A l'écoute de « A Heart Full Of Sorrow » - dernière sortie haute énergie de chez Born Bad, pas évident de cerner le personnage nommé Yussuf Jerusalem aka Benjamin Daures. On l

A l’écoute de « A Heart Full Of Sorrow » – dernière sortie haute énergie de chez Born Bad, pas évident de cerner le personnage nommé Yussuf Jerusalem aka Benjamin Daures. On laissera volontiers les professionnels du name dropping érudit pinailler sur les références (cf : Mark Lanegan, Rocky Erickson, Syd Barrett, Jay Reatard, Joy Division, la Bible Belt gothique à la Cormac McCarthy, on m’aura tout dit) pour monter directement le volume et laisser Multicolor, le titre, s’échapper d’un cauchemar d’Hope Sandoval. On peut voir ça comme ça, après tout.

Ecoute-il la pseudo nouvelle scène parisienne disparue ? Met-il du Rimel en concert pour faire croire qu’il est intérieurement hanté par un démon de Lovecraft ? Mange-t-il normalement ? Par quoi faut-il passer pour pondre tel machin country bizarroïde couché sur ressorts d’amplis réverbérés comme ce The One You Really Want réellement addictif ? Dans une société idéale, le premier titre We Ain’t Coming Back pourrait même cartonner en radio (en quoi ? ? ?), mais à quoi bon ? Et puis, quel studio normalement équipé en bon sens a pu laisser notre homme enregistrer ce qu’il voulait ?

Bon, que les paisibles amateurs de hi-fi aillent se faire engluer par les Besnard Lakes, ici, on ne plaisante pas avec la distorsion et cet album en est rempli jusqu’à la gueule ; ça crachote, grince, vibre, c’est une ode à la gueule de bois, aux ruptures amicales ou non, ça en raconte plus sur la vie que n’importe quelle drouille folkeuse dont les bars parisiens sont friands, ces poireaux polis… « Paris la nuit c’est fini », entonnent les ânes ? Rien du tout, archi faux, il s’en passe de ces choses, suffisait de sortir…
Mis à part le fait que « A Heart Full Of Sorrow » soit un disque à acheter sur le champ pour qui exige de la moelle sous l’os, c’est un album court (26 minutes tout au plus) qui ne se range pas. Au contraire, il pourrait devenir peu à peu le confident spécial d’une race d’insomniaques cueillis au matin dans le caniveau, une dague au cœur.

Si le gars se laisse facilement convaincre d’une entrevue dans un bistrot de Château Rouge, il n’en est pas de même pour le baragouin. D’ailleurs – et il l’annonce volontiers une mousse en main – les interviews formelles, c’est pas son truc. Cependant, pas bégueule pour un rond et encore moins autiste, la nouvelle signature Born Bad que les sourds prendront pour un nouveau Jay Reatard en plus rugueux, est comme on l’imagine : normal, paisible, avenant, en plein boulot (statut vérifié, il répare ces cochonneries de Vélib à longueur de journée). Assez éloigné donc de l’imagerie dark-mec-cinglé-enregistrant-seul-dans-son-corridor-étroit-parsemé-de-piques-médiévales que la pochette du disque laisse présumer ; quoique… Précisions :

On enregistre où quand on s’appelle Yussuf Jerusalem ?

Yussuf: N’ayant pas assez de préamplis valables et de micros sous la main pour tout balancer live, j’ai enregistré seul dans mon coin sur un 8 pistes Tascam à cassette. L’idéal serait bien sûr d’en chopper un à bande mais…

A la fin du disque, il y a une minute de silence totalement détruite par un morceau dément, « Gilles De Rais » !

Yussuf:  En fait, l’album était déjà disponible aux Etats Unis en 2008 sur le label Floridas Dying avec un track listing totalement différent. Alors que justement c’était le morceau d’introduction dans le pressage US, le strict tracklisting que j’avais conçu à la base ; cependant JB de Born Bad voulait autre chose en ouverture. On s’est mis d’accord sur We Ain’t Coming Back, histoire de ne pas faire fuir tout le monde dès les premières notes.

Ça sort en vinyle ?

Yussuf:  En vinyle oui, mais pas que. Le premier pressage oui, en K7 aussi pour la tournée aux Etats Unis. Des cds, j’en ai plein, mais bon…

La rencontre avec Born Bad ?

