« C’est vrai que Kanye West vous a rencontré ? Comment il était Moebius ? Comment il était Topor ? John Lennon et Yoko Ono ont bien aidé à co-produire La Montagne Sacrée ? ». Voici les questions qu’Alejandro Jodorowsky n’arrête pas d’entendre à longueur d’interviews. Difficile donc pour le journaliste de fournir un entretien digne d’intérêt sur un artiste complet qui a presque tout connu du haut de ses 90 ans. Rebelle au corpus d’œuvres impressionnant et figure culte de la pop culture, le poète / réalisateur / auteur de bande dessinée / magicien / mime / romancier / essayiste franco chilien a ouvert ses portes à Gonzaï pour une interview fleuve, à l’occasion de la sortie de son dernier documentaire Psychomagie, un art pour guérir sorti en salles le mercredi 2 octobre dernier.

Depuis déjà quelques années, Alejandro Jodorowsky ne se contente plus d’utiliser l’art comme moyen d’expression mais comme moyen de guérison. Accompagné par Pascale Montandon Jodorowsky, sa compagne et moitié de leur duo « pascALEjandro », il rencontre des personnes de tous horizons désireux d’affronter leurs traumas passés par la catharsis artistique. On sait, on sait, dit comme ça, ça peut paraître perché. Et ça l’est ! Psychomagie offre une succession impressionnante de témoignages à vif auxquels l’auteur de la Danza de la Realidad alloue des défis thérapeutiques à la hauteur des peurs enfouis.
Au moment où la Cinémathèque française lui consacre une rétrospective XXL, une rencontre s’imposait donc avec ce pape génial du surréalisme, bardée de tarot, de chats, de spiritualité et de pets de Marlon Brando.

Résultat de recherche d'images pour "Alejandro Jodorowsky cinémathèque"Vous êtes sans doute l’un des artistes les plus libres ayant jamais vécu. Dans le tarot de Marseille, une carte vous symbolise bien : c’est le Mat. Elle n’a pas de numéro, elle souligne la spontanéité et la soif d’une nouvelle vie, si je ne me trompe pas. Vous reconnaissez vous dans ce personnage et ce symbolisme ?

Alejandro Jodorowsky : La tentation serait de te dire oui. Au commencement, quand on étudie le tarot, on s’identifie beaucoup à une carte et on en choisit une. Mais quand on connait bien le tarot, on sait que le tarot est un total. C’est comme si tu me disais « tu préfères ton nez ? Maman ? Papa ? Ton oreille ? Mon pied ? » Je te connais « complet », non ? Je m’identifie avec le tarot complet. Ca c’est la vérité. Mon esprit c’est le tarot complet. Chaque carte est une partie de moi. C’est ça, ma réponse !

Même si vous êtes originaire Tocopilla au Chili, vous vous êtes toujours défini comme n’étant pas rattaché à une culture, un pays, une religion voire même un domaine artistique ou l’argent. Vous êtes humain avant tout.

La même chose que pour le tarot ! Je ne me fractionne pas : je m’identifie à la Terre. Ma patrie, c’est la planète. Quand je ne serai plus là, l’être humain ira habiter sur d’autres planètes. Alors là, ma patrie, la Terre, va s’étendre peu à peu et sera la plus grande.

« La psychomagie, c’est un art sans producteur. »

Justement ! Comme vous n’avez pas d’attache, est-ce que la vraie base de la psychomagie c’est la liberté ?

Non, la psychomagie c’est l’art ! L’artiste doit être libre. Tout se commercialise. Même le théâtre se commercialise. Même la danse se commercialise. Parce qu’il y a un producteur. Quand on élimine le producteur, on est libre. La psychomagie, c’est un art sans producteur. C’est un art libre ; ce n’est pas une prison mais une ouverture à l’expression de l’inconscient. Généralement on s’identifie à la conscience, à la raison et on dit « moi, être rationnel et conscient, j’ai un inconscient ». Mais la plus grande extension de nous-même c’est l’inconscient ! Un peu comme l’immense partie immergée d’un iceberg. Le travail artistique consiste à creuser, creuser et creuser la frontière, la distance, la porte entre la conscience et le rêve. Développer les pouvoirs qu’a le cerveau. Nous possédons un cerveau magnifique : des millions et des millions de neurones. Mais on ne l’utilise pas au complet. Peut-être parce que l’univers a un plan pour nous et qu’il nous a donné le cerveau du futur. Peu à peu, on avance dans le futur vers les connaissances du cerveau. Je le vois comme ça.

