En général, les chroniques de film sont suffisamment insipides pour qu’il suffise de laisser glisser le doigts en bas du papier pour cliquer sur le teaser, histoire de se faire un avis en remerciant au passage le type qui a perdu 30 minutes de sa vie sur un papier que personne ne lira. Avec le cinquième essai de Quentin Dupieux, l’affaire est un peu plus complexe. Parce que le type derrière la caméra n’est pas vraiment un réalisateur, parce que « Wrong Cops » n’est pas vraiment un film. Et parce que cette chronique n’en est pas vraiment une.

Ecrire sur un disque qu’on a écouté, sur un film qu’on vient de voir, c’est à la portée du premier venu – la preuve – et les longs métrages de Quentin Dupieux ne sont pas une exception. Ca, c’est pour la théorie. Car en pratique, décrire l’expérience – bonne ou mauvaise – d’un film de Dupieux s’avère difficile, voire impossible. Allez raconter à vos parents comment vous avez vu la vierge l’autre nuit en nuisette, et pourquoi l’album de Fauve vous a donné des sueurs (peut-être penser à consulter un généraliste ?)… Bref. Voyez comme ça s’annonce corsé.

Et puis il y a la pollution environnante. Depuis la sortie en salles de Steak[1], on a vu tant de superlatifs se bousculer au portillon qu’on est un peu blasé de lire partout que le réalisateur au physique d’ivrogne pond des « OVNIS filmiques » qui flirtent avec le non sens – unique – des Monty Python, et que ses scenarios ressemblent à une blague potache de collégien attardé. Tout cela est vrai, bien sûr. Mais une fois qu’on a dit ça, on n’a pas dit grand chose. Pour ceux qui n’auraient pas la force de tenir jusqu’à la fin du papier, passons au teaser.

Aux autres qui trouveraient la filmographie du Dupieux suspecte et qui n’en pourraient plus de ses synopsis-sketch à base de pneu tueur (Rubber) ou de type qui a perdu son chien (Wrong, adaptation ciné du Mirza de Ferrer ?), il faut d’abord rappeler qu’après cinq films, l’œuvre parle pour elle-même. Ou plutôt, bégaye. Puisque chez Mr Oizo, le cinéma tire sa force de la répétition, que tout tient sur le comique de situation, le dérèglement des pendules, tous ces petits riens de la vie quotidienne que le réalisateur démonte comme des meubles Ikéa ; c’est à dire avec de petits moyens, et donc de grandes trouvailles bricolées par un cerveau malade. Que cela exaspère les esprits les plus rugueux, réticents à l’idée qu’un film puisse tourner à l’envers, ça se comprend. Quentin Dupieux ce n’est pas Eric Rohmer et vous n’êtes pas en train de lire Télérama. Mais là encore, rien de neuf sous le soleil. Changeons de paragraphe pour pitcher Wrong Cops :

Los Angeles 2014. Duke, un flic pourri et mélomane, deale de l’herbe et terrorise les passants. Autour de lui, un chercheur de trésors ; un obsédé sexuel ; une femme flic maître chanteur ; un borgne difforme se rêvant star. A la fin, on voit une biche dans un cimetière.

Voilà. Wrong Cops c’est juste ça ; ça tient largement sur une feuille A4 recto, police 30. En soi, c’est un énorme foutage de gueule tourné avec les moyens d’un épisode de Plus belle la vie. Il y a là toute la science du hold-up et du low budget maquillé en grosse production dans un milieu bourgeois – le monde du cinéma – où l’argent coule encore à flot pour masquer les pastiches d’idées, les pastiches de scénarios finis à l’urine ; et le tout servi avec des petits fours de chez Fauchon par des attachées de presse serties de jeans aussi minces que leurs quotients intellectuels. Rien que ça mériterait qu’on érige une statue à Dupieux, 50% matière steak, 50% matière pneu.

