A priori éloigné de l’univers culturel de Gonzaï pour sa musique – parce qu'on n’écoute pas Trust tous les matins au petit dej’ – et moins pour ses films – parce "Les Démons de Jésus" reste démoniaque – Bernie Bonvoisin a malgré tout pignon sur rue pour causer dissidence dans ce pays où l'on préfère descendre dans la rue avec une pancarte plutôt que de prendre un flingue ou une guitare.

Trente-cinq ans après ses débuts, comment envisage-t-il sa place et son rôle dans la France de 2013 ? Le rendez-vous est donné au bar-tabac de la station de Métro Argentine. C’est fastoche de reconnaître Bernie : il est le seul du quartier à avoir un AK-47 et une pin-up tatoués sur le bras.

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Je ne m’attendais pas à vous voir avec la tête de Bill Gates sur votre t-shirt !

Ah non, rien à voir avec Bill Gates, il s’agit de Mahmoud Darwich, le poète palestinien. Lisez-le, ses écrits sont merveilleux.

On est avenue de la Grande Armée, chez les rupins, mais aussi près de chez vous. Sans provocation aucune, c’est surprenant. On vous imagine plutôt vivre à Belleville, ou Ménilmontant compte-tenu de votre personnalité et de l’image que l’on a de vous.

J’habite où je peux habiter, je n’ai pas de quartier prédestiné. Il faut sortir des clichés, je me sens bien ici et je n’habite pas à Belleville dans 2 000 mètres carrés.

(Au moment où je m’apprête à faire remarquer à Bernie Bonvoisin qu’il ne doit pas être souvent reconnu dans son arrondissement, un homme plutôt chic s’approche de notre table et dit tout le bien qu’il pense de mon interlocuteur. Question suivante, donc)

Votre image publique de contestataire a évolué au fil du temps et dépasse le cadre de la musique et du cinéma.

11365644La personne qui vient de me saluer à l’instant ne connait probablement rien de ma musique. Elle a peut-être vu un de mes films ou lu un de mes bouquins. Disons que j’essaie de faire en sorte qu’il y ait une harmonie entre ce que je pense et ce que je fais. Ce qui m’importe, c’est de faire. Le vecteur commun des différents medias que j’utilise est le verbe et j’ai la chance de pouvoir atteindre une forme de grâce dans l’écriture. A mon sens, l’essentiel dans la vie est la capacité d’émerveillement aux êtres et aux choses. Et parfois la vie vous renvoie ce que vous mettez dans les choses. J’ai un besoin viscéral de comprendre le monde et la société dans laquelle nous vivons, en m’efforçant d’avoir une discipline et une rigueur intellectuelle. Le projet final doit converger avec les motivations qui m’ont fait vibrer pendant sa genèse. Sauf qu’à un moment, les financiers rentrent dans l’affaire et tout peut partir en couille, en m’écartant de l’idée initiale. Je ne sais pas composer avec ça et j’aurais pu faire dix films au lieu de trois si j’avais accepté les concessions. Je ne me plains pas : ça fait partie du jeu et c’est comme ça. Dominique Besnehard me disait : « si tu veux tourner, fais des projets qui n’ont pas de fond. Sinon, sois patient ! »

Vous vous sentez comment dans la France de 2013 ?

Plutôt bien.  Mais je suis effaré par ce que j’entends et ébloui par le courage de certains. La faillite du politique et le reniement de mecs comme Obama me consterne. Lui est une merde infâme, il me terrifie. Au moins, je préfèrerai Bush parce que c’était une merde identifiée comme telle depuis le départ, on n’était pas surpris. De toute façon je ne crois plus en l’Homme providentiel, la notion de courage a disparu en politique et le dernier a en avoir fait preuve c’est Chirac lorsqu’il a refusé d’aller faire la guerre en Irak et qu’il a expliqué pourquoi. Cela dit, j’aimerais bien voir Hollande comme Aimé Jacquet en 1998 : tout le monde lui jette des pierres et lui revient avec le trophée.

« Le premier acte de rébellion, c’est quand on refuse de ranger sa chambre. »

Vous n’en avez pas marre de cette image d’artiste engagé qui vous colle à la peau ?

J’aimerais poser la question suivante aux journalistes : « Pourquoi ne demandez-vous pas aux artistes qui ferment leurs gueules pourquoi ils ne s’engagent pas ? » C’est cette situation qui n’est pas normale. Les salopards qui disent « Je n’ai pas à m’exprimer là-dessus, c’est pas mon truc », blah blah blah : mais va te faire enculer ! Tu vis dans une tour d’ivoire, tu vis dans quel monde, mec ? Il faut vraiment être un sale type pour ne pas être touché par ce qui nous entoure. Moi y’a un paquet d’artistes pas engagés qui me touchent, de James Brown [il était pourtant un fervent militant de la cause noire et source d’inspiration des Black Panthers, NDR]  à Led Zep, mais j’ai également du respect pour des artistes contestataires dont je n’aime pas le travail.
Aujourd’hui la musique m’excite moins, on est dans une société de consommation de produits, les chansons sont écrites et produites par les mêmes personnes. C’est comme les nanas qui se font refaire le cul, les seins et la bouche chez les mêmes chirurgiens : elles se ressemblent toutes. Ce qui fait la beauté, c’est la différence, le métissage, l’étrangeté et les imperfections. Un artiste, c’est quoi ? C’est quelqu’un qui a une vision, une démarche, qui fait une proposition. Et la dernière qui conjugue tout cela, c’est Lady Gaga. Ceux qui ne me croient pas seraient avisés d’aller voir ses sessions acoustiques piano-voix. Là, tout le monde ferme sa gueule parce qu’elle assure grave. Elle sait chanter et jouer, elle est honnête et imprenable.

