Après « Les Mauves » de Benoît Tranchand, le label bordelais Club Teckel accueille « Rabia », signé par Tio Madrona. Un album proprement indéfinissable, et résultat d’une longue introspection et improvisation musicale sur fond de quête familiale, de flamenco et d’Andalousie.

« C’est marrant, ça fait dix-huit ans aujourd’hui que je suis arrivé en France », dit Oscar Galea en riant à l’autre bout du fil. Originaire de San Fernando, près de Cadiz en Andalousie, bercé par une famille d’artiste et de passionnés de musique, Oscar fut lui-même membre de plusieurs groupes au cours de sa vie (les derniers en date étant Cinq, Zero Branco et Sweat Like An Ape !). Aujourd’hui, il est devenu Tio Madrona et signe son premier album solo « Rabia » chez Club Teckel, sorti le 18 novembre.

Lui-même peine à définir sa musique tant elle est intuitive. Tantôt qualifiée par les médias et labels comme une « folk indus naturaliste », il y trouve aussi bien du rock, que du punk, que des musiques du monde, avant d’abandonner l’idée même d’étiquetage. La couleur de la musique est fortuite, comme son choix de réaliser seul cet album au milieu d’un grand virage sur sa trajectoire de vie. Le décès de ses parents, sa rupture, son départ à la campagne : ces bouleversements le poussent à s’enfermer un mois dans sa nouvelle maison pour se laisser pleinement aller à la musique, et enregistrer cet album. « Mais il n’y a aucune peine dans tout ça, c’est plutôt la joie d’une nouvelle rencontre avec moi-même ».

Crédits : Nahia Garat

Durant ce mois d’enregistrement, Tio Madrona laisse libre cours à ses expérimentations. L’album est enregistré quasi exclusivement en improvisation totale, superposant des boucles d’instruments divers qu’il mêle à des enregistrements de bruits ambiants réalisés d’abord avec son téléphone. Äam, par exemple, est un authentique featuring avec les grenouilles de l’étang voisin. Il plonge profondément dans la riche histoire familiale, où se rencontrent danseurs de flamenco, gitans andalous, un arrière-grand-père torero et la collection de littérature espagnole de son père. La rencontre de toutes ces influences et des longues improvisations musicales donne naissance à un album étrange, brut, imprévisible, primaire et surprenant, parfois pour son auteur lui-même. « En réécoutant certains morceaux, j’étais étonné d’y trouver des éléments de flamenco, car ce n’était pas forcément une grande influence au départ. Mais c’est venu naturellement car c’est la musique de mes ancêtres ».

Peut être de l’art

Si sur les dernières pistes, Tio Madrona improvise avec sa voix comme avec tous ses autres instruments (allant jusqu’à écrire ses paroles comme avec un nouveau langage), les textes des premiers morceaux sont chantés en espagnol. Alma raconte l’histoire de son grand-père danseur de flamenco, qui partait de la maison familiale à la nuit tombée pour danser avec la mère de Camarón de la Isla (« c’est un peu le Bob Marley du flamenco »), puis rentrait quelques heures plus tard, ivre, pour se faire disputer par sa femme. C’est le père de Tio Madrona qui raconta cette histoire, lui-même qui inspira Diego : « c’est un morceau pour mon père. À la fin de sa vie, il riait beaucoup mais marchait très lentement pour aller sur sa terrasse, où il était entouré de ses oiseaux. Quand je venais le voir, il me disait qu’il ne serait pas là toute sa vie, qu’un jour il s’envolerait avec eux ».

C’est ainsi qu’est né « Rabia », fruit d’une longue introspection teintée d’onirisme que son auteur livre sur scène accompagné de son ami dessinateur Adrien Demont (à qui l’album doit sa pochette), dans un mélange de jeux d’ombres et de dessin spontané transposé par vidéo-projecteur. Une quête de l’intuitif et du viscéral qui rappelle la pensée de García Lorca dans son Jeu et théorie du Duende (concept indéfinissable mais constituant le cœur et l’âme du flamenco, conçu comme une sorte de force créatrice et absolue de vie et de mort) : « pour chercher le duende, il n’existe ni carte ni ascèse. On sait seulement qu’il brûle le sang comme une pommade d’éclats de verre, qu’il épuise, qu’il s’appuie sur la douleur humaine qui n’a pas de consolation ». Et il y a du duende chez Tio Madrona, c’est une évidence.

Tio Madrona // Rabia // Club Teckel, sorti le 18 novembre
Release party le 1er décembre aux Vivres de l’Art (Bordeaux)

https://clubteckel.bandcamp.com/album/rabia

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