Le Dj-producteur Cosmo Vitelli revient avec un somptueux album en deux parties, “Holiday In Panikstrasse”. Au programme : krautrock, drogue dure, croix de fer ainsi que le cadavre de Gary Numan en putréfaction. Anges, ministres de Dieu, protégez-nous !

Savoir, vouloir, oser et se taire” : ce sont les quatre principes ésotériques qui guident les grands Initiés de l’occulte. Ces quatre piliers du Temple de Salomon ont aussi servi de mantra à notre magicien du jour : Cosmo Vitelli. Ce dernier est dans le game techno depuis un moment et trace un parcours singulier. Même s’il ne veut plus en entendre parler, son passé et son destin sont étroitement liés au mouvement de la French Touch, de ses débuts en 1998 sur le label d’Etienne De Crécy à ses remixes pour le politburo officiel de l’époque : Daft Punk ou bien Cassius. Il a même eu, pendant un temps, Pedro Winter comme manager.

Pour notre entrevue, j’avais envie de lui dire que son album “Clean” de 2003 (et des titres comme Come On, Generation Clone ou Robot Soul) m’ont accompagné pendant des années. Que son morceau Party Day est un morceau fondateur qui fait le lien entre la French Touch parisienne rincée et la scène électroclash. Mais ça, ça l’emmerde Cosmo. Toutes ces vieilles conneries – même si c’est sympa pour situer le bonhomme – c’était avant. Il n’en a rien à foutre du passé, du disco filtré et des soirées au Montana. Il ne fait plus dans le funk digital, n’a plus rien à voir avec la house music et il a pris un autre chemin depuis des années. Avec le projet Bot’Ox, notamment, où il a préféré travailler avec ce vieux chien fou de Kim Fowley plutôt qu’avec Breakbot. Il gère également de main de maître son label I’m A Cliché Records (Red Axes, Moscoman, Azari & III) avec passion depuis près de quinze ans. Pour enfoncer le clou dans le cercueil disco, il a fui Paris pour s’installer à Berlin.

Après une période un peu trouble suite au stand-by du projet Bot’Ox, Cosmo s’est fait plus discret ces derniers temps. Ou, pour être plus précis, il a peut-être simplement manqué de visibilité. Pour remettre les pendules à l’heure, il sort à 45 ans un album ambitieux en deux parties – ou deux EP c’est au choix – “Holiday In Panikstrasse” dévastateur et addictif. La bonne nouvelle c’est que comme Pedro Almodovar, Cosmo Vitelli se bonifie avec le temps. “Holiday In Panikstrasse” est peut-être son meilleur travail à ce jour. Quatre morceaux déjà mythiques, ultra-travaillés, avec des références sciemment digérées pour un hommage au krautrock. On notera le morceau dément Die Alraune (mon préféré) en collaboration avec Sebastian Lee Philipp du combo Die Wilde Jagd ou encore Julienne Dessagne. Pour toutes ces raisons, et d’autres encore, on se devait de rencontrer ce romantique moderne.

(C) Marco Dos Santos

Donc ma première question pour Cosmo Vitelli, Mathieu Boguet de ton vrai n…

…Nan, moi je m’appelle Benjamin en fait…

Ah merde, excuse-moi, Benjamin, ça commence bien ah ah ! [Embarras, sueurs froides, spectre d’une vague populiste qui déferle sur la France. ndR] . Lambiance sur “Holiday In Panikstrasse” est clairement assumée krautrock. C’était un parti pris ? Comment t’es-tu orienté vers ces structures – même si elles se dessinaient déjà avec Bot’Ox ?

C’est un album en deux parties. On s’est posé la question de savoir si on sortait tout le projet sous la forme d’un album et puis finalement le label a proposé de le sortir sous la forme de deux EP. Cela aurait pu, peut-être, être trop dense. La deuxième partie sortira en novembre. Pour répondre à ta question, disons que je n’ai pas l’habitude de produire de la musique dans un seul état d’esprit : ça part un peu dans toutes les directions. Je n’utilise pas seulement des synthétiseurs et je n’ai pas l’habitude de me restreindre à un genre unique. Ma culture penche très sérieusement du côté du rock, même si ce n‘est pas une contre-vérité de dire qu’il y a une tendance kraut sur quelques tracks, voire post-punk. Mais ce n’est pas une volonté et disons que je ne sais pas réellement faire autre chose. Je me fais de moins en moins au cadre formaté de la dance music. J’ai un passif de guitariste et de bassiste et donc, oui, je penche du côté de ces esthétiques.

Ces morceaux ont-il mis longtemps à se voir le jour ?

Disons que j’accumule beaucoup de matières. Je suis un peu un archiviste, j’enregistre beaucoup de choses, quel cela soit des prises de batteries, des instruments, des séquences…L’assemblage se fait en un seul jet.  Je ne sais pas réellement quand un morceau est fini : à mon sens c’est quand je le décide ou que je sature.  Au final, il est sorti de ce travail ces deux maxi qui au final font un album pour le label Malka Tuti. Entre les deux, un autre maxi va sortir sur le label d’Ivan Smagghe, Les Disques De La Mort. Cela en quelques mois. L’année dernière j’ai aussi réalisé un album d’edits. Donc oui, on peut parler de dynamique en ce moment.

