus qu’un coup de bassin. L’effet #déjà-vu #VieuxCon, je le dois en fait au gig psychédélique et pop de The Mystery Lights. Réécouté depuis, débarrassé des préjugés et attentes, c’est plutôt bien. Enfin, vous le sav(i)ez sans doute déjà, vous.

Au-delà de ma myopie galopante, transparaît le terrible résumé d’une époque : depuis le revival garage rock, tout ressemble à du garage. Première conclusion, le festivalier vient écouter ce qu’il connaît et aime déjà ou ce qui lui ressemble à mort. Hmm, je prédis un succès grandissant des podcasts quand les festivals exsangues feront jouer un nombre d’artistes toujours plus réduit devant un nombre de bénévoles toujours grandissant.

‘Station to Station’ pris en otage par SUD-Rail

Autre option, toucher les endeuillés. La grande salle accueille justement un sextet (à vue de nez) au service d’un type entre deux âges qui joue les Lou Reed indolent. Mollesse. C’est Destroyer. Je ne sais pas si les fans de rock 70’s trouvent leur compte dans ces cuivres lorgnant sur Truffaz et les guitares qui louchent sur Pink Floyd. C’est ‘Station to Station’ pris en otage par SUD-Rail. Quand le saxo se met à viser les étoiles, je me volatilise.

Pour combattre cette inertie cérébrale des moutons en t-shirt de merchandising, l’organisateur a un atout de (petite) taille. Chaque jour me le confirmera, la salle « Club » est the place to be(at). Assaillie, pleine à craquer et pourvue d’un videur qui me prévient à la porte : dans huit minutes, on vide. Super, vous m’avez convaincu. À l’intérieur, Car Seat Headrest joue le rock furieux de la catégorie moins de vingt-deux ans. On dirait mon groupe de lycée et c’est presque entièrement un compliment. Si ce groupe ricain brille aujourd’hui pour sa lose – avoir foutu la hchouma au label Matador la veille de la sortie de son LP – ils ont plus de mérite que je n’en aurais attribué. Nul doute n’est plus permis quand, au détour d’un larsen, ils entament G.L.O.R.I.A. que toute la salle scande d’un seul poumon. Voilà ! J’ai vu ce que je voulais (re)voir : la recette existe, elle a marché il y a cinquante ans et marche toujours. Le reste, c’est du marketing. Hello mellow / Bye bye Ty. Je parie mon dernier ticket boisson que – références ou pas, actu ou pas – neuf mecs sur dix ne viennent que pour partager ce frisson-là. One more time.

Yak fou !

En me collant au premier rang pour attendre Yak, je me dis que je ne suis pas encore complètement à la ramasse côté flair. Disons-le, je suis venu pour ce power trio ronflant comme un grizzly en rut. Trois rosbifs qui lâchent les chiens et un buzz faramineux qui enfle outre-manche. À raison. La basse tabasse, la batterie me tarit, je nage dans ma sueur et j’ai des crampes partout alors que le premier morceau n’est pas terminé. Le leader rugit, exulte, envoie voler sa guitare, rejette son pied de micro sur la foule et crache sur le photo-row. Sa chaussure vole, il siffle toutes les bières qui traînent sur scène, piétine dans la mousse et rejoue les Stooges ’73. Le cirque. Jon Spencer sur la guitare de Sonic Youth, ou l’inverse. Le chaos en tous cas. Tout ce que la jeunesse DOIT être. La cage au fauve ouverte et le public tremblant en face, voilà ce qu’on attend d’un LIVE. Sinon – j’y reviens – autant écouter une captation.

Marqué au fer rouge à même la cornée, je pars tout sourire, convaincu d’avoir mes réponses : un festival est là pour offrir une chambre d’explosion à un maximum de groupes, un échappatoire à la prod des studios confiné. Et nous d’être au premier rang de ces Mururoa de poche. Extrait de carnet n°07 : Le rock, comme la beauté, est chose de la jeunesse. Je suis heureux de le constater, même si ces retrouvailles signifient mon extradition de ce territoire. Qu’importe, Yak sera la carte postale que je garderai dans ma poche durant ce voyage sans retour.

