« Aladdin, ouais c’est moi et Gilbert Cohen » dit-il, « on a tout fait à deux, moi je fais des tonnes de guitares, des tonnes de trucs. C’est très drôle parce que Gilbert ne savait pas ce que c’était qu’une chanson avec un couplet et des refrains » qu’il rajoute, en tournant dans la pièce qui sent le parquet en bois et l’huile de friteuse, « et moi je lui ai fait découvrir toute la cold-wave, ça l’a passionné ». On croit qu’il a fini, mais Nicolas Ker n’est plus à un trou noir près, son corps continue d’aspirer les particules : « C’est très bizarre Aladdin, il n’y a aucune plage instrumentale, que des chansons, dont la dernière qui ressemble à un inédit de Unknown Pleasures. Mega darkos, quoi ». Et c’est ainsi que se conclue le speech de présentation du Docteur Folamour de Barbès. C’est encore l’hiver 2010 et il fait un peu froid chez Nicolas Ker, il réchauffe ses membres à base de cold-wave et de débit verbal saccadé comme une mitraillette. A ce stade, ne reste plus qu’à faire trois vœux et tirer une balle dans le radiateur. Cold rêve.

« Tiens, un nouvel article qui parle de Nicolas Ker » soupire le lecteur. « Oui, mais c’est encore pour un nouveau groupe, promis juré » répond-on d’emblée, comme pour s’excuser du nombre de papiers parus sur la nébuleuse Ker et ses satellites – Poni Hoax, Paris, Limousine, Black Devil Disco Club, Bosco – jamais à court de gravité. A vrai dire, il y a des jours où j’aimerais que le Jim Morrison des PMU échange la multitude de ses projets, ses featurings, contre des tickets à gratter. Que la chance lui sourie enfin, sur un hasard. Qu’il tire le gros lot tant mérité, à force d’avoir tant de fois tourné le dos au succès.
L’un des mérites du Ker brisé, comme de Taxi Girl hier et plus récemment Aladdin, c’est de tenter d’atteindre les sommets sans pour autant tout faire pour réussir. Poni Hoax rangé momentanément au garage pour de sombres histoires développées en note de bas de page[1], Ker continue son chemin vers le désordre avec au fond du placard une vieille utopie : enregistrer un disque qui serait l’ultime lettre de séparation, sorte de Here my dear[2] printanier pour faire sécher les larmes au soleil. La vie n’étant jamais aussi bien faite que lorsqu’on trouve encore plus désespéré que soi pour aller mieux, Ker – il vient de rompre – trouve sur son chemin le patron des disques Versatile – Gilbert Cohen, qui ah ben c’est un hasard, a aussi le cœur sur le carreau – et les deux de noyer leurs chagrins d’amour en troquant les paires de gifles contre des accords plaqués sur les synthés.

Inutile d’enfoncer le clou davantage, le lecteur lambda aura déjà compris que We were strong, so we got lost[3] prend de la hauteur en regardant vers le bas, subtile carte postale adressée au bonheur et ses souvenirs en porcelaine. La joie divisée, oui. Sur la pochette, une blonde s’illustre à l’arrière-plan, regard absent et iris absinthe, c’est l’ex de Ker qui, le temps d’un cliché, s’amuse de la mise en abyme d’un amour abîmé. Et le disque commence ainsi, sur un adieu prénommé Oh Oriane, morceau d’introduction en forme de goodbye Kleenex, léger comme une nappe de CASIO, pas vraiment new-wave mais cold, cold, cold ; c’est tellement froid qu’on n’entend plus que la voix congelée du Ker au loin, son écho fracassé sur le carrelage. On se réchauffe les mains comme on peut.


Bien évidemment, il y a tromperie sur la marchandise, faut jamais croire les chanteurs. We were strong, so we got lost n’est en rien une version moderne d’un Joy Division qui aurait troqué la bière anglaise contre le Pastis des comptoirs ou le rimmel post-industriel contre une recette aux peines de cœur ; en outre le disque n’est en rien pétri de plaisirs inconnus. Seuls dans leur studio à tripatouiller les machines pour en extirper de grands sentiments humains – amour, haine, rédemption – Mr Freeze et Monsieur (dé)Loyal parviennent à faire beaucoup avec bien peu – règle élémentaire du minimal – sans pour autant révolutionner l’art du désespoir en chanson. Où l’on apprend que le chanteur ne finira pas avec une corde autour du cou et que le magicien du studio ne sera pas retrouvé mort sous la console avec le nom de son ex dessiné dans le vomi matinal. Trop malins pour laisser trop de plumes dans leurs histoires respectives, Ker & Cohen parviennent à tout déverser sur douze chansons et – oh, sainte Catharsis – à retrouver des couleurs à force de tout chanter en noir et blanc. Reste un disque d’honnête f(r)acture avec, dans le miroir, un message de plaidoirie : AMOUR M’A TUER.

