Traverser la France de haut en bas aller et retour ; dans toute sa longueur comme on le ferait pour s'ouvrir les veines. La blessure n'en est que plus évidente : l'époque n'a pas

Traverser la France de haut en bas aller et retour ; dans toute sa longueur comme on le ferait pour s’ouvrir les veines. La blessure n’en est que plus évidente : l’époque n’a pas le temps de s’arrêter pour l’art. Ou sinon c’est un refuge, un bandeau que quelques angoissés apposent à leurs regards pour s’isoler des réalités de notre monde. Traverser la France du nord au sud pour ne rendre compte que d’une chose : touchez ce pays du bout des doigts et il sonne malheureusement vide.

Le samedi 4 Juillet ; jour de mes 22 ans. La poussière s’élevait dans l’air dans un nuage opaque, habillant d’une aura mystique la scène du Willstock festival. Les musiciens sont des statues de chair érigées à la gloire des esprits du passé. Hallucination prométhéenne (luciférienne ?) que nous poussons au plus profond de notre esprit à grand renfort de cris et de liqueurs alcoolisées. Nous voulons que le miracle se produise et nous sommes à deux doigts de toucher notre exutoire. Certaines vérités sont vérifiables à bien des endroits. Le fait que les Crow (& Deadly Nightshade) soient capables de faire pousser des épines dans les reins de ses auditeurs ne fait aujourd’hui aucun doute. Ils ont la sauvagerie du mustang contrôlée par les grands dresseurs ancestraux. Sous le fouet de cette musique puissante et christique, ce sont des ailes qui nous poussent ; des crocs. Si seulement ce groupe avait l’envie et le courage de s’avouer, de poser sa musique sur un disque et dans un label. Il pourrait bien être l’une des meilleures choses arrivée à ce pays depuis… depuis quoi d’ailleurs ? Leurs chansons sont taillées pour aller narguer la frise du temps et la carte de l’espace ; se mesurer au plus grand groupe électrique de confession américaine. Ce n’est plus une simple intuition : c’est une évidence poussée comme un cri.

Coincés entre une forteresse de pierre et l’immensité de la mer, les 10 jours qui ont suivi le Willstock ont constitué une aventure dans les tréfonds d’une famille intellectuelle française. Un encyclopédiste, un journaliste littéraire et des professeurs de lettres disposés dans le cadre sauvage du cap corse : végétation hostile, bêtes rodant dans des rues de pierres escarpées, chats au regard dégénérés, vent mortel soufflant sur une méditerranée aussi belle que menaçante… Une vision ensoleillée de la Transylvanie vue par Brian Stoker. L’alchimie de tous ces éléments a mis en évidence la chose française : notre angoisse du futur. Leurs discutions à table ne tournaient qu’autour du déclin de notre civilisation. Un déclin de nos valeurs, la fin d’une religion, la fausse route que nous avons fait sur la femme depuis des millénaires. Une angoisse prononcée, badigeonnée de références classiques et oubliées du commun des mortels. Ici, à la lumière de toutes ces pensées synthétisées, il n’apparaît qu’une évidence : nous allons vers la chose sombre. Le sens de notre vie pourrait se résumer par cette phrase de Gérard Manset : « je fais ceci pour voyager dans un monde où tout est en train de disparaître ».

Bien qu’il me soit difficile de rentrer exactement dans la pensée d’une famille de souche Corse au fort passif royaliste, le mois de juillet 2009 semble bien offrir un désarroi quant à la décennie qui va être entamée. De retour à Paris, il me semble évident que notre quotidien va connaître de forts changements. Je me mets à imaginer une vie sans électricité, dans des communautés non consuméristes où chacun ne ferait que remplir son rôle pour le bon fonctionnement d’une micro société. Pourquoi pas après tout. Pourquoi pas si cela n’annonçait pas que l’on ne pourrait plus jamais brancher une guitare. Et la brancher pour quoi faire après tout ? S’il nous est désormais impossible de chanter le mythe urbain, la fougue de la jeunesse et l’irresponsabilité de nos héros modernes. Mais le chanter pour qui ? Quand cette génération chérie est mutante ; ces jeunes de moins de 20 ans ayant nettoyé le rock de sa naphtaline sont en train de l’enterrer à nouveau. Retro Futuristes les enfants ! Quand le premier groupe de racaille à blousons en cuir n’est en train de jurer que par CTI et que le plus jeune écrivain à foulard se penche sur Haruomi Hosono… ils ont ringardisé le rock de nouveau. Une génération créant sont pire cauchemar.

Samedi 4 juillet, jour de mes 22 ans, alors que nous étions en plein essai de tir avec un arc fabriqué de nos mains, le capitaine mucha Dick et nos amis ne pouvaient que constater qu’il n’y avait pas beaucoup de LSD dans les buvards qu’ils avaient ingurgités. Les Rebels of Tijuana ont été le seul groupe à foulards du festival. Crossover parfait entre les Jams et les chaussettes noires. Un genre de High School rock & roll joué avec cette débilité contrôlée de vieil ado. Alex Kacimi y crira « You Fuck My Son » pour le final sur des Twist parfaits, désirant nous faire danser au plus vite. Et ce, fait pour l’amour de la vitesse.

Graham Neill et son concert Chicago blues pépère. Sans folie, où seul le final sera joué en slide… tout ceci nous rappelle que même les noirs américains n’écoutaient pas vraiment les bluesman du bayou. Ceux dont la musique est comme une chair dépecée, au rythme boiteux et à la voix aveugle.

Mais tout cela n’a que peu d’importance : nos initiatives sont des châteaux de sable dans cette époque où plus rien ne semble nous appartenir. Quand on a vu les maquis de la corse arracher nos chairs et la mer tuer un homme ; quand les lecteurs de Léon Bloy ont bu la dernière goutte de son eau noire, l’ayant poussé jusqu’au désespoir… La cohérence nous manque. La force de caractère nous manque. Il faudrait que les gens restent enfermés chez eux pour acquérir assez de colère afin de faire quelque chose de grand.

J’ai en fait très peur de ne plus jamais pouvoir brancher ma guitare.

 

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