Débarqué de Californie pour un aller simple vers Bordeaux, le feu follet Charles X s'assoie sur la doxa hip hop en enregistrant un pur disque de soul à la papa. Suffisamment intriguant pour lui tailler son quart d'heure de célébrité.

Il est resté calme et a rallumé son pétard avant de dire oui bien sûr. Bien sûr qu’il allait ouvrir pour Method Man et Redman aux Pays Bas, où était le problème ? Pas dans cette grosse vingtaine d’années qui le séparent de ces glorieux aînés quand même… Pas dans le fait que le petit Charles a longtemps traîné dans les studios pour pecho des featuring sans arriver à grand-chose de satisfaisant. Pas non plus dans cette espèce d’excision épistémologique qu’a connu le hip-hop depuis tout ce temps ; entre le grand guignol flamboyant des années Wu Tang et le flow toxico-tragique des plus jeunes qui ferait passer Lou Reed pour l’aumônier d’un hôpital de jour. C’est bête mais c’est simple : ici comme ailleurs, il y a un avant et un après Internet et ce qui va avec en terme de décontraction vis-à-vis de la hiérarchie. Tu captes vite, tu (crois) comprendre vite. Génération XY mais surtout XX avec une tension chimique montée d’un cran. Jamais le hip-hop n’aura autant ressemblé  à l’idée qu’un blanc peut se faire de la contre-culture :  désespoir autodestructeur et hébétude métaphysique racontée par des Philippe Muray du Syndicat national de l’édition phonographique. Le spleen de Drake par-ci, l’hystérie contagieuse de Kanny West par là. Et la vie quotidienne du célèbre historien du peuple noir qu’est devenu Kendrick Lamar.

King Kunta ou pasle hip-hop est parvenu à un tel stade de qualité qu’il ne s’autorise plus aucun esprit critique, un peu à la façon dont on vendait des prêts immobiliers au début des années 2000. « Ca grimpe mec, c’est un peu comme une queue qui n’arrêterait pas de grossir. Alors si tu ne peux pas rembourser ta première maison, emprunte pour en acheter une seconde » Comme dit Charles, « le problème, c’est que moi je comprends les paroles » Pour le reste, n’importe quel stagiaire en psycho diagnostiquerait immédiatement un trouble de l’attention, un « trouble de déficit » comme on le dit joliment en français (TDHA). Est-ce la raison pour laquelle le jeune gars a pris le large et qu’il s’est mis à écrire un disque de vieilleries (« Sounds of the Yesteryear ») ? Pour tester sa voix et expérimenter jusqu’où il pourrait « incarner » la musique ? A la question, qu’est-ce que tu attends d’un backing vocal, il répond simplement « tout ce que je ne peux pas chanter moi-même » c’est-à-dire en gros du gospel. Pour le reste, il file droit comme un « I » (grec) sur l’autoroute tracée par D’Angelo avec ce rien de gaminerie qui donne envie d’en rajouter chaque fois que l’on sent qu’on « y » est. Au joli pays de la Soul music, Anderson Paack plein la tête,  tu ne chantes pas pour exprimer ta putain de vision du monde, tu chantes parce tu es le sentiment que tout le monde comprend immédiatement. Tu es le frisson qui dit oui ou qui dit non.  Bien sûr tu rappes, clairement et n’importe où. Au sous-sol d’une boîte, au bar d’un hôtel parisien, dans la voiture qui te fait parcourir l‘Europe. Il n’y a aucun problème.

 Tu ne chantes pas pour exprimer ta putain de vision du monde

Mais quand il est bien chaud, ton public de blancs, tu sors précautionneusement quelques titres de « Sounds of the Yesteryear ». Tu dis « s’il vous plaît, essayer de me suivre jusqu’au bout ». Et tu chantes tes chansons de grand-mère. Tu n’es pas loin de mélanger Door of the Cosmos (Sun ra) et Have a talk with God (Stevie Wonder). Les chansons qui te font comprendre qu’en fait personne n’écrit quoi que ce soit, parce que tout est déjà écrit…   et qu’il faut juste les capter ces chansons qui passent, avant qu’elle ne disparaissent. Dans les profondeurs de Soundcloud, tu chopes quelque chose d’un peu élégiaque au piano, dans le genre de Benjamin Clémentine, sur lequel tu poses ta petite plainte qui monte comme des moutons au dessus des vagues. Ce sera le chœur léger de Vos Angeles . « Le mec que j’ai samplé est Belge je crois (Charles situe parfaitement la Belgique sur la carte)  je lui ai demandé si je pouvais l’utiliser il m’a dit oui » Mais qui te dit « non » Charles ? Dans ce pays où personne ne te connaît, où tu ne veux pas révéler ton vrai nom,  tu te pares de ton « X » comme Monsieur X. X mystère peut-être mais X  lambda surtout. Monsieur tout le monde débarqué sur le vieux continent, sittin’ at the dock of the bay,  la grosse lumière de Bordeaux, « la plus belle ville de France » comme dirait l’autre, de là où précisément partaient les cargaisons d’esclaves vers les Amériques. 200 miles I roam/just to make this dock my home (j’ai ramé des milliers de miles pour faire en sorte que ce quai soit le mien). Tu peux faire le soul man.

Dans ce pays où il est reste assez compliqué de mettre un black en couverture d’un magazine, il y a quand même ce qu’il faut de weed en plus du vin pour apporter un peu de piment à ce délicieux sentiment de ne rien comprendre au piaillement des conversations locales. Welcome home. 

Charles X // Sounds of the Yesteryear // Alter K
https://www.facebook.com/charlesxfanpage/

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