Si nous étions des hommes, il s'agirait d'une rencontre d'hommes. Mais je manque de réflexes et Darc frappe en dessous de la ceinture. On échange quelques coups. Un crochet passe, Darc entre dans ma sphère, je porte mon coude lentement vers son visage, Darc pince déjà ma braguette. J'ai perdu.

Darc aime la boxe, le kyokushinkai, cherche le K.O., s’accroche au vide, du tranchant de sa main il assomme un taureau : « Dans la vie il faut être un fils de pute pour rester en vie ; excuse-toi toujours, mets en confiance avant de cogner. Deux claques sur les oreilles, la paume dans le nez, pas de couteau mais un stylo – moins de problèmes avec la police – au pire tu plies un journal en deux et tu vises le cou. »  Darc a foutu son bushido au clou, pas sa gentillesse.

Entre la tonnelle cinétique et l’écoulement dogmatique de la fontaine, la véranda du Musée de la Vie Romantique accueille une apologie sincère et tendre de la traîtrise. Une lâcheté pardonnée, comme les arrangements de ce nouvel album, « La Taille de mon âme », dont on accuse Laurent Marimbert, producteur de Nolwenn, Tarkan, 2 be 3… Dante, enfer, troisième cercle. Un Fred Lo congédié, il aimait trop Costello. Deux albums parfaits et à la porte, enfin on ne juge pas, on n’est pas dans les arcanes, et quand on aime on ne sonde pas. Certaine choses ne doivent pas durer. Malheureusement, l’accumulation des « on » ne sauvera pas un album gueule cassée, défiguré par des cordes froides et loin d’être raides, un manque de profondeur dans la production – qui égale à peine celle d’un bassin pour enfants dans une piscine municipale – et pour finir, des cuivres qui méritent un premier accessit de non parti-pris. Bref, Darc prêche dans le désert. Il s’en fout, les assassins lui confient leurs secrets et dehors il pleut très fort.

Les textes, oui. La diction aussi terrible que l’addiction, c’est lui qui le dit. Le savoir dire. Des thèmes nouveaux, purs : vieillir, la déperdition du corps. Moins nouveaux : la Bible, perdre les copains. Comment lui en vouloir ? Darc n’est pas un lâche, mais il n’a pas le courage de bien s’entourer. Il redressera la table du Festin nu avec le gluant Marimbert pour un album de jazz en quartet. On espère le Vian du changement.

Non, Darc n’est pas lâche, c’est un courageux. Vingt ans à vivre dans une valise c’est long ; des volontaires ?

Si la musique ne répond plus, pourquoi pas le roman, la poésie ? « Écrire un livre qui ne parle de rien comme Flaubert, la plus belle chose au monde, ce n’est pas pour moi. » Manque de souffle pour Darc, lucidité qui force tous les blindages de l’admiration. Il a tout dans les jambes, il me fait faire la chaise, je ne fais pas le poids, je m’écroule. La seule et vraie puissance de Darc c’est la chanson et son absence de règles, le format court, né pour courir le cent mètres. Quel gâchis ! Les plus beaux textes français sont bien à lui, et qu’on ne vienne pas me repasser les roustons avec Alister, alors filez-lui un Vannier, un Goraguer, un orchestre, un big band… Un disque de country ?

Il veut faire un album par an, voire plus. Il parle de guitares à la Reinhardt, de Miles, qu’on le laisse faire. Merde c’est vrai, la crise remonte la rue Chateaudun à contresens. On sera patient.

« Darc est crad et card et darc Elvis versa. » Mais Darc est surtout un enfant du paradis, et le fait savoir par l’intermédiaire d’Arletty : « Je ne suis pas belle, je suis vivante, c’est tout ». Tu ne nous dois rien d’autre. Des pièces roulent de sa poche, tintent. La responsable du musée lui propose d’en jeter une dans la fontaine, ça porte bonheur, et avec un peu de chance on assomme une carpe fluo. L’espérance de vie d’une carpe est de cent ans. Darc regarde ses pieds, tout sourire : « Oh moi, le bonheur…» Tu n’es pas beau, tu es vivant, tu ne nous dois rien. Abi gesind Chavver.

Daniel Darc // La taille de mon âme // Sony
Réalisation interview: Rod (Hiboo)
Photos: François Grivelet


DANIEL DARC :: L’interview « Punch Drunk Love » par Gonzai_mag

7 commentaires

  1. Je suis d’accord avec l’article de Martin Rahin, « Ma critique de la taille de mon âme » est moins tranchée mais comme Martin, je regrette sincèrement que Frédéric Lo ait été écarté. Voici ma critique :

    « La taille de mon âme » sorti le 8 novembre dernier est le nouvel album de Daniel Darc. Plus de trente ans de carrière pour cet artiste somme toute encore trop peu connu du public, et pourtant l’un des tous meilleurs artistes français après Gainsbourg et Bashung.

    Peu d’albums, pour une si longue carrière, mais combien de titres inoubliables, inusables : « Mannequin », « Cherchez le garçon », « Musée Tong » (remarquable album Sappuku !), « Pars sans te retourner », « Toutes les filles sont parties », « Je me souviens je me rappelle »…

    Avec et sans Taxi Girl, impossible de ne pas voir en Daniel Darc, une plume, des mots qui claquent, un poésie immense, des arrangements typés, un son à part sur la scène Pop-Rock. Je ne le cache pas j’ai un faible pour l’œuvre de Daniel Darc.