Résultat de recherche d'images pour "Psychomagie, un art pour guérir"Est-ce c’est de cette quête de liberté que vous vient votre passion pour un animal aussi indépendant que le chat ?

J’aime les animaux parce que j’aime la vie. Quand j’ai commencé à aimer ma vie, j’ai commencé à aimer les plantes, les animaux, tout. Même les minéraux sont des êtres vivants mais ils fonctionnent plus lentement que nous. Quand j’étais chez les surréalistes, ils ramassaient des pierres. C’était pour eux des trésors ! J’avais un ami canadien, Jean Benoît, un surréaliste total, qui pouvait couper les pierres en deux avec une scie. Il pouvait trouver des pierres vivantes ou mortes. On s’est rendu compte que les pierres ont une vie. Plus lente. Même les montagnes bougent ! (Silence) Quelle était ta question ?

Pourquoi vous aimez tant le chat ?

Ah oui ! Pourquoi le chat ? Parce j’ai eu un traumatisme infantile. Mon premier grand traumatisme. Je devais avoir 5 ans et j’avais un chat qui s’appelait Pépé. Un chat gris comme celui que j’ai maintenant. Je jouais beaucoup avec lui mais mon père était une brute, tu sais. Il pensait que le chat allait me donner la tuberculose. Parce que je dormais avec lui et je l’avais tout le temps avec moi. C’était une relation formidable. Alors mon père l’a abattu au pistolet devant moi. Et cet évènement m’a suivi jusqu’à maintenant. Je ne peux pas vivre sans chat. Ce sera avec ce chat gris que je mourrai. J’ai toujours eu un chat mâle mais là c’est une femelle qu’on m’a vendu. (rires) Mais je l’aime tellement, je m’y suis habitué. Comme dans ma vie, je suis allé de femme en femme sans que cela corresponde à mon idéal et après 70 ans, je l’ai trouvée et elle est parfaite. J’ai trouvé mon chat en même temps qu’elle. Ça m’a pris du temps car ma mère ne m’a jamais touché. Avec mon père, ils formaient un couple toxique. Je ne savais pas ce que c’était la vraie relation amoureuse. Juste la relation sexuelle. C’est une différence ! Le sexe en amour est totalement différent du sexe pur.

Résultat de recherche d'images pour "jodorowsky chat yeux"J’adore la manière dont vous racontez votre première fois dans un bordel…

La propriétaire m’avait dit « on est plein mais allez dans le patio, peut-être que cette fille vous conviendra ». Alors moi je m’attendais à une star ! Mais c’était une femme modeste, une ouvrière qui m’a dit : «je fais ça pour compléter mon travail. » Je lui ai dit « Madame, je n’ai jamais eu de relation sexuelle et vous pouvez me traumatiser pour toute ma vie si je le fais mal. » Elle a compris. J’habitais moi-même un quartier ouvrier, où mon père tenait un magasin, car le bordel était au centre de la ville. Quelques mois après, j’étais à la porte du magasin et un groupe d’ouvrières passe. « Hé Alejandrito ! Pourquoi tu n’es pas venu me voir encore ? » C’était elle ! Elle se rappelait de moi ! Je ne savais pas où me mettre… J’avais peur que mon père entende !

Vous parliez du sexe… Dans la psychanalyse, Freud nous dit que quoique nous fassions nous sommes condamnés par notre passé. L’existentialisme dit que nous sommes totalement indépendants de notre passé. Dans les deux, le sexe a une place importante. La psychomagie inclut-elle cette donnée au cœur de son processus ?

