Elle avait disparue du rap game depuis 2016 et l’explosion du duo sexy-trash Orties qu’elle formait avec sa sœur jumelle, Antha. Sept ans plus tard et après avoir publié deux romans, Alexandra Dezzi, alias Kincy, revient sous le pseudo d’Erex avec une reprise rappée du Soleil Noir de Barbara. Comme la première pierre sombre et radieuse d’un album à venir.

De son propre aveu, elle pensait avoir laissé la musique derrière elle et n’imaginait pas refaire un jour du son. Depuis la mort, en 2016, du duo rap-goth gémellaire Orties qu’elle formait avec sa sœur Antha, elle n’avait plus pris le micro. Rangée des bagnoles, Kincy (son blase hip-hop de l’époque) avait privilégié la plume pour laisser s’épanouir Alexandra Dezzi, la romancière remarquée pour ses deux premiers romans : Silence, radieux (2018, Léo Scheer) et La Colère (2020, Stock).

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Rencontre hostile

Mais comme souvent dans l’existence, une rencontre est venue bousculer l’ordre établi. Celle avec le musicien et producteur Johnny Hostile, co-fondateur du label Pop Noire (Lescop, Savages, Jenny Beth…), qui a visiblement trouvé la formule pour réveiller la rappeuse mise en sommeil.

A en croire le premier morceau qu’elle a récemment dévoilé, celle-ci n’est toutefois plus la même. Rebaptisée Erex, visiblement affranchie de la dimension sexy-trash qu’elle embrassait pleinement avec Orties, elle ose une reprise rappée du titre Le Soleil Noir de Barbara, la plus gothique des chanteuses françaises. Produit et arrangé par Johnny Hostile et Mirwais, le résultat donne une ampleur nouvelle à ce sublime texte de la dame en noir. Posées sur des rythmiques un brin tribales et des nappes aux atmosphères apocalyptiques, ces paroles écrites en 1968 sont mises en valeur par un phrasé clair et tranché, aux antipodes du style mitraillette de l’original. Et résonnent puissamment encore aujourd’hui.
Le refrain, chanté de manière simple sur fond de piano, nous laisse apprécier un joli brin de voix que l’on ne soupçonnait pas. Le tout donne à entendre une parfaite hybridation entre tradition et modernité, accréditant ansi la thèse selon laquelle cette forme de rap chanté sera bien « la chanson française » au 21e siècle, voie qu’ont également commencé à explorer avec talent des artistes comme Odezenne ou encore Aloïs Sauvage. Un second morceau est annoncé pour le mois de mai. Et l’album « est en finition », précise Erex.

 

Débandade

Mais alors que s’est-il passé entre la mort de Kincy et la naissance d’Erex ? Retour au début des années 2010. Banlieusardes de la génération Myspace, les deux frangines n’ont même pas vingt piges lorsqu’elles montent Orties. Et se font rapidement un petit nom grâce avec leur rap décalé, miroir girly-trash d’un hip-hop de blancs-becs middle-class incarné à l’époque par TTC, baignant dans un univers mêlant horror-core et féminisme pro-sexe. En d’autres mots, un projet artistique qui sort des sentiers battus. Résultat : dès 2013 la sortie remarquée de leur premier album « Sextape », savoureusement décadent, sulfureux et non dénué d’humour, les propulse dans une autre dimension leur permettant d’établir des connections de prestige dans le milieu. Mises en avant par Michel Houellebecq, qui en fait son « choix hip-hop » (!) dans les Inrocks, les frangines sont « vues à la télé » chez Ardisson sur Canal Plus, s’offrent un featuring avec Christophe (Mes nuits blanches, sur l’album « Les Vestiges du Chaos »), et bossent sur leur deuxième album avec le poids-lourd Mirwais, qui forme notamment Kincy à la production. Malheureusement, l’histoire tourne au vinaigre. « Nouvelle chanson française » ne verra jamais le jour : suite à un clash entre Antha et l’ex-Taxi Girl, le disque est enterré. Et avec lui le duo Orties, dont l’acte de décès est prononcé sur les réseaux le 20 décembre 2016.

Tel un zombie partagé entre deux chemins possibles, le cadavre en décomposition va néanmoins se scinder en deux pour poursuivre sa destinée par-delà la mort. Alexandra prend le pas sur Kincy et se lance donc en littérature. Pour l’anecdote, elle écrira sur premier roman dans l’atelier de Michel Houellebecq, loué plusieurs mois pour l’occasion. Antha, elle, persiste dans le rap game et le sillon creusé par Orties pour réapparaître fin 2019 avec un premier album solo de gangsta-trap gothique aux accents baudelairiens, malsain à souhait, baptisé « Spleen ».

 

Les ressorts mystérieux, impénétrables et parfois surnaturels de la gémellité auraient-ils donc quelque-chose à voir avec le retour au micro, aujourd’hui, de l’autre moitié du duo ? Même si les deux sœurs ont à nouveau collaboré, en 2021, sur une chanson pour le film Non Mi Uccidere du réalisateur italien Andrea De Sica, a priori non. L’étincelle est bien venue de Johnny Hostile, qui est « venu la chercher » explique Alexandra dans un post Instagram. Voilà ce qui lui a permis en partie de renaître au monde de la musique et de la chanson : le projet Erex « est à envisager comme une renaissance : une affirmation de vie, indique-t-elle sur le réseau social, il a d’abord éclos sous les traits d’une « chanson-manifeste » (la première de cet album composé avec Johnny) puis s’est imposé.e en tant que nom propre, conceptualisant ce projet global, entre roman et disque, au titre éponyme : « Anticorps ». » Ce disque et son troisième roman ne feront en effet qu’un. Une manière de rassembler l’autrice et la rappeuse. Car même lorsqu’elles fanent ou qu’on les arrache, les Orties sont comme les mauvaises herbes : inéluctablement, elles repoussent.

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