Je pars d’autant plus serein que dehors, je retrouve Foals qui fait son show. Vus en couvrant Rock en Seine il y a six ans, ils tissaient un contrepoint mélodique et atmosphérique à tous les Pony Pony Cinema Club d’alors. Là, face à moi, c’est un horrible mega-set clinquant façon U2. Indigeste et criard en vain. Extrait de carnet n°14 : récurrente résurgence cette année des batteurs qui cognent comme des sourds sur des toms sur-amplifiés. Salut, je suis les tambours du Bronx à moi tout seul, c’est pour ça que je porte les cheveux de déménageur : longs, sales, qui collent devant et frisent derrière sur ces affreux maillots extra-larges d’haltérophile mais #sava.

J’attends la nuit avec la certitude que mon monde est mort et que j’arpente sa version clonée. Vite, un sépulcre. Pour m’achever, je choisis de m’anéantir en allant voir Battles dont les disques m’avaient emmerdé mais que je veux comprendre. Encore un travers de l’âge : vouloir comprendre plutôt que ressentir. Well, fuck me ! J’ai rien compris, par contre, j’ai pris cher. Quel set ! Battles, ça ne se décrit pas, ça se tremble. Tout juste peut-on parler de cette cymbale placée à deux mètres au-dessus du drum kit pour nier jusqu’aux fondements de l’ergonomie humaine. D’ailleurs, au-delà du bruit, des samples et des cadences infernales, il faut saluer ce gazier qui fait fumer son kit de batterie. Métronome et locomotive à la fois, il fait le show seul, construit des ziggourats de beat en haut desquels ses compères peuvent déverser une cascade de bruit.

Bravo. J’en reste con, car ils viennent de chier dans les bottes de ma théorie. Ni jeune, ni rock, ni référencé… Est-ce que c’est ça mon lot ? Fallait-il se résoudre à passer à un truc précurseur, novateur et indomptable parce qu’il survolterait mon cortex pour le prendre à revers ? Le deuxième jour allait s’escrimer à me prouver que oui.

Aujourd’hui le World, demain ton amour

Il y a des paradoxes formidables d’amertume. J’allais ainsi apprendre qu’en attendant ce qu’on aime, on rate ce qu’on pourrait aimer. Autre paradoxe mais aussi corollaire : le meilleur souvenir que je garderai du samedi est imputable à un foodtruck de falafels. Savoureux au demeurant, mais surtout responsable d’une rolling joke devant la file d’attente, bien plus longue que devant n’importe quelle salle et qui grandira à chacun de mes passages. Tout le week-end ! Mais combien d’œufs ces gens ont ils amenés ? Traitez-moi de bourgeois mais, de toute évidence, je ne suis pas le seul à foutre la bouffe au même niveau que la zik. À moins que la pop-culture ne prenne le même chemin que la tambouille : rabaissée, dilatée, instrumentalisée et finalement régénérée par quelques faiseurs un peu artisans et sainement pragmatiques. « On retrouve le goût… » Enfin, pas tous, mais j’y viens.

Arrivé trop tard pour profiter une énième fois des My Great Blue Cadillac que je chéris et trop idiot sur le coup pour réaliser que No Zu était entièrement ma came (Talking Head joué par Blonde Redhead dans un rêve de Shaun Ryder), je prends d’abord d’assaut la salle Club pour attendre le début de Weaves. Le quatuor canadien remplit entièrement mes espérances avec des licks de guitare folle qui ramène à la vie des souvenirs du Graham Coxon des deux premiers albums : une pop sonore et dopée. Au micro, une rondelette soul-sister en talons compensés déambule un groove à l’opposé du spectre pop et c’est tout à son honneur. Extrait de carnet n°16 : j’en viens à penser que le Canada est la terre bénie du métissage. Qu’est-ce qui m’a pris de sortir de cette chapelle bénite pour aller voir Lush reformée sur la grande scène extérieure ? La nostalgie camarade… L’envie inepte de revoir de la fumée et des guitares qui hululeraient dans l’écho sur des voix diaphanes et spectrales. Résultat, c’est plutôt Cranberries avec le maquillage de Courtney Love. Mais c’est pas grave, c’est ma faute, TINALS me gifle pour me rappeler que chercher des réponses en regardant dans le rétro c’est comme scruter le fond du canon d’un shotgun. Bam. Et la détonation vint d’Atlanta, Georgia.

