Le 4 octobre 1957, l'URSS parvenait avec succès à mettre en orbite autour de la Terre le tout premier satellite artificiel : Spoutnik 1. Quelques jours auparavant, un autre séisme avait lieu : Elvis devenait officiellement le premier rockeur à devenir millionnaire grâce à son art. Coïncidence ? Je ne pense pas.

A priori, rien de commun entre le lancement de cette petite boule d’aluminium de 83kg dont le célèbre « bip-bip » allait bercer les oreilles des radio-amateurs du monde entier et les performances financières d’un King à l’époque encore svelte et dépourvu de favoris façon Troisième République. On ne peut toutefois s’empêcher de noter un certain nombre de points communs entre un astronaute et une rock star :

– Tous les deux font rêver les petits enfants et galvanisent les foules;
– Ces derniers mois nous en ont privé d’un bon paquet : Lemmy, Prince, Bowie, pour ne citer qu’eux d’un coté ; John Glenn, Edgar Mitchell (pilote de la mission Apollo 14) et le soviétique Igor Volk de l’autre ;
– Enfin, les membres des deux professions ne révèlent tout leur sex-appeal que lorsqu’ils arborent une de ces luxuriantes moustaches dont eux seuls ont le secret.

Space33

The Good Ol’ Times

Ainsi s’ouvrait, à l’aube des années soixante, l’ère spatiale. Et le moins que l’on puisse dire est que ces premières missions avaient indéniablement le charme de l’ancien. Une classe américaine, intemporelle, qui fait aujourd’hui vibrer de nostalgie le coeur des férus d’astronautique et que l’on retrouve sur les photographies aux légères teintes sépia de l’époque : le chromé rutilant et royal des combinaisons des Mercury Seven, les premiers astronautes sélectionnés par la NASA ; ces images désuètes de salles de contrôle remplie d’ingénieurs gominés et la clope au bec ; et des projets démentiels, surhumains, qui faisaient de nous les égaux des dieux, comme la construction de la fusée Saturn 5 qui allait envoyer les hommes sur la Lune. Une fusée si puissante et gigantesque, qu’une fois remplie de carburant, sa structure interne s’écrasait sous son propre poids, lui faisant perdre un mètre de hauteur par rapport à sa taille à vide.

Autre temps, autres projets, mais aussi autres hommes : les premiers astronautes étaient des pilotes d’essai issus des heures les plus glorieuses de l’US Air Force. Ils avaient non seulement L‘Etoffe des Héros, The Right Stuff en VO ; mais également des blousons de cuir beaucoup trop classes. Tout cela à une époque où l’on branchait sa Stratocaster made in US dans des amplis complètement à lampes, où des bootlegs de concerts de Jimi Hendrix craquaient sur la platine et où « Led Zeppelin II » était numéro un des charts partout dans le monde.

Et maintenant, que nous reste-t-il ? Space X qui essaie de nous refourguer des fusées réutilisables, des agences spatiales qui annulent tout projet d’exploration humaine de l’espace pour des motifs économiques, de l’autotune et Jul en tournée dans toute la France. Mais je ne m’attarderai pas sur le « c’était mieux avant » : ça commence comme ça, et après on finit par regarder Derrick à la télé, voter François Fillon et lire les articles de Patrick Eudeline dans Rock’n’Folk.

Club des 27

Tout comme le rock, la conquête de l’espace comporte sa part d’ombre, et ceux qui y participent n’en sortent pas toujours indemnes. Le musicien, qui compose dans son coeur ses riffs et chansons, peut vite se brûler les ailes à la lumière d’une célébrité trop vite arrivée. De même, les astronautes, pilotes expérimentés, scientifiques chevronnés au sang-froid imperturbable, vivent parfois difficilement les retombées médiatiques à leur retour sur Terre. Gagarine ne s’en est jamais remis. Le premier homme à être allé dans l’espace avait 27 ans au moment de sa mission, et n’était pas préparé à gérer sa nouvelle célébrité. Les autorités soviétiques lui imposent un rythme infernal de visite et de conférences partout dans le monde, et le jeune cosmonaute se mit à sombrer dans les pires excès ; sex, drugs & rock’n’roll. Il engloutissait des quantités orgiaques d’alcool, et fut hospitalisé après avoir sauté du balcon d’un hôtel pour que sa femme ne le surprenne pas en plein badinage. Mais, plus que tout, le fait de ne plus être autorisé à piloter d’avion le déprimait profondément. Interdiction formelle pour l’ancien pilote de chasse de remonter dans un cockpit : l’URSS ne pouvait prendre le risque de perdre son fils prodige, qu’elle exhibait avec fierté dans le monde entier, dans un crash. Il finit par obtenir de pouvoir voler à nouveau, mais se tua peu de temps après avec son instructeur dans l’explosion de son Mig-15 en 1968, dans des circonstances encore troubles.

