La pop, c’est Bestiaire Land : Les Chats Sauvages, Dinosaur Jr, Eagles, Eagles of Death Metal, Grizzly & Panda Bear, Snoop & Nate Dogg, Jarvis & Joe Cocker, Cat Power, Les Rats, Ratatat, Dead Mau5, Wolf Parade, Band Of Horses, Toro Y Moi, Kings Of Leon, Oizo, Phoenix, AS Dragon, I am un Chien, Tekel, Arctic Monkeys, Simian Mobile Disco (Foxy Brown ?)… J’ai envie de dire wargh, une éléphantesque animale collectivité composée, comme on peut le voir, de mastodontes dispensables qu’on a vulgairement abandonnés sur le bord de la chaussée depuis des lustres franchement romantiques, d’autres qu’on a adopté volontiers et qu’on suit de près comme des amis domestiques. A cette liste, merci d’ajouter les Crocodiles, produits d’ailleurs par l’autre simiesque de James Ford – à placer direct dans la cage hi-fi – grave erreur pour nos amis les bêtes humaines de les laisser s’échapper.

Au milieu de cette vaste faune sonique, les Crocos font la pluie en mâchouillant l’air du beau temps et jouent aux dinosaures morts sans retenue aucune. De sublimes flambeurs qui font moins les malins quand on les accroche à des polos. Ca peut en irriter plus d’un, les plus underground ne supportent pas cette atroce torture. Bestioles patibulaires, grandes gueules  qui, sous la carcasse, couvrent une sensibilité hors du commun, pas peu fières d’avoir acheté leur profil de racailles des marécages sur Amazon.com. Sans parler des Crocodiles dandies, ahaha c’est marrant. Bref, fin de la parenthèse introductive gonzoophile.

D’abord, si vous le voulez bien, un peu d’humeur sur la pochette qui est belle.

C’est peut-être ce qui s’appelle regarder la mort en face, en fait ; incliner la tête vers encore plus bas que le sol et fixer, soudain, le vide à un pas à peine de tomber dedans. Stoppés dans leur élan, quatre enfants noirs et blancs s’arrêtent au bord du précipice : de loin, on pourrait croire qu’ils matent leur reflet comme si la mort se dessinait sous leurs yeux. Ici, c’est donc une place pour enterrer l’étranger, le seul qui soit : l’étranger à la vie, tu vois ce que je veux écrire, le mort, ne passons pas par quatre chemins. On s’arrête là si on ne veut pas se faire enlever par la faucheuse, comme on s’arrête devant le marécage qui nous semble suspect. Ici, c’est Sleep Forever, donc on y va quand même : bonne nuit adieu, bienvenue dans l’allée sans retour où le retour veut dire s’en aller.

Le flou, la buée sur les pochettes de Loveless ou de Primary Colours, signent cette espèce d’avalanche brumeuse qu’elles renferment et qui entre dans une oreille sans ressortir par l’autre (DANGER : le shoegazing mène à l’autisme). La photo de Sleep Forever, elle, peut renvoyer à la position dite « du shoegazer de base », représenté par ces gosses dont la fin est si lointaine mais si proche ici. Le mec qui n’en finit pas de creuser le sol du regard, limite comme s’il creusait sa propre tombe. Putain, pour la millième fois, comment ça se fait que la résignation (j’ai bien dit résignation – pour préciser que laisser tomber la tête, c’est laisser tomber tout court) génère des disques aussi puissants ? Bon d’accord, est-ce que le sol c’est la flaque d’eau de Narcisse, un miroir, pour qui se met à pratiquer le shoegazing comme une activité de survie ? Tiens, en parlant de ça, Mirror’s Image, c’était bien le premier morceau de Primary Colours ? Le premier de Sleep Forever, c’est Mirrors tout court. Un lien ténu, me direz-vous, si c’était le cas je resterais satisfait de cette déduction. Un jeu de mur/miroir du son avec les groupes des années 2000 qui planent au-dessus des autres, pour moi, un jeu d’échos habiles ce Sleep Forever.

Un disque de shoegaze de plus sans doute, un mauvais disque de moins et c’est plus que bien.

Le papier qui le présente signale les zones de turbulence « noisy » et des nuages « shoegaze », le genre d’invitation au voyage qui ne se refuse pas quand on aime se laisser porter par les grandes roues vaporeuses. Un tunnel interminable et saturé d’interférences, ah bon, une seule chanson dont on a recollé les pièces avec des hauts, des bas, mais de vraies propositions qui saisissent et ressemblent à ce qui fait « habituellement » décoller (Hollow Hollow Eyes, All My Hate). Dire que c’est prévisible, est-ce vraiment un défaut ? Hum… C’est que dès que la petite musique se pose là en préambule, c’est pour mieux assumer son rôle de musique d’ascension. Et c’est parti, Mesdames et Messieurs, nous flottons, c’est comme si c’était en montant de plus en plus qu’on gagnait en profondeur. Pourvu qu’elle soit bien épaisse, la brume, comme celle qu’on trouve en traînant en période humide autour du fleuve du Gange par exemple, enfin j’imagine… A ce propos, Crocodiles viennent autant du Gange que I’m From Barcelona sont originaires d’Espagne, les Stockholm Monsters ou Suede de Suède. L’onirisme prime, comme le prouve haut la main la (pourtant) limpide Girl in Black. Encore ça ? Encore et sans lassitude. Pour tout vous dire , ces Crocos baignent dans les mêmes eaux douces-amères que ces mignonnets de Pains Of Being Pure At Heart, ces têtes de Liars, les my dark faces je boude je me cache de Film School, les tapageurs vénères A Place To Bury Strangers, les pas sortis en France et sensationnels lacrimogènes Wild Nothing post-Field Mice post-Wake (les groupes qui collent même des frissons aux robots), les Horrors, ou les voisins germains de Big Pink. Le tout avec un peu de chacun en un peu moins (dans le bruit comme dans la grâce ou dans la déstructuration), mais qui, comme tout ce beau peuple, croit encore en Jesus (et en Mary Chain) en 2010. Vive eux, je me lasserai pas de le dire.

Crocodiles // Sleep Forever // Fat Possum (Differ-ant)
http://www.myspace.com/crocodilescrocodilescrocodiles

6 commentaires

  1. Une performance plus qu’honorable aux Transmusicales, le chanteur a la foi et l’attitude, la musique balance entre rythmique kraut et sons shoegaze, pas déplaisant du tout. Même si en effet, ils n’ont pas inventé un style qui date d’une bonne vingtaine d’années, il n’en reste pas moins que dans le genre, leur musique est fort plaisante.

  2. Hep, à ne pas confondre avec le groupe strasbourgeois – Crocodiles également – qui viennent eux de sortir leur 4ème album…

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