Yussuf: Au départ, je connaissais JB de vue, surtout de réputation, mais tu sais jusqu’à l’été dernier, j’étais guitariste dans Jack Of Heart, groupe qu’il a également signé et puis dans les Creteens, mon premier groupe punk sale…

Vous vous êtes notamment fait remarquer à Strasbourg…

Yussuf: Ah ouais, par le biais de Seb Normal on a pu faire quelques dates au Molodoi, dans le club mythique du Zanzibar ; sur une péniche aussi… à Strasbourg il y avait des gens concernés et un excellent magasin de disques coincé dans une ruelle où le mec ne passait que du métal extrême, des trucs pas possibles (Diabolus In Musica, aujourd’hui remplacé par… un coiffeur, nda). On ne jouait pas dans les « salles de musique actuelles » hein. D’ailleurs avec Yussuf Jerusalem on prévoit de faire une tournée en Europe de l’est – Serbie, Croatie, Slovénie, etc – pas forcément pour jouer comme des malades, peut être plus pour voyager. Pour l’anecdote pourrie je me souviens qu’on s’était entièrement fait piller le camion à Rome avec Jack Of Heart : 6 guitares, tous nos sacs, l’ordi.. Et tout ça devant un poste de police !

Rome ville ouverte !

Yussuf: Maintenant, je dors dans le camion.

On nous rabat les feuilles avec la crise du disque et toi, comme ça, tu en sors un?

Yussuf:  Bof non, je ne me pose pas la question. En fait j’ai commencé j’avais 15 piges, j’ai acheté une basse et trois mois après j’enregistrais un disque avec mes potes, voilà. On m’a demandé « ça te dirait de faire un 45t ? », tu parles si j’étais content ! Jamais démarché qui que ce soit, jamais rien fait en ce sens, je joue parce que ça me fait marrer et puis, ça serait trop déprimant de ne pas le faire. Les disques, les groupes, impossible de m’en passer, c’est important. Bon, maintenant j’ai un boulot fixe mais avant… Exemple : la dernière tournée effectuée, me suis barré 3 mois de mon taf sans prévenir personne ; quand je suis revenu j’avais reçu un avertissement pour 4 JOURS d’absence. Z’ont rien capté ; m’enfin, de là à engranger tous les jours… Le boulot pour moi ça aide à vivre, à pouvoir aller boire des coups au bistrot, à réparer son ampli en rade.

Tu joues sur quoi ?

Sur un Fender Deluxe Reverb avec ma Strat. Un os aussi que j’ai acheté 40 $ dans le Tennessee, une Harmony sunburst 60’s à coté de Memphis pendant la première tournée US, embarqué par Jeffrey Novak (un Kevin Ayers US et lettré, signé entre autre chez In The Red – nda) dans un magasin au milieu de nulle part où le proprio répare ses choses à longueur de journée, ce vieux briscard a de ces trésors… La mienne est impossible à accorder correctement comme on se doute, mais ce son ! Je me dis toujours que c’est pas plus mal de se faire la main sur ce genre de râpe ; dès que tu passes sur un vrai modèle, eh, ça vole !

En effet. Bon, flicaillons qu’on est, quels sont tes disques de chevet ?

Yussuf: Des disques, des disques… Au départ j’étais vraiment branché garage punk, tous les dégénérés, les Oblivians, ces trucs là, grosse période ! les sixties bien sûr… j’écoute aussi pas mal de blues, Skip James, les grands du Delta, la clique de chez Fat Possum : T Model Ford vu en concert, génial ! Et puis… Beaucoup de métal ; les gens ne comprennent pas mais… le black métal tiens ! Bon, pas celui des magazines, pas le symphonique à jabot non, plutôt toute cette frange souterraine s’enregistrant sur un 4 pistes K7 ; polonais, serbes, bulgares, des trucs bien craignos qui sortent de la forêt quoi. Du stoner aussi. J’aime beaucoup Sleep, l’album Dopesmocker, un double Lp, un morceau par face, tous ces machins à la Electric Wizard, St Vitus, du doom à lampes… En ce moment je me fais une grosse session de Creedence et le T-Rex pré-glam avec le mec aux bongos.

Kevin Ayers ? Le morceau – interlude Jihad me faisait penser à son Irreversible Neural Damage avec Nico.

