Le chaînon manquant entre Anton Webern et Adriano Celentatano (via Girolamo Frescobaldi) dévoile ses secrets dans un livre d’entretiens des plus roboratifs.

La rencontre à la Cinémathèque avait donné le ton. Commençant par une tirade d’une dizaine de minutes sur la différence entre « musique appliquée » et « musique absolue », Ennio Morricone montrait qu’il n’était pas venu pour enfiler les perles. Tirant une tronche de six pieds de long, saluant à peine le public (ce qui le rend quand même plus sympa que Bob Dylan) et ne s’attardant pas pour profiter d’une énième standing-ovation, celui qui exige d’être appelé « maestro » n’est clairement pas « un bon client ».

En revanche, il a montré qu’il faisait partie des rares génies capables non seulement de produire des chefs d’oeuvre, mais aussi de commenter ces derniers avec pertinence. A rebours de toute langue de bois, il entre dans le vif du sujet sans peur de perdre son auditoire avec des détails techniques ou conceptuels. Pour ce qui est des satisfactions plus primaires, entendre, au débotté, le maestro fredonner le thème de Enquête sur un citoyen au-dessus de tout soupçon reste un inestimable plaisir de fan…Cette densité de la parole morriconienne, à l’opposé de toute superficialité mondaine, m’a alors donné envie de me plonger dans son livre d’entretiens sorti concomitamment chez Séguier : Ma vie, ma musique.

Au fond, Ennio Morricone n’est pas le mauvais bougre.

S’il lui est arrivé d’envoyer un journaliste de Libération « se faire enculer », c’est parce que le maestro, à 87 ans, estimait ne plus avoir le temps de répondre à des questions jugées stupides. La force de ce livre vient d’abord de la qualité de son interlocuteur: Alessandro De Rosa, jeune compositeur italien dont la culture musicale et cinématographique est sans commune mesure avec celle des folliculaires. D’où la pertinence globale de ses questions, remarques et relances qui permettent à Morricone de détailler ses techniques de composition, les théories qu’il en a tirées et, même, sa philosophie (c’est le moins convaincant mais c’est surtout son interlocuteur qui l’entraîne sur la pente du oiseux).

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C’est tout le paradoxe de ce compositeur que d’être devenu une star tout en gardant son austérité originelle. Il se lève toujours à 4h du matin, il est marié à la même femme depuis 1951 et demandait régulièrement l’avis de son maître Goffredo Petrassi jusqu’au récent décès de ce dernier à l’âge de 98 ans et demi. Ce dernier trait dénote l’humilité profonde d’un artiste qui n’a jamais cessé de douter. Initialement, Morricone est un compositeur de musique savante féru d’expérimentations qui, n’étant pas d’origine bourgeoise (contrairement à la plupart des étudiants du Conservatoire), s’est mis à arranger de la variété pour nourrir sa famille. Il ne s’est jamais départi d’une sorte de honte que traduit bien l’anecdote suivante: au musicologue qui faisait écouter le thème de Pour une poignée de dollars à ses étudiants de l’Academia Chigiana Ennio demanda de baisser le son, effaré à l’idée qu’une telle musique puisse résonner dans un lieu sacré à ses yeux.

En quelque sorte, c’est une volonté de rachat qui conduisit le musicien à composer des chefs d’oeuvre pour quantité de navets telle cette fugue à six voix avec double sujet et double contre-sujet pour un ersatz transalpin de Star Wars. Ce dualisme, qu’il tenta parfois de concilier au sein de ce qu’il appelle sa « double esthétique », marque toute son oeuvre.

Une parfaite synthèse pourrait en être le thème du Bon, la brute et le truand qui, comme le disait si bien Télé Poche dans les années 90, « a fait le tour du monde« ; ce qui n’était pas gagné d’avance pour une musique de western où se mêlent guitare électrique et cris de coyote reconstitués. L’une des astuces de ce symbole vivant de l’avant-garde populaire pour faire accepter les dernières innovations musicales au grand public : réduire au maximum la cellule génératrice de la mélodie pour faciliter sa mémorisation.

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Le tournant de 1958

Un évènement fondamental du parcours de Ennio Morricone fut le cours d’été de musique moderne de Darmstadt en 1958 où, après un séminaire nihiliste de John Cage, il se retrouva à déambuler dans une clairière en compagnie d’autres jeunes compositeurs italiens; frappés par une illumination, ils firent une ronde autour d’un caillou et crièrent à tour de rôle: le Gruppo di improvvisazione di nuova consonanza, fameux collectif de musique d’avant-garde, était né.