Voici venue l’heure de la conclusion, ce moment où les lecteurs vont délibérer pour savoir si We were strong, so we got lost doit fondre au soleil ou trouver refuge au congélo. A dire vrai, le disque est un peu long en souffrance, ponctué de quelques complaintes dispensables (Come to the fair, ça n’est plus une lettre de rupture, c’est du harcèlement). Et puis il y a tout le reste, fort heureusement, qui plonge l’auditeur dans les limbes : K-Maro et son groove cabossé, Little Girl did Lay et son chant de robot pédophile abandonné, Suicide Groove à la manière d’un Depeche Mode égaré dans l’underground londonien, Sun is on fire et son espoir à double face et double fond. Une vengeance à deux visages qui se mange froide, dans l’ombre de ce duo de seuls pleureurs. On peut bien évidemment se demander si sortir un disque cold-wave abyssal en plein mois de juin, c’est pas un peu comme tenter de vendre des parapluies en plein été. Les deux semblent avoir tranché : aux maladies vénériennes, les amoureux solidaires préfèrent la beauté vénéneuse. A chacun sa pommade, à chacun son i(n)solation.

Aladdin // We were strong, so we got lost // Versatile (Module)
Publi-réactionnel écrit dans le cadre des soirées Gonzaï, Aladdin sera à l’affiche de la Fear & Loathing du 23 juin avec Viva and the Diva et Control.


[1] Dans un premier temps signé chez Sony/Columbia pour l’enregistrement de leur hypothétique troisième album State of War, Poni Hoax voit subitement les portes de la major se fermer parce que le Directeur Artistique n’a officieusement plus les mains libres et le cul rivé sur un siège éjectable. La raison ? Le ratage commercial du dernier album de Yannick Noah, qui empêche toute nouvelle signature. Du Noah pacifiste qui vend la paix par camions entiers au Poni Hoax suicidaire qui rêve de chaos démocratisé, il y a effectivement un monde. En état de guerre, très justement.

[2] Disque désespéré et cynique enregistré par Marvin Gaye en 1978, alors en plein divorce d’avec Anna Gordy, sœur aînée de Berry, fondateur des disques Motown. Note à l’attention des lectrices de Glamour : ce n’est pas précisément le genre de disque qu’on emmène à la plage pour oublier ses kilos superflus.

[3] Titre fictif de la prochaine autobiographie de Dominique Strauss-Khan ?

3 commentaires

  1. Raaaaaaaaaaaah C’est le disque de la Douille de Nicolas ! A cause/grâce à La Douille (le chagrin amoureux de merde) j’ai chié « Baiser avec une boat-people » en 2008 avec Ania et le Programmeur…. Depuis j’ai retrouvé l’amour bon on s’en fout, j’ai pas de produits culturels à injecter dans la matrice….

    Première écoute zappée : j’aime surtout « A simple Game » mais je persiste à souligner dans l’indie-férence qu’il devrait chanter en français (promis je ne le dirais plus)

    Ce soir Opération 56 k à la maison des métallos (« la décence ordinaire » chez les hypeux j’ai pas dit « engagement »… ? Autant pisser dans un séquencer) 19 h (BYF)

    et pour Bester, un petit cadeau
    http://surtestripes.blogspot.com/2011/05/les-20-regles-elementaires-du.html

  2. Au contraire des disques que j’ai fait avec Paris ou Poni Hoax ou que Gilbert a fait avec Château Flight, celui-là est malade. Le deuxième sera certainement différent, plus pimpant. Déjà on va aller l’enregistrer aux Antilles avec le nouveau membre du groupe: Jeff le freakos. C’est intéressant les disques malades (en plus c’était tout de même le sujet). Paradoxalement nous avons beaucoup ri avec Gilbert en studio, j’ai rarement vu une telle paire de golios en activité.

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