Que ce serait-il passé si Kevin Parker, au lieu de retourner sa veste pour y découvrir une version aseptisée de Los Angeles avec Rihanna en fourrure synthétique, avait emprunté la voix analogique et moins glorieuse des cireurs de circuits imprimés ? Peut-être ça : « Two Roomed Motel », deuxième album de Scott Gilmore récemment paru chez Crammed Discs.

« Je fais de la musique en me servant de synthétiseurs, de boîtes à rythmes, de basse et de guitares électriques et acoustiques. J’essaie d’écrire de la musique qui soit à la fois belle et attirante, et de créer de nombreuses mélodies, harmonies et contrechants qui se mêlent et produisent un effet dynamique. Mes influences comprennent notamment Brian Eno, Cluster, Kraftwerk, Stereolab, Talking Heads, YMO, des musiques éthiopiennes des années 70 et 80, J.S. Bach, et les chutes des sessions Smile des Beach Boys ».

Ces quelques mots de l’auteur sur sa propre musique, extraits d’une interview accordée à un titre allemand, résument assez mal les vapeurs qui se dégagent de « Two Roomed Motel ». Non seulement la pochette du disque, comme son nom, n’ont rien à voir avec les cloaques typiques de la banlieue de Los Angeles, mais il est surtout ici question d’un étonnant voyage dans le temps, en arrière, dans une Californie digitale dessinée à l’arrache sur une palette graphique des années 80.

Résultat de recherche d'images pour "scott gilmore two roomed motel"Le sentiment qui s’en dégage, pour peu qu’on réussisse à définir avec des mots ce qui sort des enceintes, c’est la nostalgie. Souvenirs d’une époque VHS où les aventuriers – comme récemment avec le Français Patrick Michaud – composaient de longues bandes-son planantes pour des téléfilms de seconde zone, clichés cinématiques à la Miami Vice sublimés par des nappes synthétiques et des cocotiers pixellisés, tout le bastringue.

Pour son grand malheur, l’Américain cite également Stereolab parmi ses références ; la règle étant que jamais aucun groupe citant Tim Gane et Laetitia Sadier ne parviendra à se hisser dans les charts, on peut donc déjà pronostiquer que « Two Roomed Motel » finira sa course en fin d’année dans les tops de tripoteurs de boutons ; c’est bien dommage du reste, tant les petites inventions contenues sur ce deuxième album auraient de quoi affoler tous ceux qui crient au génie dès qu’il est question de Saint Kevin Parker. Ici, chez Scott Gilmore donc, les vocodeurs sont utilisés pour leur ringardise de surface, jamais pour flatter l’égo de l’auditeur ; idem pour les boites à rythme qui donnent parfois l’impression d’écouter l’intégrale du label Tricatel compressé sur une disquette 3,5 pouces. C’est de tout cela dont il est question dans cet hôtel pour solitaires, situé si l’on s’en tient à la bio à San Fernando Valley, près de Los Angeles. C’est là, proche du centre mais avec le recul nécessaire pour se hâter lentement, que Gilmore a composé cette étrangeté de 9 titres – on ose l’écrire – gazeux et pas vraiment de leur temps, mais qui cristallisent tous avec une certaine poésie un mot très moderne, « Solastalgie », ou l’angoisse d’un effondrement imminente. Quand on tombera dans le trou final, au moins, il y aura cet album quasi instrumental qui ne pouvait évidemment sortir que chez Crammed Discs, qui fêtera d’ailleurs ses 40 ans en 2020, quelque part en Wallifornie.

Scott Gilmore // Two Roomed Motel // Crammed Discs
https://scottgilmore.bandcamp.com/

En concert à Paris le 12 juin; toutes les infos ici.

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