C’est entendu : Vaclav Havel a été le Président emblématique de la chute du communisme en 1989 et le symbole de la dissidence tchécoslovaque face à l’idéologie soviétique. Ce que l’on sait moins, c’est à quel point le politique décédé en 2011 restera comme un cas quasi unique dans l’histoire de la contre culture : proche de Franck Zappa, admirateur inconditionnel du Velvet Underground, Vaclav Havel était, avant toute chose, un poète et un dramaturge de l’absurde.

Avec sa coupe proprette, sa moustache bien taillée, ses costumes aussi gris que l’ère soviétique, l’image célèbre de Vaclav Havel n’a, à priori, rien pour faire partie de la grande galerie des figures emblématiques de la contre culture floqués sur des T shirt H&M. Pourtant Havel, au delà des mythes de rebellion pré-fabriqués assimilés comme tel par le grand public, a rendu la monnaie à une tripotée d’artistes des années 70 qui péroraient sur la révolution tout en passant à la caisse du Monopoly de l’entertainment. Lui, la révolution il l’a vraiment faite. Et il en a payé le prix en passant par la case prison. La tragédie de l’existence d’Havel est bourrée de rebondissements, de douleurs, d’actes de courage, de doutes artistiques et politiques. Derrière l’homme de conviction se cachait un être fragile, dépressif, hédoniste qui a semblé subir cette obstination qui le poussait à l’abnégation face à cet état répressif qu’il ne pouvait simplement pas accepter. Un homme qui, à la fin de sa vie (2011) se demandait s’il n’avait pas simplement été une erreur de l’histoire, ce qui convenons-en, rabaisse un peu le caquet des égo maniaques du monde culturel moderne.

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Le petit prince

Pourtant tout avait bien commencé pour Vaclav. Né en 1936 dans une famille de l’élite tchécoslovaque il avait tout de l’enfant roi baigné dans le raffinement et la culture. Son grand-père dont il portait le même nom était à l’origine du premier centre culturel et de divertissement de Prague et son père, progressiste et franc-maçon, avait ouvert un complexe d’hôtellerie à l’américaine où se bousculait l’élite intellectuel, artistique et politique tchèque.

Du côté de sa mère on sortait aussi de la haute et son oncle Miloch, iconoclaste et fêtard, s’était quant à lui lancé dans le cinéma en créant les premiers studios du pays. Pur produit de la classe dominante, Vaclav, petit prince choyé, a son destin tout tracé. Mais la seconde guerre mondiale va venir mettre son grain de sable dans ce cadre de vie idéal. Parti avec sa mère et son frère se mettre au vert à la campagne, le petit Havel va à l’école du village et souffre de sa différence avec les gamins pauvres du coin. Il expérimente un ostracisme social inversé qui le marque à tout jamais. La cage de verre dans lequel il est plongé, les serviteurs toujours prévenants, ne sont pas vécu comme une chance mais comme un handicap, une frontière invisible vers le véritable monde et gamin rebelle, il commence à affirmer une volonté d’abolir ses privilèges. 1948, c’est le coup de Prague, les communistes prennent le pouvoir et font éclater la société bourgeoise en place et le pays est entouré de barbelés. Désormais la vie bascule derrière le rideau de fer. Havel, à onze ans, est désormais étiqueté « ennemi de classe », et la grande majorité des biens de sa famille son confisqués. Interdit d’étudier comme tous les enfants des familles riches, Havel adolescent doit devenir ouvrier dans l’industrie chimique. S’il est bel et bien de gauche et prêt à bouffer du bourgeois en réaction à sa famille il rejette l’idée de finir en blouse de travail dans le monde grisâtre des laboratoires. Désormais il va passer toute sa vie coincé entre ses origines aisée et son rejet de la machine d’état communiste. Ado idéaliste il dévore Don Quichotte, Ionesco, se met à écrire et finit par filouter pour assister à des cours du soir pour les travailleurs. Il fonde alors un collectif littéraire, « ceux de 36 » en référence à l’année de naissance de ses membres. Meneur, il publie en 1952 des revues littéraires et organise des rencontre publiques sans demander la moindre autorisation ce qui lui vaut de rentrer dans le viseur de la police politique et de subir son premier interrogatoire à l’âge de 16 ans. Il apprend douloureusement la dialectique à adopter face aux autorités.

