Vous pensiez que, pour prétendre au statut d’artiste, il fallait d’abord en chier – un minimum. Travailler sa pelote, son petit paquet de fange insortable autrement que par la création. S’arracher à la glande confortable et déprimante pour aller chercher le rush là où il ne peut qu’être : au bout du marker ou du pinceau. Avec son film Exit Through The Gift Shop, Banksy nous apprends qu’on peut tout aussi bien réussir en étant un pire cave et en s’appelant Thierry. Explication dans la douleur.

Introduit par son cousin Space Invader dans le monde très fermé des street artists, Thierry Guetta, gentil bohème à bacchantes résidant à L.A, propose à Shepard Fairey (père du fameux « Obey Giant ») de le suivre, caméra au poing. Quelques mois plus tard, Fairey présente un Guetta ébahi au street artist sans visage Banksy – précurseur et grosse pointure du milieu. Dès cet instant, le frenchie ne va plus quitter la paire et enregistrer, à leurs côtés, des centaines d’heures de rushes. Mais le documentaire tant attendu ne verra jamais le jour : si Thierry Guetta adore vraisemblablement son sujet, c’est un mauvais caméraman, doublé d’un piètre réalisateur. Le résultat est catastrophique.

Thierry Guetta

Histoire de tirer profit (déjà…) de cette expérience, et sur l’invitation polie de ses mentors, Guetta, devenu expert en cavalcades nocturnes, et techniquement au point, décide de prendre le pochoir à bras le corps et la rue d’assaut – comme un grand. Mais – vouloir n’étant pas pouvoir – sa démarche peine à dissimuler le fond du problème : celui d’un commerçant pataud (il possède une boutique de fringues à L.A.) et désorienté, en pleine crise de fin de trentaine, cherchant une lubie, aventureuse et glamour, à embrasser. Sous sa sensiblerie, on devine le besoin de reconnaissance à tout prix, cette volonté flippante « d’en être », et des manières de margoulin avide (celles du stagiaire qui se barre avec les brevets de la boîte au bout de ses six mois). Banksy et Fairey ne le savent pas encore, mais ils viennent de faire entrer le loup dans leur bergerie.

On était pourtant prévenus…

Le street art est une activité a-libérale, par essence. Rien à vendre. Pas grand-chose à gagner. Tout à perdre. Pratique d’urbains inadaptés à une société toute en performance et en vitesse, le street art n’a aucune d’utilité, peu de valeur, pas de hiérarchie. Culture du do it yourself et de la récup’, c’est le bricolage de ceux qui n’ont pas d’autre choix, pour qu’un peu de sens subsiste au fond, que de faire ce qu’ils ont à faire – sans cooptation des réseaux communautaires et cadenassés.

Et l’ingénue bêtise de la scène street art, précisément, c’est d’avoir cru que sa lubie n’intéresserait qu’elle. Pourtant, pour mémoire, les Beautiful Loosers s’étaient déjà fait phagocyter – et vivement – par candeur, honnêteté, absence de calcul. Aaron Rose a longtemps voulu croire que le génie de ses potes de la New-yorkaise Alledged Gallery (Templeton, Mc Fetridge, Fairey…) ne pouvait attirer qu’une clientèle pointue amatrice d’art naïf, de decks customisées et de tee-shirts en séries limitées. Mais quand les journaleux et attachés de presse ont un jour passé son seuil, il était trop tard. Débauchés, après quelques mois de médiatisation soutenue, par des poids lourds du NYSE, les petits crayonneurs ont mis leurs pattes au service des bons payeurs. Et, comme souvent, il suffit qu’une simple maille casse pour que le tricot repasse à l’état de pelote.