La révolte, ce n’est pas un truc de jeunes ?

Ça démarre par un truc de jeunes. Le premier acte de rébellion, c’est quand on refuse de ranger sa chambre. Je n’ai aucun problème à chanter Antisocial à 57 ans, c’est important de rester vigilant et en colère plutôt que d’être révolté. On a tourné par le passé avec Motörhead, Iron Maiden, AC/DC… Je mène une vie normale quand je descends de scène parce que cette activité n’est pas normale. Dans un monde parfait, je n’existerais pas. Ta question me rappelle un jour où j’étais passé chez Guillaume Durand, c’était il y a quelques années dans le cadre de la promotion d’un de mes livres qui était un récit poétique sur le silence amoureux. Là le type me sort : « Alors vous, le chanteur de hard-rock, ouais, ouais… » Encore un cliché : je ne suis pas chanteur de hard-rock à plein temps. J’aime une certaine littérature, un certain type de cinéma et je ne me trimballe pas dans la vie avec des fringues cloutées et une envie de mettre des pains dans la gueule des gens que je croise.

« Je ne sais pas si je descendrais dans la rue si ça pétait. »

Plus de deux siècles après la Révolution française, peut-on encore foutre la merde en France ?

P1060537La grande leçon des révolutions arabes, c’est qu’un mec présent depuis trente ans comme Moubarak peut se faire dégager en quelques heures sous la pression de la rue. C’est important et rassurant de savoir que cela est possible. Et en Occident, quel est notre seuil de tolérance ? A partir de quand n’accepterons-nous plus les choses ? Après tout, peut-être que le principe d’écrasement nous convient. Pour te dire franchement, je ne sais pas si je descendrais dans la rue si ça pétait. Tout dépend de l’analyse que je ferais des événements et du contexte, mais je n’ai pas l’impression que cela aille bien mieux ailleurs. Et que les mecs qui se branlent sur les modèles chinois, allemand ou américain aillent se faire enculer !

Le concept d’artiste engagé, ça vous évoque quoi ?

Connaissant Coluche, il a dû se retourner dans sa tombe plusieurs fois en voyant ce que sont devenus les Restos du Cœur… Ils sont devenus une soupape, des fouteurs de bordel officiels et institutionnalisés. En revanche j’admire Sean Penn et son engagement en Irak, de la même manière que le fait que Bill Gates redistribue son fric me semble normal. Mais à l’inverse, je ne pense pas non plus qu’il faille tout prendre aux riches, je n’ai rien contre l’envie de certains de gagner de l’argent. Moi on m’a déjà reproché de gagner du blé : quand on a cartonné avec le deuxième album de Trust, certains disaient que c’était mieux avant, etc. Evidemment le succès n’est pas le moteur quand on se lance dans ce genre d’entreprise, mais ce n’est pas déconnant de vouloir avoir une audience ! Avec Trust on a toujours refusé de jouer pour les partis politiques, qui nous ont tous contactés, de gauche comme de droite. Je me souviens d’un concert il y a des années à la mairie du XIIIème arrondissement : Toubon se pointe avec sa femme et me sort : « Nous avons tous vos albums et on les écoute régulièrement. » Mon cul ! On peut faire des compromis au cours de son existence mais ce qu’il ne faut pas accepter, c’est la compromission.

17 commentaires

  1. très chouette phrase 🙂 : « Je ne me trimballe pas dans la vie avec des fringues cloutées et une envie de mettre des pains dans la gueule des gens que je croise. »

  2. Se pointer face à Bernie et lancer « La révolte, ce n’est pas un truc de jeunes ? « , moi je dis…c’est couillue !!!!… 🙂

  3. Chouette et intéressante interview qui aurait mérité d’être plus longue ! je suis restée sur ma faim. En revanche que le mec cite Lady Gaga comme icône de l’innovation, franchement, bof quoi…

  4. C’est à l’image du Punk lambda : Idéologie de l’apeuprisme, rebelle sans cause, inconsciemment paradoxale – 30 après, les mecs sont capables de retourner leur veste une bonne dizaine de fois – . Et dire que j’ai offert ce vinyle Repression à mon père, sachant que Bernie n’a rien fait de mieux que Les démons de Jésus, Trust inclus.

  5. Un parlé franc il doit avoir Bernie.
    Ensuite les idées qu’il a « brut de décoffrage » c’est comme ça, ça correspond à une génération…bref son phrasé ça me parle, même si je ne suis pas d’accord avec tous ses propos.

  6. si on résume, Bernie trouve que Obama est un merde parce qu’il n’a pas changé le monde comme prévu (lol), que Chirac incarne le courage politique (lol) et qu’il faut que les riches donnent (un peu) de leur blé aux pauvres (euh, lol) … En gros, être un rebelle c’est dire des gros mots.

    enculé !

    ps : merci quand même à NDR d’avoir rendu à James Brown ce qui était à James brown

  7. Pour illustrer l’audace de sa formule révolutionnaire « des compromis oui , des compromissions non » , rappelons que ce rebelle de Bernie a voté Bayrou aux dernières elections présidentielles .
    bouffon.

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