La scène, aussi improbable que cocasse, se déroule chez mon marchand de tabac.

La scène, aussi improbable que cocasse, se déroule chez mon marchand de tabac. Les interactions sociales, comme chacun sait, atteignent toujours leur apogée dans les situations les plus désuètes. Au fond du gouffre, l’humain trouve encore le moyen de tomber plus bas.

J’avoue m’être longtemps demandé si les joueurs du Loto (vous pouvez remplacer ça par Le millionnaire, le Morpion, le Black Jack) étaient plus respectables que les fumeurs. J’ai longtemps cherché à comprendre les raisons qui poussaient un homme normalement constitué à sortir le dimanche matin pour affronter la guichetière édentée du Tabac. D’un coté, ceux avides de jeux à la con sensés donner du sens aux vies médiocres, pétris d’un espoir indicible : ne plus se lever le matin, s’abonner à vie au Club Med’, se faire siliconer, arrêter son boulot de comptable, ne plus mettre de réveil. De l’autre, des drogués au teint jaune dépendant d’un paquet de clopes qui les amène inéluctablement à se faire greffer un tube dans la gorge vers la cinquantaine.

Et puis ce dimanche matin, devant le refus de la guichetière roumaine à servir ses clients avec énergie et conviction, mon regard s’est attardé sur le joueur du dimanche ; ce français moyen dépensant près de 10 euros tous les jours en divers tickets à gratter, accompagnant sa frénésie du grattage de borborygmes de déception. Chaque jour la compulsion du désespoir, et quotidiennement le besoin de remettre ça, invariablement. Une admiration soudaine s’est alors emparé de moi, une fascination subite pour l’homme capable de dépenser son argent pour une noble cause (gagner, changer de vie à moindre frais, y croire au point de se lever le dimanche matin) lorsque je lorgnai vers les clopes derrière le comptoir (tous ces mégots écrasés, mon cancer de la gorge en gestation, etc…). Au moment de payer son addi(c)tion, l’anonyme a simplement rajouté, d’une voix rauque :

« Et vous me rajouterez un paquet de Gitanes sans filtres s’il vous plait »

Je vous laisse imaginer le déclin du rêve et des fascinations. Pour des raisons ignorées, j’ai tout de suite songé à la vacuité des vies et pourquoi rien ne changerait, finalement, en dépit des apparences. Un long long chemin vers la mort, physique et cérébral, qu’on soit joueur ou fumeur ; c’était finalement la même carrière. En rentrant chez moi, je me suis allumé une cigarette et le vaste sujet de la contre-culture moderne m’est apparu clair comme jamais.

Plusieurs voix s’étaient récemment élevées contre le mainstream, d’autres contre le mauvais gout sous-jacent, d’autres encore avaient la nostalgie au fond de la gorge. Mais tout cela, c’était aussi la même chose, une palanquée de désirs sans prix qu’on voyait disparaître sous le joug du méchant capitalisme. L’argent rattrape toujours l’idéal, de Staline à Mick Jagger, des putes en vitrine à Deezer. Le pareil au même.

Et puis Deezer, j’y reviens, sur qui je voulais taper. Mais ca, c’était avant de sortir acheter mes cigarettes.

Voilà presqu’un an la quasi majorité des grabataires applaudissait des deux mains à l’annonce d’un nouveau mode de consommation de la musique, une avancée sans nom pour ceux qui n’en avaient pas encore un. Un modèle de gratuité typiquement 2.0 avec une démocratisation de la culture, sensée qui plus est rémunérer les artistes en streaming sur le site. Deezer, le Graal des mélomanes sans pognon, j’y ai presque cru faut dire. Comme tout le monde.

Et puis soudain le radeau s’est violemment retourné. Début mars 2009, Jonathan Benassaya, patron de Deezer, annonçait l’arrivée de la pub radio entre les titres (environ tous les quart d’heure), la nécessité d’avoir un compte pour écouter gratos, en plus des encarts google pub, en plus du player customisé Motorola et des mises en avant commerciales sur la HomePage. La gratuité a-t-elle un coût ? La majorité des internautes sondés (78%) répondent par la négative (« je n’irai plus sur Deezer à cause de la pub ») et seulement 21% continuent d’accepter la corruption du système.

Cette vaste problématique, on la retrouve à tous les étages du music-business. Le piratage (« payer pour consommer ? »), l’événementiel (« payer pour voir un concert ? »), à l’intérieur même des labels (« combien faut-il payer nos artistes et ont-ils encore besoin de nous ? »). Puis  finalement la presse dans son grand ensemble, avec des publi-rédactionnels (Vice qui rédige des suppléments JUSTICE+COCA=Bonheur, Rock & Folk et ses dossiers « Etre un chanteur rock » subventionnés par les majors qui veulent écouler le back-catalogue, Technikart qui demande à Eudeline de jouer sur PS3, etc) qui crache au bassinet comme jamais pour se maintenir au dessus de l’eau.

Plutôt que de mimer les punks à chien incapables de comprendre quelque chose à l’économie moderne (« le SMIC à 1500 € », genre…) j’ai soudainement repensé à mon joueur du dimanche, l’homme qui grattait frénétiquement ses bouts de carton : Directeur marketing de la nouvelle économie, simple auditeur de Deezer et consort, annonceur pub, manager de l’un des groupes Myspace en vogue.. Il aurait pu être simultanément tout et personne, une poussière dans le marasme, que cela n’aurait rien changé… Plus que deux cigarettes dans mon paquet. Le tonneau des danaïdes en action, où lorsque la vie moderne rejoint les mythologies.