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Pourtant, le scénario de Wrong Cops, du moins sur le papier, a de quoi laisser perplexe. Surtout après le pénible ratage de Wrong, faux film marrant bien en dessous du jusqu’au-boutisme de Rubber, preuve qu’après avoir été très loin Quentin s’était peut-être un peu perdu. Surtout que ce cinquième film, comme tous les autres, joue la carte, de l’anti-héro transbahuté dans un monde hypernormal. Ca commence mal.

Mais ça commence fort. Première scène, extérieur jour : un flic salement adipeux (Mark Burnham) refourgue de la dope à un gamin mexicain, cachée dans un rat mort. Un peu plus loin, un client du même flic (Steve Little, brillant dans le rôle du pignouf perdant) subit le chantage d’une autre flic et se voit obligé de troquer le pognon trouvé dans son jardin contre une revue porno homosexuelle où il apparait en petite tenue en train de subir un acte anal, un peu plus loin encore, Eric Judor aka Rough tente de se faire signer dans une maison de disques avec un titre dégueulasse, avec à côté de lui un macchabé qui refuse de crever. Vous ne pipez que dalle à cette histoire ? C’est normal. Parce que justement, rien ne l’est. Satyre des forces de l’ordre passées du côté obscur et préférant se démonter la tête plutôt que de résoudre des homicides hyper glauques, Wrong Cops est un chef d’œuvre inexplicable. On y retrouve le quota d’absurdité nécessaire, des guests improbables comme Marylin Manson dans le rôle – génial – d’un ado américain lobotomisé par le beat, toujours Eric Judor, incarnant cette fois un flic mélomane avec une bosse de la taille d’une balle de golf sur le front, et tous un tas d’autres scènes telles qu’on n’en trouvera jamais dans les meilleures productions de Thomas Langmann. A ce stade, seul le Atomik Circus (2004) des frères Poiraud semble pouvoir tenir la comparaison niveau dérapage.

IMG_0271Le soir de l’avant-première sur les Champs Elysées, l’ambiance surréaliste des films de Dupieux plane dans la file d’attente. On croise Pedro Winter qui fait la queue comme tous les monde et s’extasie devant les petites cartes confectionnées pour l’occasion, Gilbert Melki qui fait le pied de grue sur son fauteuil à cinq mètres d’Elodie Bouchez, toute une faune d’étudiants en école de commerce qui donnent l’impression d’être venus s’encanailler avant la murge du samedi soir ; et les discussions d’avant-projection sont dignes des pires open space d’agence de com’. Le public du réalisateur, comme ses films, est difficile à décrire. Alors qu’il monte sur scène avec Judor pour présenter Wrong Cops, lui même semble s’en étonner : « putain y’a pas une gonzesse dans la salle ! ». Rires gras. Judor rajoute : « Et je tiens à préciser que le type sur l’affiche, c’est pas moi ». Rires gras. « Ce qu’il oublie de vous dire qu’il fait la remarque très sérieusement, précise Dupieux. Re rires gras. « En fait, je suis un peu ta muse réplique ‘’Fat’’ Eric [il a joué dans 3 des films de Dupieux, NDR], je suis ton Audrey Tautout ». Et ça continue comme ça pendant cinq minutes, les Beavis and Butthead présents dans la salle sont aux anges, ils sont venus voir un film décalé et semblent prêts à tout pour rire de n’importe quoi. Mais qu’on ne s’y trompe pas. Derrière cette grande mise en scène de l’absurde, Wrong Cops est un film essentiel, certainement le plus abouti de tous. Parce que début et fin semblent interchangeables, parce que de fait il n’y a pas de fin ni de début, et donc pas vraiment de film. Sur le trottoir, après la projection, une bande de jeunes s’interroge : « putain, j’ai rien compris, c’était pas terrible ». Retourne à tes études de marketing international, pauvre sot, laisse les vrais fous remettre le monde à l’endroit.

Quentin Dupieux // Wrong Cops // En salles le 19 mars

http://www.wrongcops.com/

 

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[1] Que l’histoire retiendra comme le grand film français absurde des années 2000, vue subjective évidemment.

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