Attention, si vous n’aimez pas les niaiseries, ne lisez pas ce papier.

Difficile de contenir ses émotions quand il s’agit de parler d’un de ses groupes préférés. C’était à la fin de l’été, quand les moments de joie se mêlent à la mélancolie des derniers instants. C’était Rock en Seine, un dimanche à la fin du mois d’août. J’attendais depuis des mois le concert de Beach House à 21 h sur la scène de la Cascade, qui devait être le point d’orgue de ce week-end festivalier. Le public était venu en masse, aussi excité que je puisse l’être alors. Dès les premières notes, c’était le grand frisson. « C’est une chanson pour les amants », lançait Victoria Legrand avant d’entamer Silver Soul. La musique, l’ambiance, et cette rousse dans mes bras ; c’était trop d’émotion pour moi. Le lendemain matin, j’apprenais via mon réseau d’informateurs que Beach House repassait à Paris le 20 novembre et que les places allaient être en vente dans la minute. Ni une ni deux, j’enfilais un jean, prenais le premier tee-shirt qui traînait, et je partais comme piqué par le diable direction la Fnac la plus proche, réalisant une fois dans le métro que je ne savais pas où j’allais.

Certains groupes ont un pouvoir semblable à celui de la nature sur l’homme, lorsqu’elle entre en fureur et que rien ne semble pouvoir l’arrêter. Même l’effort le plus périlleux reste vain face à sa toute-puissance. C’est une avalanche sur les flancs d’une montagne, un raz-de-marée, un séisme qui déchire les entrailles. Cette date au Trianon, je l’attendais avec impatience, comme un enfant compte les jours avant Noël. J’arrive en avance devant la salle, une heure avant l’horaire indiqué sur le billet, histoire de siroter une petite bière dans la file d’attente, et d’observer les jolies filles. Oui, parce que Beach House est un groupe de fillettes, un groupe pour grands sensibles romantiques ; un couple composé d’Alex Scally et Victoria Legrand (nièce de Michel), artisans d’une dream-pop mélancolique qui sait faire vibrer la corde sensible enfouie au plus profond de soi, et dont la musique évoque l’immensité, la beauté du monde. Son impact sur le marché du mouchoir n’est plus à démontrer (en témoignent les superbes Auburn and Ivory, You came to me ou On the Sea). Autour de moi, des mecs de mon âge, le quart de siècle presque consommé, des jeunes femmes, des quadragénaires, des Français, des Anglaises, des Danoises, des Américains, ces putains de revendeurs au black et une autre catégorie de personnes dont je ne soupçonnais pas encore l’existence.

Avant le plat principal, l’apéritif : Holy Other. Un homme seul face à ses platines et un ordinateur Apple, tête baissée, trafiquotant des boutons comme un vieux gogo pincerait les tétons de sa petite nièce. Le genre de musique qui tapisse un dîner et comble les vides des discussions sans rythme ; le genre de musique que l’on écoute allongé dans un transat sur la plage, un cocktail bleu fluo à la main. C’est peu dire que le spectacle était mortifère : à côté de ça, un enterrement aurait ressemblé à une orgie cinq étoiles. La faute à l’impatience du moment, et à l’immobilité scénique inhérente à la musique électronique. Et puis j’étais frustré : ce nom me rappelait le groupe d’un pote à moi, Holy Oysters, des Saintes Huîtres funky trempées dans l’acide. Un bon groupe d’électro-pop psychédélique qui aurait su mettre de l’ambiance.

Soudain, les lumières s’éteignent. Alex Scally et Victoria Legrand entrent alors, accompagnés du batteur. Alex à la guitare, elle derrière le clavier, au milieu de la scène, toujours aussi belle avec sa chevelure qui semble trempée dans le bronze. Les lumières au-dessus de leurs têtes scintillent alors comme des centaines d’étoiles dans la nuit noire. Le light show est à la hauteur de l’évènement : en rythme avec la musique, des tubes de lumière blanche, des étoiles, du bleu et du rouge aussi épais que de la brume. On marche sur des nuages. Dix-huit chansons jouées ce soir, dont la moitié tirée de « Bloom », leur quatrième album, sorti en mai dernier. Imaginez des perles qui s’entrechoquent dans une main gantée de velours, une toupie qui sort de son axe, comme perdue par le vertige de l’immensité, et vous aurez une petite idée de ce à quoi peut ressembler leur musique. Quand j’aurai 70 ans et que je raconterai 2012 à mes petits-enfants, je leur ferai écouter les vingt dernières minutes de cet album : New Year, Wishes, On the Sea et Irene. Vingt minutes de frissons. Vingt minutes de pure beauté. Le point négatif des concerts de cette tournée, c’est le peu de place fait aux chansons de « Beach House » et « Devotion », les deux premiers albums, mais ce n’est rien comparé au manque de discrétion de certains spectateurs à la stupidité malheureusement bien bruyante. Il fut un temps où l’on coupait des langues pour moins que ça. Réussir à gâcher l’emphase d’On the Sea relève presque du grand art. C’était le moment que j’attendais par-dessus tout, lorsqu’après une lente montée cadencée par un piano mélancolique Victoria s’abandonne sur ces mots : « the world be-comes and swa-llows me, yyyyy-eeeeeeeeeeeeeeaaaaahhhh yyyy-eeeeeeeeaaaahhhh », transcendée par une pluie de notes glacées.

La fin arrive vite, cinq chansons, quelques phrases lâchées en français, et Myth pour boucler le concert. Le public applaudit, votre serviteur braille comme une truie en chaleur. On en redemande, et on sera servi. Trois chansons en guise de dessert. Real Love, 10 Mile Stereo (probablement l’une des plus attendues) et Irene, dernière chanson du dernier album, lente progression de cinq minutes, « It’s a strange paradise » répété à l’infini, « It’s a strange paradise » et explosion orgasmique, « IT’S A STRANGE PARADIIIIIIIIIIIIIIIISE », Victoria en headbanging et les spectateurs en transe. Ce groupe fait définitivement partie du haut du panier. Les paroles et les mélodies font mouche à chaque fois, sur chacun de leur disque. Rien n’est à jeter. Si Mohammed Ali écoutait ce groupe, il dirait peut-être qu’il « vole comme un papillon et pique comme une abeille ». Le 22 mars 2013, Beach House jouera à la Cigale à Paris. Je sais où je serai ce soir-là.

http://www.beachhousebaltimore.com/news

2 commentaires

  1. Merci pour avoir rétabli ici un peu de vérité : ce groupe n’est pas qu’une marotte à bobos, et sa musique peut toucher du doigt les étoiles. La déception, en fin de compte, vient que « Bloom » (assez dépourvu de magie) ne soit pas parvenu, cette année, à égaler la beauté mortifère de son prédécesseur, « Teen Dream ».

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