The Walking Dead chez Delcourt ? C’était déjà lui. Aujourd’hui, François Hercouët est le directeur éditorial d’Urban Comics, actuel leader du marché franco-belge avec près de 700 albums publiés… en 4 ans.
Hercouet (source : http://bdzoom.com)

Le ton est doux et le poil hirsute chez l’ancien rôliste, devenu un des plus grands spécialistes français du comics. De quoi assister, malgré lui, à d’amusants bras de fer intellectuels lorsqu’il rencontre des fanboys… Comics ? Le terme est devenu galvaudé, tant les sous-genres et travers de langage sont nombreux. Or, si Urban Comics adapte en majorité des albums issus du catalogue de DC Comics (Batman, Flash, Green Arrow, Superman…), son répertoire va bien au-delà du super-héros : HellBlazer, Preacher, Sandman, Transmetropolitan, Y Le dernier homme… Il y avait donc matière à rencontre avec celui dont beaucoup jalousent le métier et qui croient, à tort, qu’il ne consiste qu’à lire des bandes dessinées.

Le moins qu’on puisse dire, c’est que l’explosion d’Urban Comics a été très rapide…

C’était le but : s’imposer grâce à une importante politique de visibilité. Urban Comics a été créé en 2012, à l’occasion du partenariat avec DC Comics. Le 20 janvier, nous sortions notre première adaptation. Deux ans plus tard, nous détenions 85% du marché franco-belge ! Sans compter la partie kiosque chaque mois, nous avons publié entre 600 et 700 albums… Notre objectif était de réhabiliter une culture underground en l’inscrivant aux côtés de classiques de notre patrimoine. D’où le fait que nous soyons rattachés à Dargaud (Tintin, Astérix, Lucky Luke…). Philosophiquement, c’était primordial.

Avec cette éternelle difficulté : médiatiser la marge, c’est aussi risquer de la rendre mainstream, non ? 

Oui, ça peut être un des écueils, même si nous voulons surtout documenter les connaisseurs plutôt qu’inonder le grand public. Mais il est vrai que voir au cinéma Suicide Squad, dont le Joker est le seul personnage connu, est incroyable… J’en rêvais, gamin ! On part de loin : si Batman a toujours été aimé en France (sans doute son côté castagne/misogyne ?), Superman, qui fut le premier comics importé ici, a provoqué une véritable méfiance envers le genre héroïque. Or, il subsiste un immense quiproquo à propos du personnage…

Lequel ?

Superman apparaît après-guerre, en pleine période anti-atlantiste sous le général de Gaulle ! Il ne faut pas oublier que les années 60 sont une époque sombre. Ces personnages ont été créés par des réfugiés polonais et juifs qui rêvaient d’un golem filant une droite à Mussolini, Hitler ou Staline… Les dessinateurs ont utilisé la seule arme qu’il possédait ! Pourtant, si Superman conserve ses couleurs primaires, il s’est très vite affranchi de son affiliation avec les US. C’est davantage un symbole de justice universelle ou de revanche mondiale qu’une hégémonie américaine ! Et puis ce serait comme résumer les mangas à Goldorak ou Ken le Survivant en taisant l’œuvre de Hayao Miyazaki (Princesse Mononoké, Le Voyage de Chihiro…). L’apport de scénaristes comme Alan Moore (Watchmen, The Killing Joke…) ou Frank Miller (Daredevil, The Dark Knight…) va, dès les années 80, déconstruire ces mythes en rendant les héros mortels, dépressifs, plus humains…

Justement : quelle différence existe-t-il entre le public franco-belge et américain ?

Elle est tout d’abord historique. Les comics américains sont des fascicules brochés avec une parution généralement mensuelle. Or, pour les Français : qualité = cartonné ! Ensuite, pour tenir les délais, les Américains emploient toute une équipe : scénariste, dessinateur, encreur, lettreur, coloriste… Voire parfois un invité pour la couverture ! Enfin, les personnages n’appartiennent pas aux créateurs. C’est pour cette raison qu’une maison d’édition peut exiger un changement éditorial (mort d’un personnage, reboot…) ou changer subitement d’artistes. Chez Urban, nous avons tenu à mettre les dessinateurs au même niveau que les personnages, notamment à travers des anthologies. Ça a été d’abord mal compris aux États-Unis, puis les chiffres nous ont donné raison… Tout comme nous avons lancé des versions noir & blanc, aujourd’hui éditées en Italie… Tant mieux ! Bref, pour résumer : les vieux lecteurs franco-belges de comics ressemblent aux lecteurs américains.

« Nous sommes l’équivalent d’un conservateur d’exposition. »

En s’occupant principalement d’adaptations, n’est-ce pas frustrant de ne pas pouvoir intervenir sur l’œuvre ?

Nous connaissons tout à fait notre place, pas de souci. Mais de la contrainte peut aussi naître la créativité. Nous sommes l’équivalent d’un conservateur d’exposition : nous travaillons avec un existant (plus de 80 ans de création !), puis cherchons à étoffer, éclairer, créer des liens, multiplier les entrées, veiller à la bonne chronologie… Il faut légitimer le contenu par la forme, comme donner l’accès aux notes des auteurs. Par exemple : le personnage de V pour Vendetta, avant d’adopter le masque de Guy Fawkes (repris aujourd’hui par les Anonymous), devait être un super-gendarme… Être accessible, c’est donc autant donner des clés de compréhension que travailler sur le prix et le façonnage. Le tout, avec une idée un peu égoïste : qu’est-ce que j’aimerais avoir chez moi… et comment ?

Il y avait urgence, pour DC, à lutter contre l’exposition médiatique de Marvel Comics (The Avengers, X-Men…), racheté en 2009 par Disney ?

Il y a eu une nécessité financière à créer un appel d’air, oui… En août 2011, la mini-série Flashpoint (Flash Vs Reverse-Flash) s’est achevé sur une modification du cours du temps… L’éditeur a donc étendu ce changement à tout son univers en faisant renaître la plupart de ses séries à partir d’un numéro 1. On a appelé ça The New 52, du nombre de comics concernés par ces reboots. Une remise à plat qui s’est finalement poursuivie sur une quinzaine d’œuvres jusqu’en 2013. L’occasion d’attirer de nouveaux lecteurs, de nouveaux dessinateurs, mais surtout – comme les nouveaux Star Trek – d’ancrer l’action et les enjeux dans des contextes plus proches de notre réalité.

C’est ce qui distingue les deux maisons d’édition ?

La chronologie ininterrompue de Marvel peut, parfois, expliquer la vieillesse ou l’essoufflement de certains de ses héros… Deadpool est un phénomène de déconstruction intéressant, par exemple ! Mais quand j’ai vu la sortie du film au cinéma, j’y ai vu une obsolescence. C’est comme le western spaghetti : si nous sommes rendus au pastiche, c’est peut-être que tout a déjà été dit…

Urban-Comics.com

François Hercouët s’est également prêté à une sélection des œuvres d’Alan Moore, avec explications de texte. À lire dans Gonzaï #18 (nov.-déc. 2017)

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