Le dramaturge star

A la mort de Staline les langues se délient. Le parti sent qu’il faut faire amende honorable et dénoncer la terreur de l’oncle Jo et en profiter pour récupérer la jeunesse hostile. Havel a 20 ans ; il écrit un manifeste demandant la liberté totale de création qui circule suffisamment pour attirer l’attention des autorités qui dirigent la culture d’état. On l’invite à un colloque où tout le monde se congratule avant de faire son mea culpa sur l’ère stalinienne, le processus révolutionnaire est un apprentissage et on fera mieux la prochaine fois. Havel prend alors la parole et dézingue ce parterre d’apparatchiks en mentionnant les camps de redressement où croupissent les artistes non conformes au parti communiste. Par cette déclaration Havel officialise sa dissidence et montre clairement qu’aucun poste de pouvoir ne va le faire taire. Sa surveillance s’accroit. Après son service militaire, il se rapproche du monde des planches en se faisant embaucher dans des théâtres, en tant que machiniste, puis secrétaire et enfin programmateur. Il est désormais considéré comme un artiste et devient connu pour ses créations qui s’exportent par delà le rideau de fer.

Sa pièce intitulée Le rapport dont vous êtes l’objet à l’absurdité cousine des écrits de Kafka est jouée en France et en Angleterre avec un écho médiatique qui lui confère une certaine aura dans le pays. Dans ce texte, Havel invente une nove langue administrative inventé par le système bureaucratique, un jargon d’inepties à la logique implacable visant à soumettre et aliéner le peuple. L’individu s’y retrouve broyé par le système dans un monde dépourvu de sens. Il est maintenant constamment sous surveillance mais continu de pouvoir s’exprimer et joue de petits rôles dans des films du nouveau cinéma Tchécoslovaque.

Au congrès des écrivains Vaclav attaque chaque année la censure et dénonce l’absence de pluralité politique. Même si l’étau de la police secrète se resserre doucement sur lui, il bénéficie du mouvement d’ouverture récent dans le pays et obtient même l’autorisation de passer au delà du mur pour promouvoir son art à l’étranger. La petite trentaine il voyage en Angleterre ou il donne une interview filmée par la BBC puis aux Etats Unis où il découvre la contre culture américaine. Il baigne dans les milieux contestataires anti Vietnam, manifeste, rencontre étudiants, intellectuels, artistes d’avant garde et au passage rapporte quelques disques dont le « White Light White Heat » du Velvet Underground quasi inconnu, ainsi que les premiers albums des Mother of inventions de Zappa, pape des freaks de Los Angeles. Havel adore la musique du Velvet qui le suivra pendant une grande partie de sa vie. Une fois devenu président il donnera même une interview à Lou Reed devenu pour l’occasion journaliste. L’entretien sera publié en 1991 à la fin de Between tought and expression, recueil des paroles du new yorkais qui a désiré rencontrer ses deux idoles, Havel et Hubert Selby Jr.

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Dans ce papier Lou Reed rend compte de sa visite au président qui lui explique combien sa musique l’a aidé lui et ses amis pendant ses périodes de dissidence et de prison. 300 carnets rouges des paroles du Velvet Underground recopiés à la main circulaient sous le manteau à une époque ou posséder de tels écrits vous valait immédiatement le droit d’aller faire un tour devant les lampes aveuglantes des interrogatoires.

Le prix de la dissidence

Mais pour le moment Havel est loin d’être devenu Président. De retour au pays, il va assister aux exactions des Russes qui débarquent dans le pays en 68 pour remettre de l’ordre chez ce pays frère bien trop bruyant et permissif pour un état satellite de Moscou. En janvier 68, Alexandre Dubcek devient premier secrétaire du parti communiste et parle d’ouverture et de liberté d’expression pour les artistes. Il prône une voie certes communiste mais progressiste et ça n’est pas du gout de Brejnev qui envoie ses troupes faire le ménage après avoir conçu le concept de « souveraineté limitée » pour justifier l’invasion russe.