Un mot sur la signification du titre de l’album ?

Quand je suis parti pour Berlin, beaucoup de gens autour de moi m’ont demandé ce que j’allais foutre là-bas. J’ai l’impression que j’y débarque au moment où ça se gentrifie et donc dix ans après la bataille. Mais à l’origine, je saturais vraiment de Paris. En fait, je me suis retrouvé à Berlin plus dans l’idée de fuir Paris, mais je m’y trouve bien au final… Ce titre, c’est pour répondre aux interrogations que j’ai pu provoquer dans mon entourage avec tout ce que cela implique comme cliché vu de l’extérieur, c’est-à-dire un endroit où les gens passent leur vie à sortir à Berghain, procrastiner et prendre des drogues. Mais on peut être aussi pleinement productif ici…

Tu donnes l’impression d’un Cosmo avide de collaboration. On t’a croisé récemment sur une collaboration avec Sascha Funke sur la compilation “Velvet Desert” pour Kompakt. Sur ton disque on trouve par exemple un membre de Die Wilde Jagd. C’est juste le hasard des rencontres ?

Les personnes que tu cites et avec qui j’ai collaboré, ce sont avant tout des amis, des personnes que je vois régulièrement. Il y a Sebastian de Die Wilde Jagd, par exemple, qui collabore sur deux morceaux. Il joue aussi de la basse sur le morceau Groupe Surdose. Ce titre, au passage, fait référence au magnifique film de Pierre Clémenti, A l’Ombre De La Canaille Bleue de 1986. Donc oui, ces collaborations sont des ouvertures basées sur des amitiés mais aussi des collaborations pour les voix. J’ai un passif rock et donc de chansons, et au bout d’un moment, poser des voix sur mes morceaux me permet parfois de structurer davantage des travaux plutôt abstraits à la base. Même si on n’est pas en territoire couplet-refrain, hein… Donc cela m’aide de travailler avec des chanteurs. Et si cela peut donner l’impression d’une ouverture, tant mieux.

Résultat de recherche d'images pour "cosmo vitelli"Aujourd’hui 80% des productions actuelles semblent être composées de crossovers improbables. Un morceau peut sonner comme un mélange du Mama de Genesis avec Ennio Morricone ou un autre comme un savant dosage de Sister Of Mercy et LFO. Tu es, toi-même, de par ton expérience de Dj, un artiste érudit qui connaît l’histoire de la pop culture et qui collectionne les disques. Comment dans ton travail, tu tentes d’aborder la question du post-modernisme ?

Il y a des gens qui font de la musique de manière très instinctive, sans que cela soit une réflexion qui les aide à structurer leur musique. Je pense notamment aux duo Red Axes, avec qui j’ai bossé : ce sont des gens qui sont dans l’instinct absolu et qui ne se posent pas énormément de questions au niveau esthétique. Ils font juste leurs morceaux. En ce qui me concerne, c’est un peu l’opposé. A chaque étape j’essaie de contrôler pour savoir dans quelle direction ça va aller et je tente de trouver une cohérence. De fait, je suis très conscient des références que j’utilise, ainsi que des esthétiques qu’elles convoquent. J’essaie de trouver un équilibre parce que le pastiche ne m’intéresse pas. Mais je suis forcément taraudé par mes références et ma culture. C’est un peu casse-gueule : cela veut dire constamment trouver quelque chose qui soit personnel. Cela ne fait pas rêver, mais oui je suis pleinement conscient qu’une partie de ma démarche artistique consiste à trouver un équilibre entre ce dont tu parles et mon apport personnel. Et cela passe trouver la bonne distance afin d’analyser ce que l’on fait. Cela fait un peu chier, mais je ne suis pas dans une démarche de spontanéité totale avec ma musique.

Depuis que tu es installé en Allemagne, qu’est ce qui a changé pour toi et dans ton processus de création ?

Ce qui a changé c’est que je me suis remis à sortir et à m’intéresser à ce qui se passe autour de moi, ce qui n’était plus le cas depuis un certain nombre d’années à Paris. J’ai retrouvé ma curiosité et des oreilles un peu plus fraîches. Je me suis aussi remis en question à différents niveaux. Pas forcément dans ce que j’écoutais mais dans ce je jouais dans mes Dj set. J’ai trouvé ici beaucoup plus d’exigence. Je précise aussi que Paris a changé depuis que je suis parti il y a quatre ou cinq ans en arrière, il n’y avait pas encore le phénomène des collectifs et des soirées en proche banlieue. A l’époque, intra-muros c’était la misère et cela ne faisait pas trop rêver. A Berlin, il existe notamment une scène de selector très active et hyper exigeante où la priorité est donnée à la musique et moins à sa fonctionnalité. Il y a de l’originalité, du digging, c’est vraiment inspirant. Ces découvertes m’ont revitalisé, pour faire de la musique mais aussi en jouer.