Stakhanovisme rationalisé

Le fin Français, donc, veut gagner en épaisseur. Son alias – double fantasmé – ne tarde pas à voir le jour : Thierry Guetta à la ville sera Mister Brainwash (« MBW ») à la rue.
Si la plupart des street artists travaillent dans l’anonymat et le secret – par humble effacement devant leur travail, et par sécurité surtout –  Mister Brainwash préfère, lui, l’exhibition constante (son gimmick visuel, c’est lui). Et cette surenchère d’exposition d’aboutir là où on redoutait de l’attendre : dans le froid glacial d’une galerie. Nouveau pas vers l’adoubement (qui ne viendra jamais) de ses pairs, cette « sortie » de la rue, quelques mois seulement après y être entré, est brutale et calculée. A défaut de talent et d’expérience, MBW, pas entrepreneur pour rien, choisit de hâter sa mise en lumière en usant des méthodes éprouvées des corporations : benchmarking sans vergogne des confrères (contre sens créatif,  travail et affinage méticuleux), sous-traitance des tâches de conception à des équipes salariées (contre don de soi et d’énergie – en pure perte), production forcenée et massive (contre patience et longueur de temps), lourds investissements matériels (contre autoproduction, bricolage légitime et système D), dirigisme mégalo (contre production réelle et entraide) et promotion forcenée (contre confidentialité et préservation). Mister Brainwash, ex-Ouvrier Spécialisé du pochoir et de la brosse, devenu bourgeois rentier d’une niche artistique.

La mort dans l’Ame : contamination libérale

Au royaume de Guetta, c’est le règne de l’intermédiaire – signe annonciateur du début de la fin. Médiation entre le travail de l’artiste et le public d’une part, constituée par l’armada de petites mains (de la chargée de RP aux installateurs, en passant par les vigiles). Et médiation instaurée par le retour au support (la toile, le papier, le bois…) d’autre part, là où il n’y avait qu’un rapport direct entre la production et l’œil, sans medium.

Alors que le street art était proprement révolutionnaire par son absence de medium (des créations en lévitation dans les rues), par son refus du rapport marchand (création et contemplation purement gratuites), et par son impossible appropriation (un art populaire), le confinement d’une street art piece sur un chassis, dans un hangar, ou au-dessus de la cheminée (en attendant une offre d’achat à quatre zéros) nous laisse penser :

1 – que les spécialistes historiques du go-between, parasites entremetteurs et avides, ont mis la main sur une nouvelle manne bientôt totalement élitiste, vidée et chiante.

2 – que la nécrose générale guette, vue la spectaculaire mutation du public (passé du peuple dans sa diversité, à l’étudiant beaux-arteux enthousiaste et con)

3 – que l’urgente nécessité de s’arracher aux cercles de « l’infecte Culture aux mille tentacules » (L.J.) n’est plus une alternative.


Retour de (gros) bâtons

Mais finalement ! Inattendue manifestation de justice immanente (tout se paye, toujours) : le rouleau compresseur français ne s’en tire pas à si bon compte, au final… Pour annoncer la sortie de son film, Banksy diffuse le teaser prometteur d’un road-trip street-arteux bordélique et fendard. A l’arrivée, au festival de Sundance, c’est le lessiveur de cerveaux qui se fait essorer : Exit Through The Gift Shop (littéralement : sortie par la boutique), à la surprise générale, s’adresse en fait directement à lui. Une belle lame à double fil, à tenir à pleines mains : passé à la caisse pour ramasser lauriers et billets, M. Brainwash est sommé de cracher une deuxième fois au bassinet – son honneur, cette fois. Mise à poil de l’arriviste Guetta, et baroud d’honneur de Banksy qui, après avoir montré le mauvais exemple et s’être laissé déborder par son Golem, choisit de mettre le feu à l’atelier – laissant les gogos applaudir devant des ruines fumantes. Lutte – et solution – finale : rideau. Et puis, quoi ? C’est tout ?

On a beaucoup dit, lors de sa sortie, que le film de Banksy était un hoax, tellement l’ensemble sonnait faux. Trop cliché, trop déjà-vu, trop pop art. Suspectes, les cautions personnelles de Banksy et Fairey pour un travail aussi mauvais (arguant que c’était le seul moyen, pour eux, de récupérer les rushes de MBW). Bizarrement à propos, le financement de l’installation par Daniel Salin et Roger Gastman – deux proches de Banksy et Fairey.  Comme si l’opération Mister Brainwash, duale célébration et condamnation de la marchandisation du street art, était pilotée en loucedé par les deux têtes pensantes – curieusement silencieuses depuis l’arrivée en fanfare de MBW sur la scène internationale. Comme si, histoire de prendre une dernière fois et du pognon, et le marché de l’art, et le public pour des cons, le trio était de mèche – Guetta acceptant et jouant, à merveille, son rôle de kamikaze téléguidé.