Československo / Praha - Pankrác / věznice: Václav Havel 1979
Československo / Praha – Pankrác / věznice: Václav Havel 1979

Havel devient porte parole révolutionnaire et dirige une cellule de crise visant à résister. Il assiste à une tuerie lorsqu’un russe, ayant ouvert le capot de son char, abat froidement des civils à coups de revolver. Traumatisé, il prend la parole dans des émissions de radios clandestines et appelle à la lutte. Mais c’est David contre Goliath et à l’inverse du mythe, le combat est réellement inégal. Vaclav a beau, comme les jeunes révolutionnaires, balancer une grenade dans un pot d’échappement d’un char russe pour le faire exploser, le mouvement est réprimé dans des bains de sang. Tout le monde va retourner sagement à l’usine après la destitution du président du parti tchécoslovaque. Débute l’ère de la normalisation dont le nom suffit à faire taire tout le monde. La police politique et son appareil de répression referme le couvercle sur les libertés individuelles et la censure s’abat sur les artistes qui se voient interdits de quelconques actions publiques. Havel est détruit et dépourvu de travail part s’installer dans une maison de campagne avec sa femme Olga. Suffisamment riche grâce aux droits que ses pièces lui rapportent à l’étranger, il n’en est pas moins bâillonné et sombre dans une dépression totale. Il avouera plus tard être quasi incapable de faire la différence entre 1971 ou 1974 tant la notion de temps lui est à cette époque devenue abstraite. Des gardes surveillent les allers et venues chez lui et un matin Havel se rencontre qu’ils ont même construit un baraquement avec mirador devant pour mieux le filmer et enregistrer le moindre de ses mouvements. Sa maison est régulièrement perquisitionnée et lui, interrogé pour le maintenir sous pression. La plupart du temps isolé avec sa femme il vit dans monde orwellien et déprimé n’arrive plus à écrire la moindre ligne. Pendant cette période Havel devient chevelu, moustachu et se défonce aux médocs, il ressent à nouveau l’oppression de la cage dorée même si elle est différente de celle de son enfance.

1974, il reprend du poil de la bête et décide d’aller travailler dans une brasserie de bières pour reprendre contact avec la réalité ouvrière. Il y reste huit mois et en tire la pièce Audience où le personnage principal lui ressemble beaucoup. Des acteurs amateurs décident de jouer une de ses pièces dans un café en banlieue de Prague. Havel y invite ses amis mais tout le monde est arrêté et les participants perdent tous leur emploi après avoir faire un tour en interrogatoire. En 1975, c’est le tournant, Havel décide qu’il ne veut plus être le jouet de l’histoire et décide d’entrer clairement en lutte contre le régime ; peu importe le prix à payer. Son principe dès lors : commenter les directives du parti et les faire réagir. Il se place maintenant comme le leader informel de l’opposition et on parle à nouveau de lui de l’autre côté du mur.

Libertinage et conséquences

A cette période, Vaclav Havel se lie d’amitié avec le groupe Plastic People of the Universe qui jouent un rock psyché proche de l’esprit communautaire de Faust ou d’Amnon Dull II et tire son nom du morceau de Zappa, Plastic People, paru en 1967 sur « Absolutely free ». Avec leur look de jesus freaks, ils ne passent pas inaperçus dans ce monde à la pop fade et se font interdire de concerts pour non conformisme. Ils décident alors de jouer live dans des appartements ou des maisons et une vingtaine de personnes, musiciens, organisateurs sont jetés en prison. Pour Havel qui considère que le groupe ne demande qu’à pouvoir jouer sa musique sans faire de politique, une frontière vient d’être dépassée. Il mobilise alors certains anciens communistes du parti, des philosophes, des écrivains pour venir en aide aux chevelus et fédère au delà des clivages habituels. Grâce également à la pression internationale, le groupe est relâché ou leurs peines allégées. C’est la première fois que le régime craque depuis longtemps et Havel compte en profiter pour enfoncer le clou. Avec ses collaborateurs il crée avec une petite centaine de signataires le mouvement de la Charte 77 qui vise à demander au pouvoir de respecter les accords d’Helsinki ratifiés en 1975 en particulier le volet sur les libertés individuelles.

Quinze jours après la publication de la charte, il est jeté en prison en détention préventive. Le gouvernement entend bien casser tout ça pour faire un exemple. Les policiers l’interrogent sans cesse, le gave de médicaments et le font craquer avant son procès et lui faisant écrire une lettre au procureur de la République stipulant qu’il ne ferait plus jamais de politique. Havel sort quatre mois plus tard, honteux d’avoir trahi sa cause et se remet doucement entouré de ses proches.

Des amis, il en a de plus en plus, des chevelus, des fêtards, des décoincées du cul. Sa maison à la campagne devient une véritable auberge espagnole aux libertaires, à ceci près que les conneries se font à rideaux tirés pour ne pas être vu par la police politique qui ne veut pas en manquer une miette. Les flics en faction sont là depuis tellement longtemps qu’Havel les connait tous par leurs noms. Avec ses amis, il organise des concerts, des lectures tout en sachant pertinemment que le moindre de leurs faits et gestes est décortiqué par le STB, la Stasi tchécoslovaque.

