C’est certainement l’un des plus beaux exils discals de l’histoire : voilà 50 ans, le plus grand porte-parole du LSD s’évadait d’une prison californienne direction le pays de la fondue pour retrouver un groupe de krautrock allemand et partager des cannettes de soda 7-up bourrées d’acide en enregistrant un album de 37 minutes. Voici la genèse de « Seven Up », merveilleux album d’Ash Ra Tempel, et gigantesque pied-de-nez de Timothy Leary à l’Amérique conservatrice.

N’importe quel film hollywoodien médiocre proposerait ici un subtil arrêt sur image. « Moi, c’est Timothy Leary, et vous vous demandez certainement comment j’en suis arrivé là », dirait l’intéressé en voix off d’un polaroid le montrant trippin’ balls, en studio.

Timothy Leary, pour les profanes, est à la contre-culture psychédélique des années 70 ce que Clint Eastwood est au western : une figure incontournable, dont le génie n’a d’égale que son panache. Leary était principalement connu pour être l’un des chantres du LSD, dont il vantait « l’expansion de la conscience ». En tant que chercheur en psychologie à Harvard, il avait tout de suite perçu un immense potentiel dans la substance, qui était à l’époque disponible un peu partout. On la trouvait aussi bien dans les laboratoires d’université (à titre expérimental) que dans les locaux de la CIA (qui tentaient d’en faire un sérum de vérité). Et surtout, dans le bus de Ken Kesey et des Merry Pranksters au cours des fameux acid-tests.

Review: Timothy Leary, 'The Most Dangerous Man in America' - WSJ

Le slogan de Leary, Turn on, tune in, drop out était une invitation à la libération individuelle et à la rébellion collective. Le mantra a rapidement été adopté par les foules contestataires, dont Leary est devenu l’icône. Et une chose en entraînant une autre, Leary passa du statut de chercheur universitaire respectable à celui moins cool d’ennemi public. D’abord expulsé d’Harvard en 1963, il poursuit ses expérimentations psychédéliques dans un manoir de plus en plus visité par un FBI très désapprobateur, tout en annonçant sa candidature face à Ronald Reagan pour le poste de gouverneur de Californie. C’est à cette occasion que John Lennon écrira Come Together, qui deviendra l’hymne de la campagne d’un Leary tout de blanc vêtu.

Le prisonnier était aussi jardinier

En 1970, à l’issue d’un long procès, un juge proche de Reagan condamne Leary à vingt ans de prison pour détention de drogues (deux pieds de marijuana). Heureusement, il a lui-même conçu une partie des tests psychologiques carcéraux destinés à sonder la personnalité des détenus et leur degré de dangerosité. Il donnera les réponses attendues par le petit Américain modèle, et sera assigné à un tranquille poste de jardinier dans une prison peu surveillée. Cette ruse lui permet alors de s’évader quelques mois après, avec l’aide du collectif révolutionnaire gauchiste Weather Underground.

Et c’est ainsi que l’ancien chercheur d’Harvard, devenu messie d’une génération, devint l’homme le plus dangereux d’Amérique. Si toute sa vie tient du roman, sa cavale est digne des meilleurs films de Scorsese. Toujours avec panache, et en laissant quelques farces sur son passage, il rejoint Alger avec sa compagne où il est accueilli par le Black Panthers International Party. Il se brouille rapidement avec ses hôtes pour « comportement contre-révolutionnaire » et rejoint la Suisse où, hébergé par un trafiquant d’armes désireux de « protéger les philosophes », il rencontre l’autre père du LSD, Albert Hoffmann. Mais surtout, il retrouve Ash Ra Tempel pour un festin d’acides qui donnera naissance au fameux « Seven Up ».

Timothy Leary & Ash Ra Tempel – Seven Up (2021, Vinyl) - Discogs

Ash Ra Tempel enregistre un album en deux pistes (Space et Time, tout simplement), agrémenté de monologues de Leary clamant sa philosophie sur les instrumentaux cosmiques et tortueux. C’est le troisième album du groupe, et le second sans Klaus Schulze, ex-Tangerine Dream. Une partie du disque est pompé à partir du précédent album « Schwingungen », comme quoi finalement, l’auto-plagiat, c’est possible. Le premier titre, Space, est chaotique et exalté. Le second, Time, est paisible, comme un lent atterrissage dans un gros canapé de cuir, au terme d’une chaude journée d’été passée à parcourir les monts et merveilles promis par les chimères psychédéliques d’un génie en cavale.

johnkatsmc5: Ash Ra Tempel & Timothy Leary ”Seven Up"1973 German Psych Rock,Krautrock,Space Rock (Top 50 Essential Krautrock albums by Julian Cope)

La suite de l’histoire ? A l’image du début. La Suisse commence à flairer l’arnaque, alors Leary fuit en Afghanistan, la destination rêvée pour échapper aux accords d’extradition avec l’Amérique. Mais toute bonne chose a une fin, et la cavale du fugitif s’arrête finalement à l’aéroport de Kaboul, où Leary est cueilli comme une fleur par le Bureau of Narcotics and Dangerous Drugs, ancêtre de la DEA. Il sera ensuite renvoyé en Californie, où il coopèrera avec le FBI contre le Weather Underground. Finalement libéré en 1976, il élira domicile à Laurel Canyon pour se consacrer à quelques autres aventures, comme la révolution informatique et à sa théorie des « huit circuits de la conscience ». Sur la vidéo de sa mort en 1996, enregistrée par son fils, on le voit serrer et desserrer le poing en répétant successivement « Why ? Why not ? ». Sept grammes de ses cendres partiront en orbite dans l’espace, avant que la fusée ne se consume dans l’univers au bout de quelques années de ce dernier voyage. Le panache.

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