Illustration: Terreur Graphique

 

 

 

27 commentaires

  1. MAIS Où RENVOIE DONC CETTE ASSSSSSTÉÉÉRIIIIISSSQQQUUEEE À LA FIN ?
    J’AI LA RÉPONSE FINE ET PLEINE DE GRAISSE : DANS TON CUL !
    On va pas passer 1200 commentaires à se demander où renvoie l’étoile du berger…
    On pourrait faire des commentaires sur le sujet de l’article, dire que, nous aussi, la pub sur deezer ça nous rend malade, ou au contraire, qu’on adore ça la pub, parce que c’est beau et que àa sent bon le jambon… mais non, y a ce putain de mystère de l’astérisque qui renvoie au diable…

  2. Bouuh bouuuh y a de la pub sur Deezer…

    « L’argent rattrape toujours l’idéal »
    Quel idéal ?
    Mais qu’est-ce que vous croyez ?
    Vous croyez que Deezer a été fondé pour « militer pour une culture gratuite » ? Ahahahahaha !

    Pour le tout-gratuit et contre la pub ?
    Faut choisir son camp les amis.

  3. J’ai une idée : et pourquoi ne pas payer les disques chez le disquaire. Faut pas faire d’économie, c’est très mauvais pour la santé. « A force de mettre de l’argent de côté, on passe du côté de l’argent. » Antoine Blondin. Ok c’est un avis de retraité.

  4. La publicité est une activité légale qui recrute même en période de crise. Une plume alerte et créative comme la vôtre y a toute sa place. Téléphonez-moi qu’on leur fasse payer le prix et qu’on s’en paie une bonne tranche. Bien à vous,
    JS

  5. Mais…Si la pub permet de reverser du fric aux artistes…ne peut t on pas tolérer ses intrusions? Sinon on peut toujours aller acheter le disque à la fnac hein.

  6. Il faudrait alors revoir le système des droits d’auteurs et de la sacem pour que les artistes soient rémunérés équitablement, qu’il ne soit question en réalité de coller de la pub sur un morceau de Cheveu et que l’argent reversé à la Sacem engraisse Pascal Obispo et ses copains gros vendeurs, nan ? Réformons d’abord ce golem et peut-être pourrions-nous être à la limite d’accord avec le concept de « PUB CONTRE RÉMUNÉRATION DES ARTISTES » (qui pue bien l’aide huminataire genre « pétrole contre nourriture »)… Pour l’instant, il me semble que c’est un faux argument à la solde du même lobby qui lutte contre le téléchargement et le gobage de Flanby…

  7. Justement, Terreur, le système dont tu parles, c’est celui des achats de cassettes ou CD vierges ; ils sont taxés, et cette taxe part à la SACEM, qui, effectivement, la reverse en gros à Obispo, Goldman et Cabrel. Le projet de loi de taxe sur l’accès Internet est du même tonneau.
    En revanche sur Deezer, les artistes sont rémunérés au prorata du nombre d’écoutes de leurs titres.
    Bon, effectivement c’est donc plutôt Kanye West et Katy Perry qui en profitent, mais si Cheveu était écouté un million de fois sur Deezer avec de la pub tous les 1/4 d’heure, ce sont eux qui toucheraient une partie de l’argent de la pub ; c’est quand même pas trop mal comme système, si ?

    Entre parenthèses, le concept de « PUB CONTRE RÉMUNÉRATION DES ARTISTES » n’est pas vraiment nouveau, ça s’appelle « la radio ».

    Et ne mélangez pas tout, rien à voir avec le ‘lobby anti-téléchargement’. Le téléchargement de musique sera de toute façon bientôt révolu (à quoi bon ‘posséder’ des mp3, ou même un iPod, si on a accès à toute la musique en écoute directe sur nos portables connectés sur Deezer en wifi ?)

  8. Bon alors déjà « on a accès à toute la musique en écoute directe sur nos portables connectés sur Deezer en wifi » cela m’a fait autant rire que les autocollant « WiFi » dans les TGV… La crédulité est sans limite ; tout flatteur vit au dépend de celui qui le flatte.

    Ensuite, j’écoute Jiwa parce que les albums y sont en entiers, dans le bon ordre et en qualité décente.

    Enfin, le rêve de demain ce n’est ni le streaming ou ni la musique gratuite. C’est de la musique de qualité, rentable pour celui qui en joue. Méditez ça. Aujourd’hui on a ni l’un ni l’autre.

  9. Joli introduction aux principes de l’économie deezerienne mister BSTR, le modèle deezer n’est évidemment pas viable et ramène des mollets de fourmis aux artistes qui le mériteraient, le problème n’est pas la pub, mais le modèle économique, il faut passer d’une logique de marketing (lobotomiser des besoins qui n’existent pas) à la médiation culturelle (rendre moins con, tuer les DA majors de leurs promos). Je ne saurais que conseiller le plus rock’N’Roll des économistes Bernard MARIS et son antimanuel d’économie (T1 les fourmis, T2 les cigales avec un super chapître sur l’économie du libre et du digital) pour comprendre que la concurrence féroce tire le tout down, alors que la coopération tire le paquebot up!

  10. Moi deezer ne me convenait pas (et encore moins avec la pub), alors j’ai bricolé Zicmama…

    Mélange de logiciels Open Source, reliant musique et P2P, on copie et sauvegarde du même coup ses albums préférés 😉

    http//www.zicmama.com

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