En 1979, Havel remet le couvert en se faisant le porte parole du comité Vons qui a pour but d’offrir une aide juridique aux personnes incarcérés pour des raisons politiques, il sait qu’il risque à nouveau lui même la prison et bingo il retourne faire un tour en centrale. Dans les lettres qu’il écrit, il se plaint de son traitement et de sa déprime qui a refait surface. On l’a nommé à la tête d’une petite poignée de prisonniers particulièrement cassés et dépourvus d’espoir afin de le briser un peu plus. La litanie des plaintes de ses codétenus l’affecte. Il reste cette fois ci emprisonné quatre ans et sort à cause de problème pulmonaires et grâce à la pression internationale que sa femme Olga organise. Sorti, il écrit une pièce intitulée Largo Desolato où il met son double en scène avec une bonne dose d’ironie.

L’homme qui ne voulait pas être président

Havel n’a jamais vraiment voulu ou cherché le pouvoir. Mais lorsque la Perestroïka de Gorbatchev arrive en 1988 le peuple se tourne de plus en plus vers celui qui prend la parole lors de la première manif autorisée par l’état. C’est le début de la chute du communisme et l’avènement des deux ou trois cents proches d’Havel qui avaient choisi la dissidence contre vents et marées. Le parti décide pourtant de serrer encore la vis et profite des manifestations violentes de la place Venceslas pour enfermer Vaclav qui sortira quatre mois après sous la pression du peuple. L’appareil policier a perdu. En prison il est un martyre, dehors il est un héros activiste. Le couvercle posé sur la société civile se fissure et Havel fait très mal avec ses mots. Erudit, il électrise les foules et devient intouchable. Le mur de Berlin tombe et Havel apparait comme le père de la nouvelle nation tchécoslovaque. Pourtant idéologiquement marqué à gauche, il fait en sorte avant tout de fédérer toutes les tendances politiques pour accéder au pluralisme. C’est la révolution de velours qui s’organise quasiment sans violence.

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Havel annonce vouloir retourner au théâtre, il est fatigué par ses années de prisons, on sent qu’il peut flancher à tout moment. Ses proches l’exhortent de continuer et on ne sait pas s’il se met en scène pour assoir sa place mais il tient finalement le cap et devient président en étant élu à l’unanimité par l’assemblée des députés du régime qui l’a torturé.

En 1990, alors que les tanks russes quittent le pays et qu’Havel se fait artisan de l’explosion du pacte de Varsovie, il invite les Rolling Stones à se produire à Prague en déclarant que « même  s’ils n’étaient qu’à moitié aussi bons que par le passé ce sera largement suffisant ». Lors de sa première visite à New York, il passe visiter le CBGB dont George Bush doit totalement ignorer l’existence.

Havel gouverne avec ses amis artistes et dissidents et se prend souvent les pieds dans le tapis du protocole. Il dit souffrir d’avoir à porter des cravates et devoir faire attention à ce qu’il doit dire alors qu’il s’est battu précisément pour pouvoir dire tout ce qui lui passe par la tête. En 1992, les Slovaques le rejettent et vont acquérir leur indépendance. Pour Havel ce sera l’une des plus grosses blessures : ne pas avoir réussi à maintenir la cohésion du pays. Il déclare le jour de sa défaite que « c’est parfait parce qu’il va enfin pouvoir retourner à la vie civile ». Après des années à la tête de l’état Tchèque il finit sa carrière en 2003 en réalisant un film autobiographique sur sa vie de politicien qu’il fait interpréter par sa dernière femme, pas spécialement aimée par le peuple.

A la fin de sa vie, fatigué il n’hésitera plus à dire ce qu’il pense de la pression du peuple à son égard quand on l’accuse de revendre les biens de son père à un ancien communiste pour faire du fric. « Dans ce cas là, c’est toute l’économie qui est pourrie, c’est d’une hypocrisie sans nom. Je n’éprouve aucun besoin de me justifier. Je me bats contre l’hypocrisie des Tchèques moyens qui votaient pour les communistes. Ce sont des petits magouilleurs, des voleurs qui se défoulent sur moi. Je suis pour eux une sorte de conscience morale, je suis là pour laver leur péchés mais tout ça c’est tordu et ça m’emmerde ». Dissident un jour, dissident toujours.

1 commentaire

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