Au commencement était Adam. Famille du nom de Kesher. Puis, comme un animal hermaphrodite capable de se féconder tout seul, le groupe lâche ses side-projects dans la nature ; Beat Mark, le dernier en date, sorte de faux pendant indé lo-fi. Entre Adam et Mark, il y a Gaëtan Didelot, guitariste à plusieurs mains et, de Kesher au Beat, il n’y a qu’un pas. Que je franchis, après l’avoir tapé sur le plancher pour battre le pouls. Adam Kesher, ce soir-là, pour discuter, en vrac, de cette volonté d’y rebondir, d’être plusieurs en un, de gimmicks et de sexe avec la guitare.

C’était Arthur Peschaud (Pan European) qui me disait, à propos de Phoenix, qu’ils avaient un sens certain du gimmick, un savoir-faire imparable, mais que leur musique avait plus tendance à éveiller les ardeurs de Danoises en boots qu’à effleurer sa sensibilité. Sens du gimmick, Danoises en boots, probable imperméabilité ; c’est à peu près ces trois images qui peuvent interagir face au cas Adam Kesher, face à cette efficacité musicale tape-à-l’oreille, fraîche et brûlante à la fois, combustible comme deux corps adolescents qui se frottent. Oui, Adam Kesher, miroir, boule à facette, vise le tout juste post-pubère qui bouge toujours en nous, avec pour seul coupable le plaisir. Il faut appréhender pleinement cette idée de « chic à la française » pour en venir presque à se sentir étranger dans son propre pays ; échanger la place avec les Danoises, enfiler les boots – littéralement « walking in their shoes ». Il y a des groupes comme ça, qu’on comprend mieux quand on ne parle pas la même langue qu’eux.

4 février 2011, quelques minutes après qu’Adam Kesher ait fait claquer le plancher de Noisiel avec sa dizaine de tubes, et que le beat ait inscrit sur les visages des sourires bon enfant, le guitariste était apparu dans son plus simple appareil – un mur recouvert de pandas zombies derrière lui. Gaëtan Didelot donc, enchanté. A la fois Adam Kesher, A Fight For Love, Beat Mark et plus si affinités, Gaëtan voit large en dissociant bien les uns des autres, avec le juste recul pour éviter l’éparpillement. Plutôt que de changer l’orientation d’un groupe pour qu’il renaisse comme le phoenix (public joke), autant en fonder parallèlement un autre ; une façon de faire écho aux multiples « moi » qui se cachent et/ou se bousculent à l’intérieur d’une seule et même entité, voire d’aborder sainement sa schizophrénie – aussi minime soit-elle.
Beat Mark donc, soit une partouze amicale entre membres de This Is Pop, Adam Kesher et Yussuf Jerusalem. Mais pour faire encore autre chose : plus « nature » que « challenging », moins taillé pour les clubs. Les morceaux, du coup moins lisses et passe-partout, sonnent comme enfermés à l’intérieur d’une station de radio légèrement mal réglée. Noisy mais pas moisie. Un brouillage des pistes ? « En tout cas, ce n’est pas contre Adam Kesher, plutôt pour éviter de le parasiter. On y retrouve ce qu’on ne pouvait justement pas exprimer à travers son identité et sa direction. On avait dans la tête un projet un peu plus énervé, ce qui ne s’est pas passé du tout. Les morceaux ont démarré avec Julien [Perez, la voix d’Adam Kesher – NDR] pour un résultat un peu garage punk, hyper redskin (sic!). On a trouvé les personnes pour le faire avec nous, parmi d’anciens copains. Puis cette fois, il y a des filles dans le groupe !» Avec le désir évident, pour un groupe englué dans les marasmes d’une musique bénévole, de placer l’immédiateté au premier plan. Immédiat, dans les compositions comme dans les sorties : « En ce qui concerne Beat Mark, on essaye de bâtir un projet qui soit complètement détaché de tout intermédiaire ; pas de tourneur, pas d’éditeur, pas de véritable label… enfin si, mais le mec, on le connaît très bien, c’est un pote de Bordeaux, la cinquantaine, et c’est le seul disque qu’il ait sorti. Avec Adam Kesher, on joue le jeu de l’industrie musicale, on a conscience que les choses prennent du temps. Par exemple, il faut penser que les morceaux de Challenging Nature [leur dernier album en date – NDR], au moment de la sortie, avaient déjà un an d’âge. » Pas une raison pour les laisser au bord de la scène.

Beat Mark

Même si Adam Kesher touille dans le gloubiboulga discool de l’époque, même si l’énergie sexuelle puérile donne parfois à entendre un groupe post-Indo à la Glow ou Oxygen (« The most beautiful boyyy » sur Hour Of Wolf, l’intonation), ou à du Minitel Rose moins kitsch, on peut difficilement trouver beaucoup de prétendants usant de ce créneau jusqu’à l’accroche. « On se sent proches des groupes français qui ont une envergure internationale. On sait d’autant plus qu’on aura du mal à trouver un public ici. Oui, on va trouver des gens qui aiment notre musique, mais ça reste un cercle relativement restreint. On admire le parcours et la classe de Phoenix. Ils n’ont pas l’exposition qu’ils méritent alors qu’il sont immenses. Puis, putain, ils ont vendu 500 000 disques aux States, alors qu’en France, c’est « bon, d’accord !». On n’est pas obligé d’être d’accord non plus mais, au moins, on peut rapprocher la situation Adam Kesher de cette sempiternelle complainte qui dit que nul n’est prophète en son pays – même en oeuvrant finalement dans une musique moelleuse à souhait.
La dernière fois, Bester me disait que, dans un monde nouveau qui nous donnerait une vie de plaisir (pas en ces termes ; on parlait de Dondolo une heure avant – ceci explique le remix), Turzi serait numéro 1 du hit parade. Concernant Kesher, l’idée devient tout de suite moins insolite ; « Je regrette qu’il soit si compliqué de mobiliser des médias (sauf presse et internet – hors course) pour une musique chantée en anglais. Mais bon, un exemple – même si j’aime pas – Pony Pony Run Run, ils ont eu une victoire de la musique. Je crois quand même qu’un cap a été franchi, ça m’aurait semblé impossible il y a dix ans. »