Bon après tout, rien de nouveau sous les étoiles : ça, David Bowie nous l’avait déjà enseigné. Space Oddity nous racontait l’histoire du Major Tom, un astronaute vraisemblablement contemporain du programme Gemini (il informe ground control qu’il s’apprête à sortir de sa capsule ; l’entrainement aux sorties extra-véhiculaires était l’un des buts du programme Gemini, précurseur immédiat d’Apollo). Excellent pilote, gendre idéal, coqueluche des médias (« the papers want to know whose shirts you wear« ), le major Tom a vraisemblablement connu une mort atroce dans le vide de l’espace après une défaillance majeure de son vaisseau. Mais, en 1980, Ashes to Ashes vint nous révéler la conclusion en réalité bien plus sordide de cette mission : le major Tom est bien rentré sur Terre, mais est oublié de tous, même des ingénieurs du centre de contrôle (« I’ve heard a rumour from Ground Control« ) : il est une véritable épave (« sordid details following« ) qui n’a jamais su s’adapter à son retour (« Ashes to ashes, funk to funky – We know Major Tom’s a junkie« ).

Across The Universe

Malgré les pertes, les accidents et les revers de fortune, la conquête de l’espace poursuit inlassablement son cours. En 1968, en pleine course à la Lune, les Beatles publient Across the Universe. Quarante ans plus tard, pour fêter les cinquante ans du premier satellite américain (et également pour faire de la com’ sans pomper dans les budgets scientifiques), c’est cette chanson que la NASA choisira d’envoyer dans l’espace, en direction de l’étoile polaire. C’est vrai, il n’y a pas de raison pour que l’humanité soit la seule espèce de l’univers à se faire emmerder par des chansons pop.

Au début des années 70, l’homme a mis le pied sur la Lune, et les premières stations spatiales (Saliout chez les soviétiques, SkyLab chez les Américains) offrent la maitrise de l’orbite terrestre. Mais les ingénieurs et scientifiques ont la bougeotte. Ils rêvent d’ailleurs, d’exotique. L’interplanétaire les appelle. Les premières sondes partent explorer nos voisines : Vénus et Mars. En 1977, les sondes Voyager 1 et 2 décollent de Cap Canaveral à bord d’une fusée Titan : lancées pour atteindre les confins du Système Solaire, elles partent pour ne plus jamais revenir. Au cours d’un voyage qui durera plus de dix ans, et les mènera à une telle distance du Soleil que sa lumière met presque 15 heures à leur parvenir, les sondes jumelles prendront des clichés vertigineux de planètes que nous ne connaissions alors que sous la forme d’un timide point coloré sur l’oculaire d’un télescope.

De telles images ne laissent pas indemnes. Et le space rock qu’elles ont inspiré non plus. Le genre se popularise à la fin des années soixante, avec, bien entendu, Pink Floyd (« The Piper at the Gates of Dawn ») et Hawkwind (« Space Ritual »), mais aussi les Allemands de Can (« Tago Mago ») et d’Amon Düül II (« Yeti »). De ce voyage-là non plus, on ne revient jamais complètement sur Terre.

Pendant ce temps, en orbite basse, la vie suit paisiblement son cours. Columbia, la première des cinq navettes spatiales américaines, effectue son vol inaugural en 1981. 134 vols suivront avant la mise à la retraite des navettes : au cours de ces missions, qui durent chacune environ une semaine, l’équipage prend l’habitude de se réveiller chaque matin au son d’une chanson différente, préalablement choisie par l’un de ses membres. Et ces space soundtracks font indéniablement preuve d’éclectisme et de bon goût : on y retrouve, entre les classiques BO de Star Wars et de L‘Etoffe des Héros, et la 6ème de Beethoven, Air (Le Voyage de Pénélope), les Beastie Boys (Intergalactic), Daft Punk (Voyager), Keren Ann (My Name Is Trouble, cocorico) ou Ladytron (17). Le spécialiste de mission du vol STS-51-L, Ronald McNair, était d’ailleurs un saxophoniste de talent, et devait jouer depuis l’espace un solo pour une chanson de Jean-Michel Jarre, excusez du peu. Ce projet n’eu jamais lieu : la navette Challenger, qui emmenait McNair et six autres membres d’équipage, se désintègre 73 secondes après son décollage de Cap Canaveral.