Le blues du 21ième siècle

Grande salle, Algiers. Survolant un siècle de gospel, de blues, de R’n’B, bref un siècle de servitude américaine, le combo vient mettre le feu à une plantation de cinquante états. Cette voix hante des boucles urbaines dures comme des chaînes, un beat bestial et une guitare (préparée !) qui chuinte la mort. De l’asphalte et des plumes. Foutons la poésie aux chiottes cinq minutes et disons la vérité : le troisième titre n’avait pas encore foutu les photographes dehors que j’avais la conviction d’avoir en face de moi l’avenir de la musique. Le world d’aujourd’hui. Pas la tentative de Peter Gabriel de rendre cool le souk en boubou. Pas non plus les métissages de Damon Albarn qui feraient passer la colonisation pour des vacances au Club Med. Non, le tronc commun, le croissant doré où se rejoignent tous les fleuves noirs. Drake faisant rive commune avec Nina Simone et Chuck D. Se sentir vieux après ça ? Si tu veux ; autant qu’après la naissance de ton premier gosse. Tu sais que tu es dépassé par quelque chose d’évident, pleinement satisfait de cette seule certitude que l’avenir c’est lui et non plus toi. À l’inverse, quand Air a pris la scène extérieure pour jouer à la queue-leu-leu sa Top Titres liste de Deezer, j’ai réalisé que c’était bien de dire au revoir à toute forme d’actualité. Ils n’auraient pas dû faire un best of, mais plutôt se faire hara-kiri et monter un nouveau groupe. La preuve ultime : de nombreux fans écoutaient le concert depuis la file du falafel’s truck plutôt que dans la foule, commentant la basse et leurs souvenirs de ‘Virgin Suicide’… Sauce samouraï pour moi, merci.

Rock for kids / Brain for midst

Le monde s’ouvrait devant mes narines, j’avais envie de m’emplir de ses senteurs. Coup de bol, Bon Voyage Organisation faisait tourner son set de maison de passe dans le Club. Disco, afro, psyché, sensuel, gouailleur et funky… La B.O. parfaite pour le futur reboot d’Emmanuelle. En 3D ! Le show terminé, la salle pue la sudation et la saumure. Nul doute que des doigts se sont promenés durant le show (lapin). Les organisateurs de chez Come On People auraient pu nous fournir des lingettes nettoyantes. Cela m’aurait surtout servi à m’essuyer après la découverte de L.U.H., dernier électro-étron lâché par le leader de feu Wu Lyf. Mélange poseur de 2Unlimited et de Siouxsie Sioux pour élèves des Beaux-Arts sous coke. Extrait de carnet : Envoyez-moi un avion détourné là-dessus… De l’air.

Au fond du parc, Cavern of Anti-Matter brode un kraut hypnotique qui se mêle aux herbes grillées de la rôtisserie derrière moi où l’on annonce fièrement la rupture de stock de longe de porc. Oui, oui. Encore un voyage réussi, épices sur la langue et câbles électriques dans les oreilles. Capitaine Tim Gane, merci. Encore une preuve que l’on peut faire plusieurs carrières à la suite avec talent plutôt que de conduire les yeux sur le compteur kilométrique (ou la jauge d’essence).

