Avoir des théories déclinistes en ce début de siècle, c’est fatiguant et pas très original. Le souci étant qu’il devient difficile de ne pas tomber dans ce travers : les bars de nuit n’existent plus, les jeunes n’ont que peu d’humilité et l’époque souffre d’un manque évident de “couilles”. "Liquid Love", le nouvel album du trio belge enregistré à NY chez Jon Spencer et Matt Verta-Ray, est là pour nous rappeler qu'on peut fantasmer son présent comme quelque chose de terrifiant, d'électrique. Diablement sauvage.

Etre cool en fin 2011 c’est la légèreté, la dilettante, la fainéantise, la tendance du parvenu, et ne même pas souffrir quand on va à la selle. Des gens gentils nous expliquent tout sourire qu’ils font des tournées en Asie avec leur Laptop. Ils ont laissé le traité d’harmonie à côté des manuels de physique cantique. David Guetta dit tranquillement qu’il est artiste, GQ France imprime la phrase et personne ne va en prison pour autant. Alors oui, quand les paupières se lèvent, la médiocrité ambiante souille le monde en technicolor. La force et la colère sont bonnes pour les marginaux. Restons courtois et fermons les yeux sur le reste.

Le village d’Astérix

Peut-être que Goscinny nous envoyait une parabole utile : l’exil et l’enfermement semblent parfois la seule solution quand on souffre d’absolutisme. Alors achetez des terres, ne payez plus vos impôts et armez-vous. L’Hypocrisie et la concupiscence donnent raison aux furieux : l’esprit érige un rempart de moralisme colérique à la Bernanos pour seul centre de défense. Faut-il partager cette colère avec le monde ? Faut-il décrire l’odeur de vomi qui emplit la maison quand les fenêtres s’ouvrent ?

Certains ont choisi l’exil dans le fantasme : à grand renfort de paradis numériques et collections d’objets « vintage ». Le fameux paradis perdu prend une place assez contre-nature : l’engloutissement du monde dans des niches passéistes ou du divertissement à outrance ne dit qu’une seule chose : l’humanité se fout de tout. Un nihilisme irréfléchi, un cynisme du pauvre et un manque de vitalité effarant, qui ne produit que du vent sans odeur.

EXPERIMENTAL TROPIC BLUES BAND

La solution au bacille : le savoir-faire. Une démonstration de l’antidote ? Le LP du Experimental Tropic Blues Band enregistré par Matt Verta Ray au NY HED et produit par Jon Spencer. Pourquoi ? Cet album de rock’n’roll lève le voile de la compression numérique et des femmes en Iran. Le monde fantasmé par ce groupe de blues belge se résume dans la chanson Fantasy World. Chantée par Jon Spencer, solo de Verta Ray. Cet album sonne. Et nous allons le prouver point par point.

Track 1 : The Best Burger

Ça commence comme l’album du Sonic’s Rendezvous Band : une fin de morceau bruitiste. Le son est énorme mais pas compressé dans le mix. Des choeurs à la Beach Boys tutoient deux (2 !) guitares fuzz et un Cramps beat, les cymbales en plus. Break, guitares disparues, et c’est un Rhodes boogie qui tire la bourre. Fausse fin et solo disparate tout à gauche : ca pique l’oreille mais n’efface pas le reste. A la première écoute, on ne comprend rien et c’est mieux ainsi. Leçon 1 : la profondeur et le nombre d’instruments sont infinis.

Track 2 : Keep this Love

Syncope country et thème d’harmonica. Glockenspiel en contrepoint et superbe guitare tricotant des tire-larmes pleins d’écho. Explosion de fuzz à droite, mais la chanson reste douce. Petite cocotte (Guitare ? Banjo ?) et on entend une dernière note de contrebasse. Leçon 2 : les instruments acoustiques soutiennent toujours mieux la rythmique.

Track 3 : Worm Wolf

Un tube. Boîte a rythme dans le pur esprit new yorkais fin 80’s. Magnifique riff de guitare slide funky sans aucun aigu. Basse perdue dans les tripes du morceau et voix suraiguë à la Prince. Cloche à gauche, guitare déstructurée à droite (contrepoint maniaque). Le refrain est aboyé à la manière d’un loup. Orgue en appui rythmique à gauche. Impossible de compter le nombre de guitares du solo, avec les nappe de d’orgue. Deux prises de voix avec deux micros différents. Leçon 3 : utiliser un orgue de manière parcimonieuse en fond de prise.

Track 4 : TETBB eat Sushi

Frénétique : une guitare sur tous les contretemps, des riffs et un petit synthé qui sonne comme un orgue. Jeu de basse détaché. Break et harmonica. Guitare sonnant comme au fond d’un cargo. Leçon 4 : un instrumental, c’est pas chiant.