Yussuf:  En fait, c’est Valentin le bassiste de la formation scénique qui l’a pondu lui même. Le seul truc que je n’ai pas enregistré, je trouvais ça marrant… Eh, on a oublié plein de choses : le rap ! Dj Screw, un fondu texan sous codéine qui ralentissait tout, les beats, les voix ! Le gars est mort à l’heure actuelle. Sans blague, un disque qui m’a vachement marqué c’est celui de Rocky Erickson avec les Aliens, celui de 1980 produit par Stu Cook de Creedence, un truc pas possible. Toujours été fan des 13th Floor Elevator, mais cet album là… jamais pu décrocher ; d’ailleurs je l’ai vu en concert aux States en octobre 2009 et il a joué TOUS les morceaux de l’album, fabuleux ! Ca et Dead Moon de Portland embarqué par ce cinglé de Fred Cole, lui qui trafique des groupes depuis les 60’s ; encore un mec parfait.

Tu vas souvent traîner là bas ?

Yussuf:  Yep. L’année dernière, je suis parti 2 mois en concert avec Yussuf, un mois avec Jack Of Heart, avec les Crusaders Of Love – groupe génial de Lille, un mois avec Brimstone Howl (du Nebraska, signé chez Alive, label High Energy ! !), un excellent groupe avec lequel j’ai adoré jouer.

La question bête : on te compare à Jay Reatard, ton avis ?

Yussuf:  Sais pas. Je l’ai connu ici quand il est venu jouer avec les Lost Sounds, truc que j’ai écouté pendant des heures. Il était en day of à Paris et ne savait pas vraiment ou dormir, c’était l’hiver et je l’ai tout simplement invité chez moi. L’été suivant je partais aux USA en croisant de temps à autre toute sa clique à Memphis. Alors oui, pour les Creteens l’affiliation avec les Reatards je comprends, mais maintenant… C’est assez éloigné de ce que je fais non ?

Et les films, parlons des films !

Yussuf: : Ouais, depuis que je suis minot j’en bouffe à la pelle. Mon père bosse en médiathèque alors tu peux imaginer. Ceux de Jarmush ; suis pourtant pas trop fan de Tom Wait mais Down By Law reste assez marquant. Les films de zombies, tous les Roméro. Tiens, voilà un genre qui me fout les jetons au premier degré ; avec ma frangine on branchait une sorte de décodeur Canal + et on restait là à matter ces monstruosités, complètement flippés ! Attends, le film que j’ai dû regarder 20 fois c’est Conan le Barbare ! Le premier, hein, pas confondre avec la suite merdique. J’ai lu les bouquins d’Howard, ces gros pavés… Et les bd, énormément, l’heroic fantasy que les gens considèrent comme un style mineur, voire pire, alors que – sans rentrer dans le détail –  y a vraiment des perles immanquables. Beaucoup de SF évidemment… J’aimerais bien trouver d’ailleurs les vieux numéros de Métal Hurlant ; chaud ça.

Si on tape Yussuf Jerusalem sur Youtube, on peut voir un clip de With You In My Mind, reprise surprise de Marianne Faithfull avec des images stroboscopiques d’Aleister Crowley, tout le bestiaire de la Golden Dawn, pentagrammes et colifichets inclus. Fait exprès ?

Yussuf:  Ah non, n’y suis pour rien, je ne sais même pas qui l’a fait. Un type m’avait envoyé un mail après notre deuxième concert qui lui avait plu, c’est tout. En même temps, c’est vrai que j’aimerais bien m’essayer aux clips, tout monter, expérimenter, ça c’est intéressant. Bon, quand je serai au chômage hein.

Une bière de plus et c’est le retour au trottoir. On fuit derrière nous la meute hurlante accrochée au poste TV du bar, match de foot oblige pour retourner sur le trottoir. Moment pour Benjamin de repartir au charbon, réparer ces foutus vélib et, qui sait, de bricoler encore et encore sur son 8 pistes, des morceaux que personne n’a jamais entendu, jusqu’au prochain disque…

Yussuf Jerusalem // A heart full of sorrow // Born Bad
http://www.myspace.com/ridersofallah

Yussuf Jerusalem sera en concert le 2 juin au Trabendo dans le cadre de « La Villette Sonique »

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