On peut se libérer du passé et on peut travailler avec. Hollywood faisait des films formidables dans les années 30/40. Ils étaient sans couleur mais après ils ont été colorés. J’aimais beaucoup cette coloration. Je me suis dit : « la réalité dans la mémoire peut être colorée ». Dans tous mes romans, j’ai fait la coloration de mon passé parce que notre vision du passé n’est qu’un point de vue. Tu le mémorises comme un enfant, un adolescent ou comme un adulte. Moi qui suis un vieux, mon regard est devenu plus ample, plus compréhensif que tous les autres regards. Donc le passé, on peut le changer. Le passé n’est que ce que tu en interprètes. En ce qui concerne le sexe, j’ai étudié la constitution de l’être humain. C’est un corps qui a des besoins. Une vie propre avec le chaud, le froid, les organes, boire, manger etc. Tout ceci est un langage avec aussi des maladies, des tensions et des contractions. Par exemple, les personnes qui viennent de familles exilées de force ont parfois les pieds gonflés, des maladies de jambes. On a trois énergies : l’intellectuelle en haut qui fonctionne avec des images et des mots, l’émotionnelle au cœur qui se manifeste avec des sentiments d’union ou de séparation et la sexuelle en bas qui repose sur du désir et des sentiments de satisfaction ou de frustration. Freud a exagéré la sexualité. Jung a exagéré l’intellect. Ce qui n’ont pas touché, c’est le développement émotionnel. Il faut une force contraire qui puisse manipuler les besoins, les désirs, les émotions et les pensées. On peut l’appeler « âme », une énergie de compréhension qui connecte ces états. Ça va plus loin que la science. C’est de l’art ! L’art parle à l’inconscient avec un autre langage. « Je ne suis pas mes pensées : j’ai mes pensées. Je ne suis pas mes sentiments : j’ai des sentiments. Je ne suis pas mes désirs : j’ai mes désirs. Je ne suis pas mes besoins : j’ai mes besoins. Moi, je suis autre chose. Je suis le calice sacré qui contient tout ça. » La psychanalyse est limitée par sa nature scientifique en partant de la raison. La science prend les éléments et les interprètent : je fais l’inverse. Je pars du raisonnement et je le conduis à l’inconscient. Là, je comprends. Alors je peux utiliser le placebo, la métaphore, qui parle à l’inconscient.

Vous racontiez aussi la fois où votre père vous a dit qu’il n’y avait pas de Dieu, « qu’on meurt et qu’on pourrit ».

On possède une âme mais la société l’endort. Elle le fait grâce à « l’ego » qui est artificiel. On nous fait vivre dans l’ego qui est une déformation de l’âme, une prison de préjugés, de limites mentales. Les émotions changent, les désirs changent et les actions finissent par changer. Il faut réveiller l’âme pour comprendre qui nous sommes. Un chat a quatre pattes mais elles marchent toutes ensemble. Tu vois, on est comme un chariot tiré par quatre chevaux qui vont dans tous les sens. Il faut les unir. C’est ce type d’énergie que possède le Mat. Il est libre. Tous les chemins sont son chemin mais c’est lui qui choisit. Le Mat est un choix, celui d’arriver ou de partir.

Résultat de recherche d'images pour "jodorowsky psychomagie"Après ce traumatisme paternel, vous avez mis du temps à trouver votre âme ?

J’ai passé ma vie à me chercher mais je vais te dire une chose : on est dans l’ignorance absolu. Car on ne connait pas trois choses fondamentales : notre cerveau, notre corps et notre planète. Notre cerveau c’est le spirituel. On ne le connait pas, c’est un mystère avec ses millions de connexions. Notre corps, on ne connait ni lui, ni le mystère de la vie. Qu’est-ce qui fait battre le cœur ? Qu’est-ce qui l’arrête ? Qu’est-ce qui fait vieillir les cellules ? Notre planète est absolument inconnue car on ne connait pas les fonds de nos océans. Juste 7 kilomètres de profondeur et après il y a une pression et une chaleur terribles qui nous empêchent d’avancer. On a alors imaginé qu’une race venait de là, voire les soucoupes volantes issues du centre de la Terre, que des montagnes poussent à l’intérieur. On fabule mais on ne sait rien. On ne sait pas si la planète est un être vivant. On connait 1% de l’univers. Mon âme, c’est une recherche continuelle. C’est pas un artefact qu’on doit trouver. On ne doit pas devenir ce que les autres veulent qu’on soit. Je veux être moi et me sentir complet. Ca c’est pas possible car on est en formation, en gestation. Je crois qu’on a été des singes et regarde ce qu’on est devenus en si peu de temps… Pense aux changements à venir. Notre cerveau va se développer comme notre corps. On s’exprimera mieux et on s’adaptera mieux aux climats. On se libèrera de la gravité. L’humanité va évoluer !

« Il y a des gens qui vivent dans leur visage à coups d’opérations. Moi je suis authentique. Je n’ai pas d’autre image ».

On n’est pas encore l’être humain qu’on sera. On ne peut pas se trouver encore mais on peut s’approcher de soi-même. On m’a souvent dit que j’étais un « maître » : pas du tout ! Je suis un disciple absolu car je n’arrête pas d’apprendre, de me découvrir peu à peu. Je me suis pris comme objet d’expérience et je cherche à savoir qui je suis. Je suis « transpersonnel » : je ne me base pas sur mon ego. J’ai beaucoup de succès dernièrement mais mon ego ne gonfle pas. Il y a des gens qui vivent dans leur visage à coups d’opérations. Moi je suis authentique. Je n’ai pas d’autre image. Ca vient au bout de plusieurs années de persistance pour que mon esprit se matérialise et que ma matière se spiritualise. C’est l’idéal alchimique que j’ai appliqué.

