Lors de la dernière chronique consacrée à un roman de l’auteur, on avait titré: « Grâce à Feminicid, Christophe Siebert trifouille les entrailles de son pays maudit ». Avec le recul, on se rend compte qu’on vous a menti. Sorti en janvier dernier, Valentina, nouvel opus de son cycle de Dark SF est LA véritable plongée dans la carcasse abimée de son pays mal en point.

En 1999, quand la moitié de la planète faisait un nervous breakdown, morte de trouille face au passage à l’an 2000 et son fameux bug, feu Paco Rabanne a eu la joyeuse idée de lâcher les chiens de la connerie intersidérale. Le 11 aout 1999, le soleil disparait derrière la lune pendant plus de deux minutes dans une éclipse totale. Si Bonnie Tyler en a fait son beurre, l’éclipse totale, évènement rare, est un signe de fin du monde qui inquiète doublement. C’est également selon les prédictions du couturier Espagnol, le jour que va choisir la station spatiale Mir pour se désintégrer et s’écraser sur terre. Les débris qui l’accompagneront détruiront Paris et plusieurs autres villes créant une apocalypse à base d’incendies gigantesques et débris de plutonium.

Au final, ce 11 aout a surtout marqué les rétines des adolescents d’alors qui devaient se munir de lunettes spéciales afin de voir le soleil disparaitre sans fracas, ni chaos. Aucun morceau de satellite n’a rayé Paris de la carte ou une quelconque ville de France. La seule pluie qui tomba ce jour-là fut surtout faite de vannes gratos vis-à-vis de celui qui n’en était déjà pas à ses premières prédictions foireuses. Sa crétinerie cosmique a-t-elle résonné jusque sur les terres de Mertvecgorod ?

Au même moment, dans ce territoire fictif que Christophe Siebert a créé afin de donner corps à ses futurs romans, une bande de joyeux drilles s’encanaille. Pour eux, s’il est question d’apocalypse, elle ne viendra pas de l’espace, encore moins des effluves d’un créateur de parfum. Chez eux, l’Apocalypse se sert au petit déjeuner, entre deux tranches de pain, noir évidemment, tourbe infâme qu’elle déguste mais dans laquelle elle nage, baise et boit.

Anticipation en biscotte

Dans le domaine de la science-fiction, difficile d’inventer des nouveaux espaces, des nouveaux mondes, quand beaucoup semblent voir le futur comme autant d’univers technos ou tout est synonyme de projections et d’anticipations à plus ou moins court terme. La plus grand difficulté reste l’appropriation de ce futur et la façon dont chaque auteur va réussir à l’exploiter afin de lui conférer une identité propre. Chez Gonzaï, ça fait un moment qu’on observe le gars pour voir ou le projet littéraire qu’il est en train de construire va nous mener. On le suit sur le long (et périlleux) chemin qu’il s’est tracé.
Pour ceux qui ont toujours pas capté qui il est, ni ce qu’il défend, Christophe Siebert a décidé depuis quatre ans de donner corps à un univers de SF. Grâce à Images de la Fin du Monde et Feminicid, tous deux édités au Diable Vauvert, il raconte un avenir pas beau à voir. L’avantage c’est qu’on ne parle pas de la mutation de Paris ou de Londres, encore moins d’une guerre mondiale. L’action se situe sur le territoire fantasmé de Mertevcgorod, pays aux frontières chelou, tampon entre la Russie et l’Ukraine.

Siebert ne fait pas dans l’anticipation défaitiste de proximité. Si les potards de la crasse sont poussés à l’extrême, que l’univers est sombre et bien énervé, on marche dans un imaginaire pur qui ne projette pas pour nous faire la morale ou nous dire que demain ça va être la merde. D’une, cimer on est au jus que la suite s’annonce pas jojo, de deux, ce qui le fait kiffer c’est de raconter la sombre histoire de sa ville imaginaire et de nous faire vivre le quotidien branlant de ses habitants autant que ceux qui sont de passage. On doit dire que ça fait du bien qu’on ne cherche pas à nous raconter le moment ou des intelligences artificielles bourrées à l’acide citrique frelatée auront pris le contrôle de toutes les centrales nucléaires pour nous péter la gueule, et comment on aura rien fait pour les en empêcher. D’ailleurs chez lui, ce ne sont pas les IA qui turbinent à l’acide. La preuve avec Valentina, son troisième essai situé cette fois à rebours, dans le bordel des années 2000.

Récit noir en toast

Ils sont cinq: Meksi, Laska, Sbrod, General et Kreditka. Ils ont comme point commun de vivre à Mertvec-bereg, un oasis pauvre de la tentaculaire ville de Mertvecgorod. Plus ou moins prédestinés à l’échec, la misère ou la mort, ils immolent leur conscience dans le feu de toutes les drogues possibles. Dans ce quartier de misères, un vieux travesti répondant au doux nom de Valentina est retrouvée mort. Jusque là rien d’anormal, crever la gueule ouverte à Mertvecgorod est plus ou moins légion. Seulement, à l’heure ou nos ados sont en train de devenir des adultes, ils prennent conscience que leur monde proche peut s’éteindre comme un souffle, que leur cocon brut peut se fendiller, que rien n’est figé. Mais plus que de la nostalgie, la mort de Valentina va réveiller une ombre beaucoup plus dangereuse.