À ce stade de conviction sur les bienfaits de l’âge et la nécessité d’inventer une nouvelle décennie musicale en dissolvant toute les autres dans l’huile de friture de pâtisseries tunisiennes, un ultime paradoxe me frappe en pleine poitrine. Voilà-t-il pas que je m’en vais regarder l’intégralité du set de Dinosaur Jr, groupe fétiche de mes années pileuses. Le set est impeccable, puissant, un numéro de domptage sonique où brille en particulier Lou Barlow, long ressort flexible pourvu d’une masse capillaire hystérique et d’une basse qu’il gifle avec vivacité et précaution. La pop comme une morsure de requin sur une jambe de surfeur. Miam, je me régale. Sauf que cela va en complète contradiction avec toute ma théorie du « rock for kids / brain for midst ». Hé merde.

J’imagine du coup que les lignes sont faites pour être piétinées. Ce festival bienveillant veut de me faire avaler ce qu’aucun médecin du travail n’a réussi en dix ans : se faire plaisir est une notion qu’il faut intégrer pleinement. Sous peine de mourir en vieux con. Voir Breakbot réinventer sur scène toute l’œuvre de Maritie & Gilbert Carpentier n’allait pas aider la démonstration. Pourtant, une fois lâché prise, ce supplément de sucre fantaisie a fait passer la pilule sans peine. Il suffisait de tortiller du cul #EnFait.

JOUR TROIS : Le tort toise

Dimanche, what a mess. J’arrive à temps pour voir Metz. Seattle en Camargue. C’est beau toute cette poussière qu’ils soulèvent, ça donne envie de voir un revival grunge sur cette jeunesse trop bien habillée. Extrait de carnet n°21 : chers frères vieux, il semble accepté désormais que tout look est valide. Robe de mariée, élève de maternelle ou combi de wonder-woman, pour les filles – short moule-boule, pantalon à pinces (dé)coupé aux mollets et salopette de jardinier pour les gars. Et moi qui comme un con porte jeans/tee-shirt. Bref, tout le monde ne pogote pas mais la qualité du set fais l’unanimité. C’est bien simple, toute la soirée je croiserai des amis et musiciens me disant : « Tu as vu Metz ? » Quel buzz pour la Moselle !

Cette programmation faisant joujou avec mon réfoulé, Drive Like Jehu interprète ce que j’ai cherché en vain dans les bacs de mon adolescence, à m’en niquer les ongles contre le vide. Maintenant que je suis trop vieux, on me le sert sur une assiette. Motörhead aurait répondu Too late, Too Late. Pourtant, je le vis bien. En fait, le temps apporte un certain réconfort à qui sait attendre. J’en profite pour réchauffer mes rhumatismes en plein air, sous le soleil de Luke Winslow-King et prendre conscience que la trentaine a apporté un tout autre registre à ma vie : le blues. Le set se terminant, je lèche le ketchup qui nimbe mes lèvres et me refait mentalement quatre saisons de Treme. Tandis que la France écope ses maisons inondées, mon cœur chante les chœurs trois mesures sur quatre. Je commence à apprécier d’être dépassé et pétri de références datées. À point nommé, Tortoise va donner le coup de (la) grâce.

Face à la grande scène, je me tiens dans un état proche du zen, à regarder ses membres faire leurs balances au vu et su de tout le monde. Cheveux blancs assumés (ou chauve pour le bassiste désormais sosie de Marc Blondel), les papys du post-rock échangent les instruments et négocient en permanence le nombre de temps par mesure avec l’assurance des vieux briscards. Qui mieux que John McEntire peut vous démontrer ce que c’est que de s’en foutre sans transiger d’un iota sur la méticulosité ? La moyenne d’âge indoor grimpe l’échelle de Jacob. La moitié du public se demande à quoi elle assiste tandis que l’autre jubile. Quelque chose d’une épiphanie. Avantage : il fallait être là il y a vingt ans pour comprendre. Surprenant, jazz dans son acceptation instrumentale et cent fois plus indé que les cinq dernières années du disquaire day. Extrait de carnet n°30 : Le set entier est un jardin sec. Inaltérablement beau, dans un équilibre constant. Une incitation à n’être que ce qu’on est, sans renier ce qu’on fut, ni regretter ce qu’on ne sera pas. Lumineux. Sinon ça dépote bien aussi les infrabasses. Quand le combo de Chicago entame I Set My Face To The Hillside, je prends la seule décision valable en accord avec ce que ces trois jours m’ont apporté : je déclare vouloir que ce titre soit joué à mon enterrement. Certitude que rien de plus beau n’arrivera à mes oreilles d’ici là car celui-ci a déjà fait son chemin, entre la tête et le cœur. Alléluia. Au fond du parc, Girl Band rappelle combien j’aime jouer avec le verre brisé et tenir les allumettes jusqu’à se brûler. Ne pas relâcher la tension, c’est aussi moi. J’accepte.