Pour vous, il n’y a pas pire que le stoïcisme ? Le manque d’action ?

Les choses sont ce qu’elles sont mais ça m’ennuie « ne rien faire ». Maintenant, je fais tellement ! Je n’ai pas d’étiquette. Topor m’a dit « tu n’es pas un touche-à-tout : tu es un plonge-à-tout ». Car tout ce que je fais est profond ! Je n’arrête pas. Les dieux grecques vivaient dans l’Olympe. L’artiste aussi vit dans son Olympe mais il faut qu’il arrête d’être dans son nombril et qu’il sorte de l’ego. A ce moment-là, tu rentres dans l’horreur du monde et c’est ce que j’ai décidé de faire. Aujourd’hui, j’ai Twitter, Facebook et Instagram. Tous les jours, je donne deux heures aux réseaux sociaux. Gratis ! Dès que je peux, je fais mes tweets et peu à peu j’ai augmenté mon public jusqu’à 6 millions de followers. Je donne un grand sacrifice artistique, celui de la propriété. Sur Internet, lorsqu’il n’y a pas de droits d’auteur, on te le vole, on te copie, on t’insulte. On te hait aussi. Alors il faut résister et faire don de ta créativité au quotidien. J’invente des poèmes chaque jour mais ça disparaît le jour même pour laisser place à un autre poème le surlendemain. Comme le boulanger et son pain. Depuis 9 ans, j’essaie de partager de la philosophie et de l’art sur la toile. Pas de choses vulgaires. « Comment je mange ? Comment je pète ? » Non, pas des choses comme ça !

Je pense que vous pourriez nous fasciner sur la manière dont vous péter.

Ca me rappelle que Marlon Brando avait une collection pour hommes et pour femmes de ses pets enregistrés. Comme je ne copie pas… je ne ferai pas ça, aha !

« Lorsque je vais à Prague, je suis connu comme auteur de bande dessinée avec un attroupement de 800 personnes qui me demandent des signatures. Lorsque je vais aux Etats-Unis ou au Japon, je suis connu pour le cinéma. Lorsque je vais en Turquie, je suis plus reconnu pour la psychomagie et les livres ».

La psychomagie est une thérapie vue du dehors « brutale ». Certains diraient même « violente ». Votre art a toujours été violent. Je crois savoir qu’il y a quelques années vous souhaitiez faire une suite d’El Topo mais que les producteurs la trouvaient trop « violente ». Trouvez-vous que le monde s’aseptise et que ça tue les gens, ça les restreint ?

J’ai réussi à sortir la continuation d’El Topo en bande dessinée. Je suis en train de créer le « cinégraphique » : un film en cases. Ce que tu appelles « violence » j’appelle ça « énergie ». L’art a besoin d’énergie. Moi, à une époque, j’étais fou des films de samouraïs. Le bushido (le code d’honneur des samouraïs, ndlr) m’a beaucoup plu. Mais ces guerriers faisaient quelque chose que je n’aurai jamais : ils avaient un maître. Lorsqu’il ordonnait qu’ils se suicident, ils s’exécutaient. Chaque jour, le samouraï se maquillait avant de sortir de chez lui pour qu’en cas de décès, son cadavre ait un bel aspect. Il était prêt à mourir pour le maître. Moi, non. Je veux éliminer le maître ! Je serai un ronin ! Un samouraï sans maître, quelle idée formidable ! C’était des mendiants comme je le suis au cinéma. J’ai éliminé le producteur avec Psychomagie et je fonctionne avec le crowdfunding. Je suis donc un mendiant sacré. On m’aide à faire ma bataille.

Lorsqu’on vous aidait, vous nous envoyiez de « l’argent poétique ».

Ca peut valoir avec les années ! Si je deviens un mythe, cet argent vaudra beaucoup ! Il faut avoir la foi, il faut le garder.

J’ai pensé aux limites de la psychomagie durant le film avec le passage de la vieille femme misanthrope. Elle ne veut pas sortir de chez elle et à chaque fois qu’elle se blottit contre vous, elle ne comprend pas votre aide. Ce n’est qu’en l’emmenant dans un parc pour donner de l’eau à un arbre centenaire qu’elle se reconnecte au monde.

