(C) Philippe Lebruman

C’est peu dire que depuis 30 ans qu’il exerce dans divers cabinets musicologiques, on a toujours eu un peu du mal à placer Pierre Daven-Keller sur une carte. Et pour cause, c’est un Ovni. Pas au sens roswellien du terme, mais parce qu’entre ses collaborations pour Katerine et Francoiz Breut et ce nouvel album, il y a un monde. Un cosmos même, puisque ce « Planète » à la fois synthétique et modulaire semble conçu comme un merveilleux plan B pour oublier les années derrière Dominique A.

« There’s no planet B ». Le proverbe, bien connu des écologistes, est depuis longtemps devenu le slogan de Jeff Bezos, l’entrepreneur milliardaire fan de Star Trek à qui l’on doit autant la création d’Amazon que celle de Blue Origin, la société spatiale imaginée au début des années 2000 pour permettre à l’Humanité de coloniser l’espace. Inutile de s’appeler Captain Spock pour comprendre que le chauve américain sera mort avant même d’avoir pu sortir de la banlieue terrestre, mais ces questionnements liés à la conquête de l’espace, depuis l’explosion de la pop culture, donnent malgré tout naissance à des chefs d’œuvres basés non pas sur la réalité de cette entreprise, mais sur son imagination.

La destination important donc moins que le trajet, Pierre Daven-Keller profite de son début de cinquantaine pour changer de braquet, après presque 30 ans en zone grise derrière des noms connus tels Katerine, Miossec ou Francoiz Breut. On n’ira pas jusqu’à dire que le principal intéressé a eu accès au fichier d’abonnés des Inrocks en fonte perpétuelle, mais le Français semble vieillir avec cette idée persistante du renouvellement inévitable. Ainsi « Kino Music », publié en 2019, ressemblait déjà à un étonnant voyage mental à travers les années 70, loin de ses terres initiales – la chanson française un peu chiante, à rebours. Et c’est ainsi que trois ans plus tard, le même revient encore une fois pour compliquer le profil type de son audience avec « Planète », un album en grande partie instrumental écrit comme la partition d’un décollage vers l’espace, avec l’idée qu’on s’en fait depuis 2001 l’Odyssée de l’espace ; quelque chose d’à la fois vide, froid, électronique et de loin plus héroïque qu’un discours de Jeff Bezos.

(C) Philippe Lebruman

 

De Morricone à Joe Meek

Amateur d’arrangements « soyeux et léchés » comme on disait au 20ième siècle, Daven-Keller voit ici un peu plus haut et, à la manière des cosmonautes obligés de se délester pour aller loin (comptez en moyenne 1 million de dollars pour livrer 200 kilos de matos sur une station orbitale), jette violons et orchestre pour tout concentrer sur les touches de claviers nettement moins imposants et moins couteux.

Anachroniques et alors même qu’elles visent le futur, les chansons qui en résultent, et qui n’ont au final pas grand-chose à raconter puisqu’elles sont instrumentales, évoquent le Air de la grande période, celui de Alone in Kyoto, mais aussi les essais successifs d’un Jonathan Fitoussi – et par ailleurs collaborateur de JB Dunckel, voyez comme l’espace est petit.

Pas foudroyant, mais très bien troussé, ce disque récréatif dispose d’assez de kérosène pour égayer les open space comme les grands moments de réflexion personnelle où la solitude s’impose (déclaration d’impôts, coloscopie, crise de la quarantaine ou hésitations profondes sur le choix à faire entre un ARP Odyssey et un Moog polyphonique). Une belle pièce dans le flipper cosmique, et surtout un bel album à faire tourner sur lui-même dans cet espace en voie d’extinction.

Pierre Daven-Keller // Planète // DK-Disk/Bigwax
https://soundcloud.com/davenkeller

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