    Personnage tourmenté, désespéré, sensible, fragile, timide, généreux, Daniel, alterne depuis ses débuts, périodes sombres et moins sombres et nous a habitués à de longs temps morts sans publications. Puis il y eut 2005, la rencontre Daniel Darc – Frédéric Lo. Un album, un album sublime « Crève Cœur », album de la consécration, des victoires de la musique, album révélation de l’année. Il y eu aussi un second album avec Frédéric Lo « Amours Suprêmes », un album moins médiatisé, et pourtant, un épisode somptueux, l’album parfait, dense complexe. Un disque dans lequel rien n’est à jeter, à écouter, à réécouter au fil des ans et une mention toute particulière pour l’envoutant « La seule fille sur terre », sa grand-mère, les camps de concentration « Elle a tatoué sur le bras un poignard, une croix ». On aime, on n’aime pas, mais il faut l’avouer, à chaque nouvel album, la qualité des productions de Darc est toujours positionnée largement au dessus des productions du moment.

    Novembre 2011, pour le nouveau Daniel Darc, Frédéric Lo n’est plus de la partie, remplacé par Laurent Marimbert (Christophe, Philippe Katerine, Emmanuelle Seigner et d’autres). Certains titres de ce nouvel album avaient été dévoilés au public parisien lors du concert du Palace en février dernier (concert à ranger côté Darc-sombre).

    Histoires de vie, d’amour, du temps qui passe, des amis disparus, racontées, parlées chantées avec une touchante sincérité « La taille de mon âme » rencontre un succès critique quasi-unanime. L’album est principalement remarquable et comporte aussi quelques faiblesses.

    S’il ne fait aucun doute que les paroles de cet album sont plus poétiques, plus humaines, plus sensibles, plus somptueuses que jamais, très proches du meilleur de Gainsbourg; d’un point de vue strictement musical, certains titres (peu heureusement) se montrent un ton légèrement en dessous de ce à quoi nous a habitué Daniel Darc ces dernières années.

    L’album commence d’ailleurs assez mal avec « Ira », titre insipide, tiède, ennuyeux. Il ne faut surtout pas arrêter l’écoute à cet instant car dès le second titre, le contraste est saisissant. « C’est moi le printemps » 1er single de l’album, ritournelle simple et magique. Piano, claviers somptueusement « Darckiens ». France Inter adore, bien sûr.

    L’émotion qui nous avait jusque là envahis n’est rien par rapport à celle que produit le titre suivant, “La taille de mon âme”, valse sur fond d’extraits sonores issus du film “Les enfants du paradis”, véritable splendeur, “Si tu savais mes cris rien, si tu savais mes jours rien, si tu savais mes nuits rien, si tu savais mes rêves rien, si tu savais mes joies rien, et si seulement tu savais la taille de mon âme…”. On en a le souffle coupé. On chancelle.
    L’écoute continue, Darc est maintenant magistral. Avec “C’était mieux avant”, nous sommes revenus au temps de Taxi Girl époque “Seppuku”, mais ici, les textes sont encore plus aboutis que par le passé (début des années 80), “Crade est Darc, Elvis versa un poison qui le réanima, et depuis comme Marvel, comme un mutant crade est Darc, de temps en temps Darc est crade à chaque instant… C’était bien mieux avant – elle dit ça lentement – moi je sais que le temps – n’attends personne pourtant – c’est vrai de temps en temps – je me dis si seulement…”

    La suite de l’album est parfois un ton en dessous mais reste toujours d’un très bon niveau.

    Quelques jolis titres, bien écrits, mais musicalement fades, menant parfois même à l’ennui. “Ana” qui résonne comme en echo au “Manon” de Gainsbourg. “Seul sous la lune”, paroles magnifiques, mais choix musical discutable (pourquoi ne pas avoir retenu l’option claviers/synthés à la Darc ainsi qu’un tempo nerveux qui auraient transcendé ce titre dont le potentiel est évident dès la première écoute). “Vers l’infini” joli titre rendu ennuyeux par un traitement “lounge bar”, on s’endort avec l’impression d’écouter une soupe tiède concoctée par l’inégal Benjamin Biolay pour Henry Salvador. “Les filles aiment les tatouages”, on attend que le titre s’envole, le titre se termine, rien ne se passe.

    Et pour le reste : “Les vœux de bonne année”, Gainsbourg, encore, toujours, tant mieux. Cette fois-ci, c’est du Gainsbourg époque “L’homme à la tête de chou”. Un hommage très certainement, car le titre prodigue une impression de déjà entendu. “My Baby Left Me” toujours aussi incroyablement Gainsbougrien, quasi-parodique, époque BB initials. “Quelqu’un qui n’a pas besoin de moi” magnifique – Gainsbgourien toujours (mais un peu faible musicalement).

    L’album se termine sur un majestueux “Sois sanctifié”. L’émotion est de retour !

    Bilan global, bravo Daniel, ton talent est immense, « La taille de mon âme » est un grand album, à écouter en boucle à condition zapper 3 ou 4 titres.
    Dommage, pour ces quelques titres, ils donnent le sentiment qu’avec cet album, Daniel Darc est passé tout près de ce que l’on aurait pu considerer comme un album majeur dans le paysage de la chanson et du rock français. On a envie de dire, “mais bon sang pourquoi Frédéric Lo n’a-t’il pas collaboré à cet album ?” Mais au fond celà ne nous regarde pas.

    Reste que cet album est à ne rater sous aucun prétexte, à écouter, écouter encore et encore. Daniel, continues à nous offrir des albums comme celui-ci !

    Philippe Voss.
    Philippe.voss@yahoo.fr
    Paris, le 18 novembre 2011

  2. eh bé ! Pas le temps de faire une critique, d’autant que je n’ai pas eu le temps d’écouter ce nouvel album… Mais autant l’article attire que la vidéo attise… Emouvant, ce Daniel et pas déconnant !

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