Que le vaste monde poursuive sa course folle, Chassol le regarde faire avec bienveillance. S’il en suspend la frénésie sonore, ce n’est que pour mieux en souligner le souffle porteur. Retour en son et images sur le travail de ce mondain sublime, dont le dernier voyage, "Indiamore", sort chez Tricatel le premier avril.

Sur internet, Chassol ponctue toutes ses phrases de points de suspension, comme pour souligner l’importance du vide entre deux pensées. Lui rit et proteste: c’est plutôt « parce qu’il n’a pas de suite dans les idées« . Auto-dérision symptomatique de son indolence. Chassol est ce qu’un sandwich étiqueté Monop’ est à un triangle-surimi d’Intermarché: un truc « smart et cool ». Il me demande si ma veste sort d’une frip’, prétend qu’il vient de se réveiller alors qu’il m’a envoyé un mail trois heures plus tôt, jette un œil sur l’écran de son Macbook Pro qui clignote à côté de sa machine nespresso en même temps qu’il discute et me propose du fresh orange juice et des tomates cerises à croquer dans le cadre du « manger-bouger ». Un exemplaire des Inrocks traine sur sa mezzanine et le dernier numéro de Charles sur sa table basse (« ils ont fait un truc sur mon harmonisation d’Obama… »). Dans cette atmosphère smooth, on parle vaguement, c’est à dire par vagues, de la Sorbonne (où il a passé une licence de philosophie), des Victoires de la Musique, des trois phases de créations selon Walter Benjamin et du faciès de Lou Doillon. De lui, enfin, aussi. Chassol m’explique – comme pour confirmer cette impression d’une scandaleuse aisance à se promener dans l’existence – qu’il n’est pas le perfectionniste qu’on croit. Son processus de création consiste à enregistrer ses morceaux en un jet, à les exporte sitôt la première version bouclée puis à les ré-écouter sur iPod en boucle le lendemain. Les erreurs qu’il décèle alors, les défauts, il lui arrive de les corriger. Mais il lui arrive surtout de ne pas y toucher, ou d’aller jusqu’à les amplifier. Il chérit les bavures du jet spontané, à demi par flemme et à demi par profond amour de la faille. Smart, disait-on.

Devant le piano droit de son salon, Chassol se pique de me jouer un extrait de West Side Story, « ce chef d’œuvre absolu« . Il harmonise Maria en s’extasiant sur le morceau comme s’il le déchiffrait, s’emballe en me montrant le génie de Street Scene et finit par me faire grimper dans son studio. Deux écrans mac sont bordé par quatre gros claviers sur l’un desquels un livre de Herman Hesse est nonchalamment posé: « je voudrais faire une adaptation de Narcisse et Goldmun en musical… ». Ici, le cool commence de se faire consciencieux et la nonchalance appliquée. Sur l’ordinateur, Christophe me présente visuellement les 1500 morceaux qu’il a déjà composé et méthodiquement classé à force de couleurs et de noms majuscules compliqués. Pour lui, le tri a sa nécessité. Sans ce rangement maniaque, impossible de travailler. « Il m’a bien fallu quinze ans pour acquérir cette rigueur, je range avant de faire quoi que ce soit ». Ce « quoi que ce soit », ses travaux en cours, Chassol me les introduit avec l’harmonisation du vieux « Mes mains ont la parole « . Et moi d’être émerveillée devant un épisode du Bigdil tandis qu’il ne s’agit pour lui que d’un simple exercice quotidien. C’est que Chassol peaufine chaque jour sa technique du son et lumière qualité HD. Certains, au petit matin, révisent leurs partitions: lui fait ses Youtube harmonisation. Pour la rapidité, un charmant Busta Rhymes; pour l’intensité, un grand Obama, pour l’instruction, un simple Lenny quizz. C’est en harmonisant qu’on apprend à harmoniser et c’est parce que Chassol est toujours sur le qui-bouge qu’il détecte si subtilement, tandis qu’il travaille son oreille à l’étrange(r), les détails et les lieux qui pétillent. En témoigne la justesse de cet « Indiamore » qu’il rapporte de d’Inde et dont il me présente en exclusivité les images étourdissantes et les harmonies vertigineuses. « D’abord je tourne tout, je jette en vrac, ensuite je sélectionne les détails et je structure. ». Le prochain voyage, et parce que c’est le soleil qui emporte pour le moment l’enthousiasme de ses répétitions et variations, il le projette au Brésil.

Un coup d’œil furtif chez Chassol aurait donc pu faire de lui un mondain: un regard prolongé le change en émerveillé à temps plein. Ici le cool transcende allègrement son cliché: si Chassol est un branché qui suit le cours des choses et du monde, ce n’est que pour mieux pouvoir en suspendre la beauté. L’art du contrepoint de suspension…

Chassol // CD/DVD Indiamore // Tricatel
En concert à la Gaité Lyrique le 29 mars

http://www.chassol.fr/

4 commentaires

  1. « Amour de faille », « non perfectionnisme », « un seul jet », « points de suspension »… Décidément, ce Christophe fait beaucoup écho à…Christophe. En tout cas les deux textes communiquent simultanément. Un jour il faudrait provoquer une rencontre entre les deux. Passionnant !

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