Certains de mes morceaux doivent peut-être relativement audibles et cool mais si je les écoute en tant qu’auditeur, je n’en ai rien à foutre.

Je me suis rendu compte en préparant cette interview que tu es un artiste relativement discret qui garde sa singularité dans le paysage électronique. Quel regard porte-tu sur tes premiers travaux avec ces noms dadaïstes absurde comme Ne Mangez Plus Les animaux, Mangez Les Enfants ?

Très sincèrement, cela ne m’intéresse pas plus que ça. Je n’ai pas réécouté tout ça depuis une décennie. Je ne suis tellement pas dans le culte du passé que je m’en éloigne. Je pense même que l’on peut voir des carrières distinctes. Tout ce qui s’est passé avant, cela doit me correspondre d’une certaine manière mais cela ne m’intéresse pas du tout. Certains de ces morceaux doivent peut-être relativement audibles et cool mais globalement et avec un peu de distance, si je les écoute en tant qu’auditeur et non pas comme le créateur : je n’en ai rien à foutre. Je ne suis pas dans la nostalgie, elle ne fait rien avancer. Par exemple, je n’ai aucune fierté à déclarer que fait cela quinze ans que mon label I’m A Cliché existe : je m’en fous. Ce qui m’importe c’est ce qui va sortir ensuite.

C’est  parfois contradictoire d’être musicien et patron de label.

Avec Bot’Ox tu étais multi-casquette : artiste, chef de label, tu tenais aussi la comptabilité. Je ne sais pas si tu as vu le brillant documentaire The Man From Mo Wax qui suit le rise & fall de James Lavelle et Unkle, lui aussi multi-casquette. C’était dur à gérer pour toi aussi ?

Oui, c’était une gymnastique pénible. Je n’exclus pas que cela ait joué dans ma fuite de Paris…. Il y a deux activités réellement distinctes : celle de Dj et celle de musicien. A l’origine, je voulais être musicien. Être Dj demande de s’adapter au temps. Sortir des disques, par exemple, c’est typiquement une activité de Dj. Au bout d’un moment j’ai créé un label et j’ai sorti les disques d’autres personnes parce que j’ai toujours aimé m’associer à la musique des autres et la promouvoir. D’un autre côté, gérer un label cela demande une énergie folle qui peut éloigner de l’activité de musicien. C’est même parfois contradictoire de pouvoir réaliser ces deux activités en même temps. Donc oui, cela a fini un peu par me bouffer. En plus, avec le projet Bot’Ox qui regardait en direction du rock avec des éléments électroniques, on s’est produit en live, etc… Pendant ces années, je jouais en tant que musicien et plus trop en tant que Dj, ce qui fait que j’étais peu booké et j’ai peut-être perdu en visibilité sous le nom de Cosmo Vitelli. D’une certaine façon, j’ai payé un peu cher ma participation à ce projet. J’ajouterai qu’on avait choisi une forme d’indépendance : on a sorti tous les disques sur I’m A Cliché, j’y ai passé énormément de temps et cela est devenu un peu infernal, oui. Réaliser ces disques de A à Z, de la fabrication à la promotion en passant par l’aspect financier pour ensuite les défendre sur scène…. A la fin, oui, je n’en pouvais plus et cela m’a fait un grand bien de me casser à Berlin : je pouvais enfin avoir une boîte aux lettres à mon nom sans courrier à l’intérieur.

Benjamin, je vais finir avec ma question France Inter-Léa Salamé : Cosmo Vitelli, qu’est-ce qu’on peut vous souhaiter pour le futur?

Uniquement de sortir plein de disques, c’est le seul truc qui m’intéresse. Tout le reste en découle. Sortir des disques qui me plaisent – au moins pendant un certain temps – ça suffit à mon bonheur.

Cosmo Vitelli // Holiday In Panikstrasse. Part. 1// Malka Tuti records / 2019
https://malkatuti.bandcamp.com/album/holiday-in-panikstrasse-part-1

Crédit photo: Marco Dos Santos.

15 commentaires

  1. en parcourant la old river naked pleine de fuel, croisé d gitans-turcs dans le jardin partagé, traverse le sanatoruim, puis le crematorium, passé sous la Bach strässe, achete ma sauciSSe, l’ai bouffé avant d’entrer au bunker et de couler un bonze, pas vu ni même pris le Cosmo

    Ps c pas un autre pseudo d’un gard de deadjon sans vitamines ?

  2. Merci pour cette interview : trop peu de médias donnent la parole à cet homme.
    Cosmo Vitelli est l’un des très rares (musicien, patron de label… DJ !) à défendre en France une certaine musique électronique, en mouvement permanent et hors des sentiers battus, une musique qui avance. Et sans la ramener en plus. Bravo.

  3. Merci pour cette interview. Il est sympa, il s’exprime bien, on comprend tout ce qu’il dit, ses disques sont bien polis, ses mixtapes sont bien élevées, il est en mouvement permanent, il fait une musique qui avance comme un escargot-éléphant, il faut le défendre en France, vous comprenez que oui.

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