Il était un peu plus de 5h00 du matin ce dimanche 24 avril à Abidjan lorsque Papa Wemba s'est effondré sur scène alors qu'il participait au festival des musiques urbaines d'Anoumabo. On l'avait croisé en novembre dernier pour évoquer sa carrière, Mobutu et la vie des fantômes. Il donnait alors une conférence pour la Red Bull Académie à la Gaîté Lyrique.

La première fois, c’était dans un restaurant, rue Philippe de Girard, à deux pas de Marx Dormoy dans ce que l’on appelait alors l’Afrique à Paris. Je n’étais pas accompagné de feu Jean-François Bizot mais de l’un de ses protégés, Achille N’Goye, écrivain Zaïrois exilé à Paris qui était alors mon guide dans la découverte de la Rumba Congolaise. On devait être en 1996, Wemba s’était fait un nom après avoir assuré les premières parties d’une grosse tournée de Peter Gabriel. Après, surtout, qu’un Martin Meissonier a retransposé le roots du départ en quelque chose d’écoutable par les oreilles occidentales de l’époque. Wemba créa d’ailleurs pour l’occasion une seconde formation, Molokaï, qui allait le propulser chez l’ange Gabriel et son label « real world » ; quelque chose entre jazz et New wave qui faisait de lui une sorte d’Afrika Bambaataa de la francophonie. À la fin de ces années 1990, j’écoutais plutôt Franco et le OK jazz et trouvais alors Wemba dans ma condescendance pète-sec « un peu trop variété », ne comprenant pas pour le coup que je ne l’écoutais guère parce que j’en étais simplement incapable. C’était mon Afrique à Paris, souvenir de la maison des morts. Une époque où l’on croyait dur comme fer à la malédiction de l’homme noir abonné à la dépendance économique et la misère endémique. C’était avant que le continent ne commence à produire des taux de croissance à 6 ou 7% par an. Avant que l’on ne comprenne que, bientôt, très bientôt, il y aurait beaucoup plus de Nigérians sur terre qu’il n’y a d’Américains. Avant, bien sûr, que le Zaïre ne finisse par s’appeler République démocratique du Congo.

Retrouver Wemba aujourd’hui, l’entendre reprendre toute l’histoire face aux jeunes recrues de la Red Bull Music Academy, a été assez instructif et m’a permis de reprendre langue avec mes allées et venues dans ce restaurant, toutes ces bières et ces poulets au citron, ces jeunes femmes cordiales et presque célibataires. Et Achille dans l’écriture de ses séries noires qu’il vendait alors au compte-gouttes. Au-delà du spot Nova et de sa sympathique Kolpa-kopoulerie, j’étais finalement toujours resté dans une optique bien rock’n’roll, envisageant la guitare zaïroise comme une sorte d’écrin du blues, une transe qui nous emportait au cœur de la musique noire. Et d’ailleurs, les grands concerts organisés au Zaïre, la venue de Mohamed Ali pour le mythique combat contre Georges Foreman en 1974, tout cela confirmait l’histoire, l’évidence que le clip de Petite Noir redit à sa manière. Ne pouvoir en être vraiment, c’est l’évidence. Ne pas filmer de trop près et en même temps être là : capter quelque chose de ce pur trésor.

C’est bien sur ce terrain que l’animateur de la Red Bull Academy a voulu entraîner Wemba, par petites touches, sans voir immédiatement que l’autre ne comprenait pas trop ce qu’il y avait d’extraordinaire là-dedans. Extraordinaire ? Peut-être, une fois cette expérience de lévitation dont il parle brièvement pour redire qu’à un moment il a rencontré les esprits. Là, oui, c’était extraordinaire et ça a carrément changé sa vie. Le reste… À la différence de N’Goye, Wemba n’a pas voulu mettre le nez dans la politique, prendre le risque de se faire écraser, ou « tomber accidentellement de sa fenêtre en voulant réparer un volet », ce genre de choses. Peut-être l’amour de la musique était trop fort, peut-être, comme il le dit lui-même, il ne peut pas « entrer dans ces considérations vu qu’il ne reçoit ses ordres que de Dieu ». La Gaîté a beau être « lyrique » à Paris, là où nous étions alors tous entassés, il me semble que c’est quelque chose qu’on n’avait peut-être pas entendu depuis les croisades.

La world music de la fin des années 1980, celle d’avant la rétraction identitaire, celle de David Byrne, de Paul Simon, de Manu Dibango, a sans doute été un moment de révélation du même type, une sorte de lumière qui a éclairé les esprits tout en les aveuglant, en nous rendant incapable de comprendre ce qui se passait vraiment. Pas du tout la révolution mais une simple et ultime éjaculation venue des années 1960 (un truc qui vient de loin certes mais qui, pour un Wemba, n’aura été qu’une péripétie dans un travail permanent d’adaptation, non pas aux contraintes du succès planétaire mais à la pure diversité du monde). Pour le seul Congo des centaines de petites traditions musicales qu’il faut réinterpréter, de nouvelles danses, de nouvelles Mokonionio à inventer pour attirer l’attention d’un public particulier. C’est une adaptation au sens musical du terme pour ce Wemba-là, le « maître d’école », comme on l’appelle aussi et qui se révèle d’abord simple (maître) chanteur.

Autrement dit artiste de variétés. À 66 ans, il dit être encore loin de « sortir du tunnel », toujours en route et, toujours, « beaucoup d’informations à déballer », de nouvelles adaptations et, pour nous, d’instructives précisions. Par exemple : comprendre que le fameux Soukouss présentée comme une musique (zaïroise) était en fait une danse, plus exactement ce moment durant lequel les deux partenaire se séparent pour improviser chacun pour soi. Ou encore que la Rumba n’existe pas au Zaïre où l’on parlait plutôt de « Cumba » (Cuba) pour parler du ventre, pour ne pas dire le bas-ventre. On en revient à ce bon vieux clicheton de blanc (putain, on se refait pas). Alors oui, Papa finit par trouver une issue dans cette morgue mobutiste qui lui fait dire « qu’on n’a plus besoin de prendre nos consignes de l’Occident, qu’il est temps … » Le gars n’a pas lu les rapports de la Banque Mondiale ou quoi ? Officiellement c’est déjà l’Afrique qui domine le monde… Peut-être qu’il y a un truc que j’ai toujours pas saisi.

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