Autant le dire de suite, si on avait mis un bémol sur Feminicid, son enquête morcelée et un brin bordélique, ici Siebert se fond dans une trame de roman noir bien plus jubilatoire. Avant tout, c’est un roman sur le fond et la forme, une histoire menée de A à Z. Feminicid avait ce défaut de proposer un récit épandu sur différentes sources, allant de la page wikipedia aux rapports d’enquêtes parmi d’autres subterfuges narratifs, et qui diluaient sensiblement l’intérêt. Dans un univers aussi exigeant et complexe que le sien, tenir le fil d’Ariane et le remonter sans jamais se paumer et un vrai plus et on peut d’ailleurs dire sans mal que Valentina est la meilleure porte d’entrée dans l’univers de Mertvecgorod. Ce nouveau roman est voulu comme l’entame d’un nouveau cycle « qui comptera une ribambelle de romans courts et nerveux façon Fleuve Noir de la grande époque et explorera la situation » selon les propos qu’il avait défendu il y a quatre ans. Il est donc question d’aller à la rencontre des explorateurs des bas-fonds mertevcgorodiens et de suivre leur ballade damnée.

Le style nerveux, intense, moins poseur est plus immersif et incisif. Une phrase commence sans qu’on ne sache jamais ou elle va s’arrêter. On monte à bord de son rouleau compresseur d’assaut et c’est un vrai plaisir de lecture. Une écriture au corps, sans fioritures, toujours juste. Le style témoigne à merveille du tourbillon émotionnel vécu par cette bande d’ado quasi tout le temps en lendemain de bourre ou en descente d’acides. On sent que Siebert s’éclate à nous raconter le quotidien morbide de sa bande de trous du culs adepte de la came et des raves en pagaille autant que d’épaissir le mystère qui entoure la mort de son travesti. Mention spéciale au chapitre consacré à l’exploration de la maison de Valentina ou on ne sait plus très bien si on nous raconte la découverte d’un lieu de vie ou une plongée brute dans un cerveau en ébullition constante. Autre élément intéressant, il développe les pensées d’un personnage clé dans de très courts chapitres où les mots sont littéralement enchainés les uns aux autres avec des apartés dérangeantes, glauques, flippantes, comme une poésie macabre qui crache un venin corrosif et voulue comme « graphiquement impressionnante et atmosphérique ».

L’immersion dans son creuset mutant va bien au delà de l’écrit puisque Siebert développe son histoire sur fond d’une bande son qu’il puise dans le catalogue de la Russie des années 80-90. Plus que de l’illustration, la musique et ses paroles servent le récit, plonge le lecteur dans les pensées radicales des personnages. Elles nous accompagnent sans nous prendre par la main et nous dire quoi faire ou penser. Siebert appuie sur lecture et déroule avec jubilation ses sentences punk, noise, pop, indus. Jouerait-il au journaliste musical pour autant ?

« Cette exploration nait au départ, d’une contrainte: je partais un mois en résidence d’écriture et je me suis dit que ce serait marrant de rédiger Valentina en immersion totale, sans parler à personne et en écoutant à fond, H24, la même musique que mes protagonistes. Sauf qu’il s’est passé deux choses. La première, prévisible, c’est que mes habitudes de travail ont repris le dessus et que la musique ne m’a immergé nulle part, puisque quand j’écris je suis trop concentré pour y faire attention. La seconde, c’est que je me suis pris réellement de passion pour tout ce pan inexploré et inconnu – par moi, en tout cas ! – des musiques que j’aime : après avoir passé un quart de siècle à explorer de long en large toute la production post-punk, indus, dark-folk, synth-pop etc. d’Europe et des USA, voilà que je me suis rendu qu’il y avait la même chose, autant de groupes, autant de musiques, autant de tout, de l’autre côté de l’ancien rideau de fer ! Quant à les inclure dans le texte, c’est venu assez vite, en fait. Dès que j’ai jeté un oeil aux paroles (merci les logiciels gratuits de traduction automatique !), j’ai compris que ce serait une erreur de ne pas les utiliser en contrepoint ou en commentaire de l’action et des pensées des personnages – exactement comme fonctionnerait la BO d’un film ».

La suite c’est quoi ?

« Cette année deux autres brefs romans sortent chez des micro-éditeurs. Hram, prévu pour avril chez Gore des Alpes, est une petite histoire sanglante et violente qui se déroule en 2035 entre Mertvecgorod et les Carpates. J’y développe un peu plus que dans les autres volumes l’aspect cyberpunk et SF de mon univers. Vive le feu, qui sortira en juin dans la collection Karnage des éditions Zone 52, narre un petit fait-divers sordide et déprimant dans les années 2000 à Mervecgorod et nous emmène aussi à la découverte d’une station balnéaire délabrée sur les bords de la mer d’Azov. Quant à mes publications au Diable vauvert, il faudra attendre 2025, avec la parutions d’Ecrits de prison, que je suis en train de terminer ces temps-ci, et qui sera un énorme volume consacré à Nikolaï le Svatoj, personnage central de mon univers. »

La playlist Youtube, quasi la BO du bouquin.
Les illustrations qui parsèment le roman sont signées de la main de l’artiste Clo Porte.

Christophe Siebert sera  1er avril au Caméléon à Toulouse, du 5 au 7 avril à Paris dans le cadre du colloque « Sexe, sexualité et relations sexuelles dans la science-fiction » à l’Institut d’Études Slaves, le Jeudi 20 et vendredi 21 avril, à la librairie Le Chat Borgne de Belfort, le 1er mai, à Arras à l’occasion du festival Colère du Présent, les 25 et 26 mai, à Épinal pour le festival Les Imaginales et les 27-29 mai, à Penmarch pour le festival Le Goéland Masqué.

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