Au même moment, Ennio Morricone commençait sa carrière de producteur chez RCA en essayant de ne pas abdiquer sa singularité d’artiste. A l’intérieur d’une chanson imposée, il savait élargir son espace d’expression personnelle jusqu’à créer une véritable musique parallèle; en témoigne l’arrangement de Pastures of Plenty que Sergio Leone, qui ne s’est jamais remis du sifflement de Allessandro Alessandrini, tint à reprendre pour le générique de Pour une poignée de dollars. L’amateur de pop se rendra compte que, au début des années 60, certains producteurs italiens n’avaient rien à envier à Phil Spector et consorts en terme d’inventivité. D’ailleurs, il n’est pas mentionné parmi les 600 pages de ce livre mais je conseille aux amateurs de girls groups de se pencher sur Diario di una sedicenne, concept-album de Donatella Moretti sur les secrètes pensées d’une adolescente qui stupéfie par la richesse de son orchestration. Peu de temps après, Morricone commença à écrire lui-même des chansons. Sa solide formation académique (Petrassi considérait ce renégat de l’art avec un grand A comme son plus brillant élève) et sa curiosité sans limite lui permirent d’enchaîner les tubes avec une déconcertante facilité. Le plus célèbre, dont le mélange d’attendu et d’inattendu dans la composition est analysé partition à l’appui, est sans doute le Se telefonando de Mina.

Au fur et à mesure des pages, le lecteur découvre les jalons de la quête d’un compositeur de la deuxième moitié du 20ième siècle pour inventer un langage personnel après les dé(con)structions opérées par Arnold Schönberg, Anton Webern, Luigi Nono et autres John Cage : concept d’improvisation organisée, importance capitale des timbres, jeu sur les harmoniques naturels, simplification de la série dodécaphonique, retrouvailles avec une forme de modalité après l’obligatoire rupture d’avec la tonalité… Surtout, j’ai (re)découvert une ribambelle de pépites diverses et variées (concertos, cantates, chansonnettes, musiques de films, de télévision…) disséminées au sein d’une oeuvre quantitativement immense. A ce titre, c’est une excellente idée de l’auteur que d’avoir constitué une playlist Spotify avec les 644 morceaux évoqués au cours de l’entretien. Bref, Ma vie, ma musique parle surtout musique et est illustré par de nombreux extraits de partition.

La place accordée aux collaborations avec les cinéastes est importante sans être majoritaire. Quand même, les amateurs d’anecdotes apprendront entre autres que, un an après sa sortie, Ennio Morricone et Sergio Leone sont allés revoir Pour une poignée de dollars et sont sortis de la salle tous les deux atterrés par la nullité du bouzin, que le musicien a viré son agent parce qu’il lui a fait rater ses retrouvailles avec Terrence Malick pour La ligne rouge, que pour le thème principal des Incorruptibles Brian de Palma a tenu à sélectionner la partition que Morricone jugeait la moins intéressante ou encore que Pasolini ménageait ce qu’il croyait être la sensibilité puritaine du maestro en rechignant à lui montrer Salo et Théorème dans leur intégralité.

Sans que le compositeur n’ait besoin de se mettre en avant, le lecteur se rend compte que la collaboration entre Leone et Morricone eut une importance capitale dans l’Histoire du septième art puisque, comédie musicale mise à part, c’était la première fois qu’un réalisateur organisait sa mise en scène en fonction d’une musique composée préalablement et spécialement pour son film. C’est ce qui explique l’effet inoubliable du plan d’arrivée de Jill McBain à la gare dans Il était une fois dans l’Ouest, plan qui poussa Stanley Kubrick lui-même à décrocher son téléphone pour demander à Leone comment il avait obtenu une synchronisation aussi parfaite entre le son et l’image.

Bien plus tard, à partir de 2006, Ennio Morricone fut ravi d’explorer, grâce aux possibilités offertes par la technologie, de nouvelles méthodes de composition, basées sur une utilisation dynamique du contrepoint, qui lui permettent de réagir au quart de tour aux commentaires du réalisateur. Les partitions de L’inconnue et The best offer pour son vieil ami Giuseppe Tornatore montraient que la légende en avait encore sous le pied. C’est ainsi qu’il obtint un Oscar normal huit ans après avoir reçu l’Oscar d’honneur (fait unique dans l’histoire de l’Académie?). La reconnaissance des pairs est importante pour Ennio Morricone qui n’a jamais vraiment digéré l’injustice de la cérémonie de 1986 où la statuette de la meilleure bande originale fut attribuée à Autour de minuit et non à Mission.

Enfin, le livre est complété par des textes de cinéastes et amis qui apportent des regards extérieurs bienvenus. On retiendra celui de Carlo Verdone qui croque drôlement Sergio Leone, celui de Sergio Miceli qui pose son regard critique de musicologue sur la production de son ami et l’anecdote finale de Giuseppe Tornatore qui en dit long sur l’universalité du génie.

7 commentaires

  1. comparons pendant 14 ans & d brouettes le salaire de carlos Gooone gosh avec le salary man boss de gonzaï, cela fera certainement plaiz a perceverance………… allo ici la terre…………..

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