La ritournelle reprend aussi sur l’idée que la langue française présente surtout un intérêt quand on joue avec ses mots, comme on jouerait d’un instrument. Gaëtan parle de gimmick et désigne Jacno, Daho, Dutronc : « Prends l’exemple de « Tombé pour la France », le texte n’est pas génial en soi mais le morceau fonctionne : la froideur de la musique qui supporte à merveille le timbre de la voix de Daho » Et, aïe… Katerine. Puisqu’il le cite, je lui demande ce qu’il pense du retour à l’état primitif du pitre professionnel : « Dans ce disque, il n’y a que des gimmicks. Ce mec flirte avec La Zoubida et Le Petit Bonhomme En Mousse, mais s’en sort toujours très bien. Il montre le tiraillement de la musique française entre la Vraie Chanson et les amuse-gueules… Moustache, c’est une sorte d’hommage au rire enfantin. Musique d’ordinateur, l’idée qu’on est environné de musique, tudulululu, la musique de la SNCF, dans les aéroports… » Hum, comment ne pas se sentir mal à l’aise en voyant ce type au devant de la scène, si peu d’arguments ou – j’ose le mot – aussi faciles ? « Non, tu te trompes, il y a un énorme travail derrière. Ce que tu dis, c’est comme les gens qui vont te sortir, à propos de Picasso, que leur gamin de quatre ans fait pareil. Il pose simplement la question : « qu’est-ce qu’on attend de la musique? » Ou « qu’est-ce qu’on redoute dans la musique ? », auquel cas Katerine apporte à lui tout seul la réponse sur un plateau. Dans feu l’émission En Aparté, le Filou avait affirmé – comme une ligne de conduite prématurément envisagée : « On n’arrive jamais à ne pas penser. Moi, j’aimerais bien y arriver, me retrouver dans un vide intersidéral ». La parole à la défense : « Le morceau Blah Blah Blah, c’est un gros pied de nez à la SACEM, à la chanson à texte… Deleuze disait que les philosophes sont en plein délire. Leibniz, quand il a parlé de monade, tout le monde l’a pris au sérieux, comme quoi tout est monade, tout est dans tout. C’est du délire total, comme le mec que tu croises dans le métro qui fait wo wo wo wow [NDR : pas Christophe] ou po po po po po [NDR 2 : pas Joey Starr non plus] – sauf que Deleuze a fait pareil. A un moment, il y a une prise de conscience du travail de philosophe, un délire que lui décrit comme schizoïde… Ce qui veut bien dire qu’il a un sens ; dans son délire, aussi foutraque et pervers soit-il, Katerine se rend compte que c’est hyper « individué » mais que ça vaut le coup d’être mis en av… « . Comme une coupure et une conclusion à la discussion, un type mystère nommé Karl se pointe. Il rétorque gravement, avec beaucoup de basse :

« Nan c’est pas vrai ! Moi je fais de la pop ! J’ai écouté les mecs de tout à l’heure… (A Gaëtan) Je sais pas si t’es artiste, moi je suis un artiste… Voilà, j’aime pas le rock, enfin j’aime bien mais faut que ça tabasse. Bon là, vu que ça tabasse pas, faut que ce soit funky : dès que j’ai envie de danser, y a une part de gagnée. C’est comme chez les meufs, si y a une part de sourire, t’as gagné au moins 50 % d’un sourire. Mais bon, je suis un peu poète. La musique, si j’ai envie de danser ou de baiser, c’est gagné ».

Moi : D’ailleurs, Adam Kesher, je trouve ça assez sexuel.

Gaëtan : Ouais ouais, j’attends…

Karl : T’attends de voir une partouze sur ton son, c’est ça ?

Gaëtan : Non, mais je suis vraiment influencé par la soul bouillonnante. D’ailleurs je fous des coups de hanches dans ma guitare quand je joue, c’est pas anodin.

Voilà, merci Karl pour l’intervention : on comprend mieux maintenant comment et à quel moment se passe la procréation.

http://www.myspace.com/adamkesher
http://www.myspace.com/beatmark

7 commentaires

  1. Résumons: Katerine, Phoenix et Deleuze sont sur un bateau, Deleuze tombe à l’eau… reste deux de mes pires névroses sur un radeau. Et tout ça dans un seul papier, c’est impressionnant.

  2. Beatmark c’est cool, c’est les Beach Boys avec l’accent Bordelais et l’esthétique de Deerhunter/Crystal Stilts/My Bloody Valentine. Faut oublier qu’ils sont français quoi…

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