Elle ne donnait rien cette femme. Elle était enfermée sur elle-même. Elle répétait « j’ai donné, j’ai donné, j’ai fait la comédie toute ma vie ». Elle n’a jamais été elle-même. Je l’aimais. Pas de manière sexuelle, mais je l’ai aimé. Tu ne peux pas aimer si tu ne touches pas la personne. D’habitude je ne raconte pas ça parce que c’est très triste. Tu sais, même si j’ai réussi à la sortir et à nourrir l’arbre, ses enfants ont voulu faire un tour du monde quelques temps après. Ils ne pouvaient pas s’occuper d’elle et l’ont placé en maison de retraite. Cela devait être temporaire, juste le temps de leur voyage. Ils lui ont donné une petite chambre et ils ont vendu son appartement dans son dos. Ils lui ont tout pris et ne paient que la maison de vieux. Je suis venu la retrouver et je lui ai dit, comme elle connait bien le tarot, de distraire les autres gens qui attendent la mort dans ce bâtiment ou faire du théâtre avec eux. « Fais une activité spirituelle ». J’irai la voir au bout d’un an. Si elle déprime, elle va mourir.

Résultat de recherche d'images pour "jodorowsky tarot"Avec votre femme Pascale, comment avez-vous réalisé Psychomagie ? Parce qu’introduire une caméra dans votre thérapie pouvait être dangereux.

Pascale est tellement discrète qu’on l’oublie. On l’a fait ensemble avec une petite caméra qui était très efficace. L’un des producteurs, Javier, faisait le son et se faisait petit comme elle. Au bout de quelques secondes, les gens oubliaient. On n’illuminait pas, on faisait des pauses et donc les personnes étaient naturelles. Je disais à Pascale « ne filme pas, on va répéter » et elle filmait quand même, ah ah !

« Si tout le monde se bat pour gagner de l’argent, je vais me battre pour ne pas en gagner. »

Comme je l’ai dit plus tôt, vous êtes un homme aux multiples facettes et aux multiples talents. Après toutes ces années, prenez-vous conscience de l’influence énorme que vous avez sur la culture dans son ensemble ?

Je travaille avec le monde. Je l’ai fait en France avec plaisir mais j’ai aussi des fans aux Etats-Unis, au Japon et même en Turquie. Mais généralement, on me connaît pour une chose ou pour une autre. Lorsque je vais à Prague, je suis connu comme auteur de bande dessinée avec un attroupement de 800 personnes qui me demandent des signatures. Lorsque je vais aux Etats-Unis ou au Japon, je suis connu pour le cinéma. Lorsque je vais en Turquie, je suis plus reconnu pour la psychomagie et les livres. Maintenant est venu le temps qu’on fasse un livre sur ma totalité. Je ne me suis pas occupé de ça. On pense que l’artiste se rend compte de son influence mais on ne remarque rien. Je suis étonné ! On a fait des représentations à Lyon, Strasbourg, Montreuil et sur Paris à l’UGC. A chaque fois, les salles sont remplies en moins d’1h30-2h. C’est une surprise ! On refuse du monde ! Même la Cinémathèque est pleine ! Et il y a beaucoup de jeunes dans les salles pour voir El Topo, La Montagne sacrée et Santa Sangre ! Alors pourquoi ? Je ne sais pas. Avec ma femme, nous avons créé un artiste : pascALEjandro ! Désormais, nous vendons nos tableaux dans des musées car on a les meilleurs galeristes. Tu te rends compte ? C’est la folie ! Je produis tout gratis. Sauf la bande dessinée. Dès que le cinéma a été créé, ça a été une industrie. Le seul intérêt c’est de gagner de l’argent. L’hindouisme nous enseigne « pense à l’œuvre mais pas au fruit ». Tous les arts sont devenus des industries. Je me suis dit « si tout le monde se bat pour gagner de l’argent, je vais me battre pour ne pas en gagner ».

Résultat de recherche d'images pour "jodorowsky"Votre père avait une expression similaire et vous aviez suivi le credo contraire…

Oui : « tu dois acheter bon marché et vendre cher ». J’avais oublié ! Là, tu me le rappelles. J’achète cher et je vends au moins cher. Mais je l’applique aussi parce que je peux me le permettre. Je gagne très bien ma vie. Je suis arrivé à être tellement connu par les éditeurs que je n’ai qu’à leur vendre le titre. On me fait suivre le contrat et on m’avance tout de suite. Ils croient en moi car je n’ai jamais raté. Aussi je me bats pour l’honnêteté. On ne vole jamais. L’industrie est un monde de voleurs. Il n’y a pas d’honnêteté car l’homme honnête est un imbécile pour eux. Ils ont tous des avocats et il faut applaudir à celui qui trompe le mieux.