Track 5 : Can’t Change

Lourdeur. Tous les instruments appuient les mêmes notes. Superbe canevas de voix avec des chœurs de femme très en avant, et les cris du Wolf à droite. Un glockenspiel, et le tout se rencontre comme dans un montage. Solo lent noyé dans la réverb’, dans la pure tradition Velvet. Chœurs de stade à la fin, qui meurent dans un souffle. Leçon 5 : même U2 a eu de bons producteurs.

Track 6 : Nothing to prove part 1

En bon fan du Blues Explosion, le Tropic Blues Band aime de harcore. Voici 1 minute 01 de larsens triturés avec une pédale d’écho et des enregistrements de machine. Leçon 6 : Metal Machine Music était bien une private joke.

Track 7 : Nothing to Prove

Chanson hardcore. Refrain : des cris sur 3 pistes placés partout dans le mix. Couplet : du boogie avec des claps. Leçon 7 : rendre les chants plus agressifs en multipliant les prises de voix et les micros.

Track 8 : Do it to Me

Deuxième tube de l’album. Exactement ce que Suicide enregistrerait aujourd’hui. Boîte a rythme, ligne de basse au synthé, notes aiguës du Rhodes, guitare blues discrète. Fuzz explosive au milieu de la chanson. Leçon 8 : avec une instrumentation intelligente, les trois accords du blues ne sont pas une impasse.

Track 9 : Break up

Intro en roulements de batterie. Les guitares tricotent entre elles, contretemps et rythmique infatigable. Les refrains sont soutenus par une guitare country jouant les accents. Travail sur les textures des guitares des deux côtés du mix : les deux voix d’une même personne. Batterie minimaliste (quasiment uniquement de la caisse claire). Notes tenues sur toute la fin du morceau. Leçon 9 : donner de l’espace a l’auditeur pour les morceaux rapides, avec une batterie claire et éloignée.

Track 10 : Sex Game

Une chanteuse de R’n’B fait des vocalises, un thérémine monte puis… Country frénétique. La chanson commence par son refrain, chanté à deux voix. Uni-sons. La basse ne joue que les noires. Break, puis rythmique tombante typique de Led Zeppelin. Voix perverse et dernier assaut héroïque plein de claps. Leçon 10 : si une chanson peut en comporter trois, autant le faire.

Track 11 : Holy Piece of Wood

LE tube de l’album. Noise, puis boîte à rythme tropicale très confortable. Voix filtrée (on attaque, une fois de plus, par le refrain), roulement de batterie, riff funky à la Acme de Jon Spencer. Incruste de sons synthétiques. Chant de Dirty Wolf et bruit de grand singe. Les deux grooves de guitare sont entièrement décalés. Celui de gauche semble overdubé d’un synthétiseur. Break mélodique puis bruits de singe, de cloche, de souffle… Retour sur la rythmique, incitation à la débauche. On groove sans plus y penser. On nous emmène loin. C’est une chanson pop, une chanson de danse, une chanson de studio… Leçon 11 : la nationalité importe peu, seul le savoir-faire compte.

Conclusion :

Fantasy Word, le dernier morceau, nous emporte dans une cavalcade incessante type Heavy Trash. La rythmique ne cède pas un pouce de terrain. Nous sommes dans la vérité : la musique se joue au niveau du pur feeling, de la technicité inconsciente, du naturel magnifique. La connaissance musicale, l’apprentissage de l’instrument ne sert que dans le dialogue, tout comme le vocabulaire s’entasse et ressort inconsciemment ; les phrases musicales sont au service de l’immédiateté. Devant cette évidence, il n’est plus question d’époque, de mouvance. L’art a toujours avancé de cette façon : soit dans la continuité d’une esthétique, soit en rupture de cette dernière. Ici, nous sommes clairement dans une continuité, et pourtant la démarche n’a rien de passéiste. Un album qui a été pensé pour l’écoute, dont chaque son, chaque texture est étonnante. Beaucoup de trouvailles sont même jouissives. C’est logique, musical… Faire autre choses est aussi absurde que de rêver de passer à la télé : qui peut encore croire que c’est cool ?

The Experimental Tropic Blues Band // Liquid Love // Jaune Orange (Module) http://www.myspace.com/theexperimentaltropicbluesband

En concert au Batofar le 15 mars avec The Crows and the Deadly Nightshade

THE EXPERIMENTAL TROPIC BLUES BAND’S NYC DIARY (Part1) – « This Is NewYooork »

tropic’s tour – Alcohol Ep 05

3 commentaires

  1. Oh !!! Des vrais rockers ?!?
    J’suis en train d’manger l’premier , Rene the renegade…
    Super ,bien con comme j’aime , j’vais m’payer une suée à vot’
    soirée pas cher.

    Sinon ,Câlin ,rien à voir mais bien.

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