This is not a life song

La nuit – douce et étonnamment rose – tisse un fond apaisant avec Beach House en B.O., comme pour me rassurer sur le fait que les vieux trucs estampillés 80’s ont aujourd’hui la sympathie de tous. Courage bro. En clôture, Shellac confirme que le temps ne fait rien à l’affaire. Stick to your guns. Avec sa guitare en ceinture-banane, ses lunettes d’électricien et son dos à 60°, Albini est la preuve vivante que vieillir est une chance.

Serein, je file sur l’A9 entre les camions espagnols. À vivre si débranché de l’actu, je ne savais même pas que Tortoise avait sorti un nouveau disque depuis ‘Beacons of ancestorship’. Successeur méritant, ‘The Catastrophist’ me refout à ma place : tes angoisses de vieux croulant, ne les impose pas aux autres.

Alors voilà, je n’ai plus de pièces, je vais devoir raccrocher. Si vous avez décroché après le chapô, voilà le bilan de cette excursion, il tient sur un ticket de péage. À quoi sert un festival aujourd’hui ? Il file aux jeunes le frisson qu’ils cherchent partout dans un monde qui freine des deux pieds. Il fait son boulot de présentation ET de prescription en te livrant sous le nez l’état du monde, fut-il rébarbatif (coucou le post-garage et la néo-synthé-pop), et les tentatives de le contourner. Il t’offre la possibilité de renouer avec différentes époques de toi-même et appuie là où ça fait mal – c’est son job de nous foutre de travers – pour nous permettre de redéfinir chaque année notre identité, nos contours, éprouver les limites de notre tolérance. Depuis 2013, TINALS remplit ces rôles haut la main, pariant sur le regain de cool de la culture indé 80’s/90’s. À mon sens, il a fait ses preuves et gardé une dimension humaine, méritant donc son entrée au même panthéon que la Route du rock. Quant à moi, je suis content d’avoir le double de l’âge des gosses qui achètent Metz et la moitié de ceux qui découvrent Tortoise. Extrait de carnet n°37 : Je crois que je suis arrivé au stade où je peux tout. Une forêt de possibles. Une balance raison / émotion. Juste, je digère mal la sauce samouraï en fait.

https://thisisnotalovesong.fr/

5 commentaires

  1. Cool review ! Bon effectivement ne pas savoir à quoi ressemble Ty Segall prouve une légère déconnexion de l’actu mais pour le reste je crois que je suis assez quadragénaire avec toi (J’ai failli vomir avec ton extrait de LUH, j’aurais préféré entendre la future chanson de tes funérailes, uqi va m’obliger à trois clics de plus !)
    D’ailleurs moi (cf review sur concertandco mais pas de liens trolling), je suis tellement plus vieux que toi de 3 ans que j’y suis allé avec mon fils. Son verdict : les festivals servent à faire des bulles et surtout à acheter une glace. et si y’en a pas, faut se plaindre à l’accueil. Ah, mais.

  2. Ty Segall -> Oui mais euuuh il avait un masque. J’ai un mot d’excuse.

    Kamasi W. -> j’ai raté plein de choses et j’en ai vu d’autres dont je ne parle pas ici, Explosions in the sky notamment. Vous re-voulez 12.000 signes on vous avez votre compte ?

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