Cela vous a-t-il refroidi de conclure votre trilogie autobiographique au cinéma ?

Non, pas du tout ! J’ai déjà fait la moitié du troisième film. Je travaille avec un mécène au Mexique. L’histoire se déroulera à la fois là-bas et en France, une heure pour chaque partie. Celle du Mexique je l’ai mais si personne ne peut m’aider pour la partie française, je vais rallonger le passage mexicain et j’aurai le film.

Michel Seydoux ne pourrait-il pas vous aider ?

Je ne veux pas le déranger car je ne veux pas un producteur. Pour être libre.

Vous aviez des contraintes avec lui ?

Pas de la part de Michel, mais avec son secrétaire. Je vais te dire la contrainte : il a mis 2 millions de dollars pour La Danza de la Realidad. Moi j’ai mis deux millions parce que j’ai économisé vingt ans pour l’investir au cinéma. J’ai mis un million pour Poesia sin fin. On a fait un contrat et le secrétaire l’a rédigé de telle manière à ce que tout l’argent gagné par le film rembourse l’argent investi par Seydoux. Comme le film n’a pas gagné plus de deux millions, je n’ai pas gagné un sou. Le peu allait à Pathé. Il a raison car il a choisi la meilleure part mais ce n’est pas juste. J’adore Michel Seydoux mais il a organisé la chose comme une affaire. C’est la loi de la jungle l’industrie cinématographique. Un milieu de fauves, de voleurs et dans sa globalité, l’industrie est en train de détruire la Terre : elle est en train de tuer la race humaine.

Dans votre vie, il y a mille vies. Dans votre art, il y a le cinéma, la littérature, la peinture et la bande dessinée. Il faudrait que je me multiplie pour être Jodorowsky.

Tu dois être toi -même. Il faut vouloir être soi-même, pas même Dieu. Vouloir devenir un dieu c’est une folie, c’est de la paranoïa.

Le monde vous a tellement offert et vous a aussi tellement pris. Je pense à votre fils Teo, mort à 24 ans. Même avec l’aide de la psychomagie, y a-t-il des blessures qui n’ont jamais guéries chez vous ?

Je me donne des limites. La psychomagie, si elle se développe comme l’art qu’elle est, pourrait accomplir des choses immenses. Je me suis interdit de guérir des maladies. Si je guérissais le cancer, je serais milliardaire déjà. Je serais un charlatan, un industriel. Je ne soigne pas les maladies physiques mais je m’occupe des problèmes spirituels et psychologiques. Beaucoup de couples viennent me voir pour demander pourquoi ils n’ont pas d’enfant. Ça, la science ou la psychanalyse ne pourrait pas te le dire. « Pourquoi on ne peut pas avoir d’enfant ? » « Parce que vous ne voulez pas l’avoir » je leur dis. « Découvrez pourquoi vous ne voulez pas en avoir un et vous pourrez devenir parents. » Je ne suis pas médecin. Je ne soigne pas des maladies mais des problèmes. Pour le cancer, je dis « imagine que ce n’est pas seulement une maladie physique mais émotionnelle. Vois qui tu veux tuer ! Peut-être tu sauras qui tu es. » Sur moi-même, je me l’interdis aussi : jamais je n’utiliserais la psychomagie pour me sauver d’une maladie. Je ne fais pas ça pour l’argent, le pouvoir ou la gloire. Ça ne m’intéresse pas. Je vais peut-être disparaître bientôt : je dois aimer ce que j’ai là tout de suite. On est une partie du tout donc le tout est à moi. Et si le tout est à moi, la planète est à moi, la race humaine est à moi, les animaux sont à moi…

Psychomagie, un art pour guérir est en salles depuis le 2 octobre. La rétrospective Alejandro Jodorowsky à la Cinémathèque française s’arrêtera le 9 octobre prochain avec une diffusion de Poésia sin fin.

10 commentaires

  1. Pour pouvoir revoir un film de jodo a la cinémathèque en sa présence il faut un passeport et une autorisation ministériel ?car depuis notre lointaine province il est impossible d’avoir accès à ce genre d’événement c’est systématiquement complet et réserver pour la pseudo intelitgensia gentrifier bourgeoise bobo blanc hipsters coincé du cul

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