Encore une fois, malgré les dangers et les excès, et en prenant soin de rendre hommage aux camarades tombés au champ d’honneur, l’aventure continuait : astronautes et rock stars se mirent à prendre de l’âge, à avoir du mal à se remettre d’une gueule de bois et à ne plus savoir rentrer dans leurs anciens pantalons. Tout sportifs et militaires qu’ils soient, les héros de notre enfance se mettent à bedonner et à avoir les fesses « asymétriques et dégoulinantes », comme Clint Eastwood le fait gentiment remarquer dans Space Cowboys. Et, avec la sortie d’un nouvel album des Stones, l’expression « papys rockeurs » n’aura sans doute jamais été autant galvaudée. Faut-il en rire ? Malgré cela, la magie continue-t-elle d’opérer ? Assurément ! Il suffit de se rendre à un de ses concerts pour voir qu’Iggy Pop continue à assurer le job à 69 ans. Et feu John Glenn a effectué son dernier vol à bord de la navette Discovery, à 77 ans.

You are, my love, the astronaut

Parallèlement, la nouvelle garde se met en place. Sur Terre, les « baby rockeurs » (expression que l’on retrouve à peu près 40 fois par numéro de Rock’n’Folk, un peu comme « stakhanoviste » ou « Perfide Albion« ) prennent leur envol. En 2009, deux bonnes nouvelles : les Plastiscines sortent « About Love » et Gustave Naast arrête la musique pour devenir directeur commercial chez Optic 2000. La même année, l’Agence Spatiale Européenne finalise le recrutement de son troisième corps d’astronautes. Parmi ces six rock stars, on compte notamment l’Italien Luca Parmitano (qui a passé six mois à bord de la station spatiale internationale, a manqué de se noyer dans sa combinaison au cours d’une sortie extra-véhiculaire et a couru un Iron Man seulement un mois après son retour sur Terre – physiquement, même Lemmy n’aurait pas tenu le coup) et le Français Thomas Pesquet (bien qu’il ait chanté pour les Enfoirés – personne n’est parfait).

Dorénavant, de nouveaux horizons s’ouvrent à nous. Avec un objectif précis en tête : Mars. Pourquoi donc ? Parce qu’il serait fort judicieux d’aller explorer notre proche voisine qui fut autrefois très semblable à la Terre, et qui a perdu son champ magnétique, son atmosphère et ses océans en l’espace de quelques millions d’années ; parce que les missions de simulations de vie martienne réalisées sur Terre (Mars 500, MDRS…) donnent des résultats très encourageants ; pour servir d’avant-poste à l’exploration de nouvelles étoiles ; pour valider des technologies ensuite utilisables dans notre quotidien sur Terre ; et bien sûr, for the thrill of it. Malgré les coupes budgétaires, le climat géopolitique, et Maître Gims, il y a des raisons de garder espoir : après tout, Bowie a eu droit à 4:16 de la BO de Seul sur Mars avec Starman.

« Il était seul à bord de son appareil, mais il avait la Terre et le ciel pour compagnons« , écrivait Joseph Kessel à propos de Mermoz. Et de continuer : « Les routes du monde s’ouvraient. Et il les bâtissait lui-même. Tout n’était que jeune force, jeune beauté, paix profonde et liberté. Les vers des poètes, les formes des tableaux, les rêves, les jeux, tout se trouvait réalisé, comblé« . Les astronautes, aviateurs des temps modernes, et les musiciens ont ce destin en commun : le devoir de vivre parmi leurs semblables tout en étant souvent loin au-dessus d’eux, et la lourde responsabilité de vivre comme des Dieux parmi les Hommes.

Et je ne résiste pas au frisson de vous la faire écouter, une dernière fois.

2 commentaires

  1. t’a pas encore vus le Pet shop boys sautés sur les genoux de man or astroman, jamais? alors sort, et epele les noms mieux que ça, chagasse-

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