Quoi qu’il en soit, et si justice il peut y avoir, elle ne sera pourtant jamais réparatrice. Pas de happy ending dans cette histoire, puisque la beauté, l’innocence et le don n’auront pas survécu à la charge des Marchands, qui ne peuvent, essentiellement, que mépriser ceux qui aiment passionnément et radicalement.

Si l’ère moderne (urbanisation du territoire, aide des réseaux de communication…) aura permis à un éphémère courant de cheap art de voir le jour, c’est bien la Modernité qui l’enterre aujourd’hui. Et sans les honneurs.

Banksy // Faites le mur // Le Pacte (Toujours en salle)
http://www.faiteslemur-lefilm.com/


10 commentaires

  1. Je penche aussi pour la théorie de la manipulation des compères Banksy et Obey et suis moins pessimiste sur l’homicide de ce courant artistique. je vois dans ce foutage de gueule général un leurre aux hyènes qui rôdent autour de ce nouveau « marché » en leur donnant à manger leur propre merde déguisée en beau morceau de viande (avec un accent français).
    La diversion permet au street art de continuer à exister sereinement dans toute son indépendance

  2. Ah voilà un article nase pour un film à voir, si l’on veut sauver l’humorisme et l’art. l’Art comme opposion à la culture, au léchage de cul des artistes contemporains comme Koons, Hirst, Murakami, et autre exposant de culture régressive renvoyant à l’enfance, ou alors à une sexualité asexuée…heureusement que Maurizio Cattelan est là pour sauver l’art. Et faites le mur!

  3. Encore une idiote qui n’a rien compris à ce qu’elle a lu!
    Ça devient pénible, ces gens sans fond qui donnent leur creux avis à tout bout de champs.

  4. Le bruit court dans certains cercles que l’ami Banksy, à l’image du vieux singe Gorillaz, ne serait qu’une marionnette, création ex-nihilo de Hirst et Saatchi, figurine action man de la contestation, street artiste à l’existence surtout mythique, autant dire médiatique et à la carrière bien installée pour un contestataire qui fait une pochette pour Blur (tandis que Fairey expose chez Agnès B. et couvre des murs sous la protection des forces de l’ordre).

    « Arthur Cravan voyait sans doute venir ce monde quand il écrivait : « Dans la rue on ne verra bientôt plus que des artistes, et on aura toute les peines du monde à y découvrir un homme; »  » Ce commentaire n’est pas de moi, c’est Debord.

  5. Bravo tuyene, j’adore : « je serais pas été plus avancé si j’aurais lu tous les livres ».

    en tout cas j’ai appris des choses utiles en voyant ce film :
    -que le street art pouvait être un art à part entière (et pas au sens rentable du terme)
    -que le street art pouvait être une rente à part entière (et pas au sens artistique du terme)
    – que les plus grands (cités dans le film) sont bien passés à Marseille (Obey / Invader) en plus de notre (je crois) street artiste local, le génial Pom Gé…
    – que Banksy (ou ses créateurs, s’il n’existait pas) a en tout cas assez d’humour pour reconnaître, via Thierry Guetta, que Banksy est un vendu (puisque TG commet exactement le même « péché originel » que lui : faire entrer son art dans une galerie et le monnayer, donc baisser son froc aux yeux des « vrais » artistes, CQFD)
    – qu’a partir de là peu importe si mr Brainwash existe un tout petit peu (personnage amplifié), complètement (il a quand même fait une expo et vendu son art des millions) ou pas du tout (personnage de fiction), c’est juste un petit teaser cérébral mais pas le message central.

  6. Bien dit Carolis tout ce résume à cette phrase de Banksy « Au départ, je voulais que le film s’appelle « Comment vendre de la m… à des c…  » ou comment dénoncer la dérive de l’art en un produit de consommation pour snob…et par la suite du street art ( mm les pires oeuvres de B st vendues à des prix insolents ). ou comment trouver un bouffon sans talent, l’aider à monter son expo et ramasser le paquet de dollars générés par des crétins.

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