Ou comment un génie du septième art parvient à s’imposer dans le quatrième. Le duo drone-expérimental SQÜRL, composé de Jim Jarmusch et Carter Logan, a sorti le 5 mai dernier « Silver Haze », son premier album à part entière, convoquant pour l’occasion Anika, Marc Ribot, Charlotte Gainsbourg et le producteur de Sunn O))), Randall Dunn.

Derrière son look d’éternel jeune mondain famélique, son habit noir et sa crinière albinos, Jim Jarmusch a réalisé en quelques décennies nombre de chef d’œuvres du cinéma alternatif – accompagné de nombre de BO inoubliables, du monologue improvisé de Neil Young sur Dead Man à l’éthio-jazz de Broken Flowers. Et si, en toute logique, on prête surtout à Jarmusch l’étiquette d’éminent cinéaste, il n’en reste pas moins que celui-ci est aussi un habitué de l’exercice musical : de son groupe post-punk The Del-Byzanteens, au début des années 80 à la fois no-wave et new-yorkaises à son projet certainement le plus abouti à ce jour : le duo SQÜRL, accompagné de Carter Logan, avec qui il vient de signer leur premier véritable album « Silver Haze ».

Un premier album, certes, mais le duo n’en est pas à son coup d’essai. Monté en 2009 par Jarmusch pour signer la BO de son Limits of Control, SQÜRL a ensuite habillé les excellents Only Lovers Left Alive et Paterson, s’essayant à différentes ambiances et directions sonores sur trame cinématographique. Le duo a aussi signé quelques EPs et tourné à l’international sur des ciné-concerts autour des films de Man Ray. Après une décennie de compositions et fort d’un catalogue déjà conséquent, le duo s’est acoquiné à Randall Dunn, producteur de Sunn O))), Boris, Thurston Moore et Earth (autant d’importantes influences pour les deux acolytes) pour réaliser un premier véritable album autonome et indépendant. Le petit oiseau a pris son envol, et il a les cheveux gris.

« Silver Haze » est un vrai pèlerinage dans l’univers de Jarmusch, fort de plusieurs variations et détours dans le vaste monde de l’expérimental. Berlin ’87 annonce la couleur : un drone lourd et étouffant, comme taillé pour le Spleen baudelairien (« Quand le ciel bas et lourd pèse comme un couvercle, sur l’esprit gémissant en proie aux longs ennuis… »), suivi du psaume caverneux, très Nick Cave, de The End of the World, dont la narration fait écho au spoken-word de Jim Morrison sur « An American Prayer » (en bien plus sombre, évidemment).

Sur Garden Full of Glass Flowers, la guitare aérienne de Marc Ribot dessine une balade délicate et atmosphérique comme un interlude bienvenu après l’intensité des morceaux précédents. La grande Anika est aussi de la partie sur She Don’t Wanna Talk About It, pour un duo avec Jarmusch aux échos Lee Hazlewood/Nancy Sinatra, entre americana revisitée et ambiance desert rock. Il Deserto Rosso reste dans les canyons, Marc Ribot joue cette fois-ci de la guitare avec ses clés de voiture et pour John Ashbery Takes A Walk, Charlotte Gainsbourg lira deux poèmes (c’est d’ailleurs le seul terrain glissant de l’album, autant qu’un vrai parti pris : on adore Charlotte Gainsbourg ou on la déteste, c’est comme l’auto-tune). Queen Elizabeth et Silver Haze clôtureront l’album sur un ton lynchien, comme deux odes à la contemplation à la ligne de tension toujours palpable.

Comme un voyage initiatique, thème cher à Jarmusch (pensons à nouveau à Dead Man et Broken Flowers, pour ne citer que deux exemples), « Silver Haze » s’écoute en dédale, souvent cauchemardesque, parfois lumineux, maîtrisé et juste en chaque instant, faisant de l’errance une méditation comme un William Blake blessé, gisant dans son canoë guidé par l’Indien Nobody. En témoignant une nouvelle fois de son art de la narration et de l’abstraction, Jim Jarmusch signe une ici œuvre juste et singulière. Il semble donc que sur sa toison immaculée, l’artiste exhibe sans rougir une nouvelle casquette. Noire, sans doute.

SQÜRL // Silver Haze // Paru le 5 mai
https://squrlnyc.bandcamp.com/album/silver-haze

6 commentaires

  1. JIM JARMUSH pour moi c’est DEJA UN CINEASTE SURESTIME SON DERNIER BON FILM DATE DEJA DE 2013 C’est Only Lovers Left Alive , musicalement SQÜRL est une croute dronesque inécoutable ,sa raille mes tympans

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