Tout juste revenu de Californie pour nous présenter son nouveau disque, Hypnophobia, Jacco Gardner pensait se faire une soirée parisienne à la cool. C'était sans compter la malfaisance de notre reporter, qui n'a pas pu résister à l'envie de le traîner dans les bas-fonds de la nuit parisienne. Au menu : confidences personnelles, propos salaces et reflux gastriques.

Mercredi, 18h. Fargo Records Store. Sur le trottoir minuscule, des jeunes sapés en cowboys attendent en fumant des clopes. Les volutes s’élèvent dans la lumière déclinante d’une splendide journée printanière. Je farfouille dans les bacs garage/psyché/americana de ce disquaire de très bon goût, avant de sortir pour guetter l’arrivée d’un génie. Jacco Gardner, jeune prodige hollandais, débarque quelque peu après, accompagné de sa garde rapprochée. Il est à Paris pour nous présenter son nouvel album avant tout le monde.

Pas de folie vestimentaire, un regard bienveillant, je sens immédiatement la simplicité du mec, que je me permets d’apostropher, de retour le nez dans le bac à disques : « Salut Jacco, j’adore ce que tu fais. Tu répondrais à quelques questions ?« . Manifestement timide, il esquisse un sourire avant de m’expliquer : « j’en parle à mon manager, mais sur le principe, oui« . Un mec normal.

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19h. Le temps de l’écoute. « Merci à tous d’être venu. Je vais vous faire écouter mon nouvel album, j’espère qu’il vous plaira« , lance Jacco d’une voix mal assurée, avant de poser le micro-sillon sur cette toute nouvelle galette. Suspense… Et c’est pas mal du tout ! Toujours dans un esprit très pop, ces petites comptines psychédéliques et orchestrales se savourent sans effort. Aurait-il réussi à éviter le raté du deuxième album ? Verdict définitif début mai, à la sortie officielle.

La musique ? C’est la seule chose que je sais faire.

20h. Le temps des questions. Il accepte de m’accorder un entretien dans le bar qui jouxte le disquaire, où il s’est posé avec ses fidèles pour décompresser. C’est que le mec était en Californie la veille. Je me siffle une bonne pinte, tout en écoutant les histoires surréalistes d’une jeune blonde pimpante, avant de descendre dans le grand fumoir. Au calme, on peut commencer à discuter. Il évoque son village d’origine, Horn, minuscule bourgade chargée d’histoire et « vraie source d’inspiration ». Avant de me raconter la genèse de « Hypnophobia » :  « J’ai écrit certaines chansons en tournée, avant de revenir dans mon studio pour bosser sérieusement. En tout ça a du prendre 1 an« . Un album qu’il a composé et enregistré « tout seul, au milieu d’une batterie d’instruments« , et qu’il considère, en toute objectivité, comme « meilleur que le premier« . Son sujet central : « des problèmes d’insomnies, récurrents depuis mon petit succès« , raconte Jacco sans aucune honte. Un mec comme vous et moi, qui fait de la musique pour une raison simple : « c’est la seule chose que je sais faire, et j’en ai vraiment besoin« .

Adepte de la petite chambre noire : « je suis plus un producteur qu’un performeur« . Il est en revanche moins sémillant sur scène : « à mes débuts, j’étais vraiment très nerveux avant un concert« . A en vomir ? : « Non, non, quand même pas ». Des intrus nous rejoignent. Sa réaction ne se fait pas attendre : « vous avez de la weed les gars ?« . En moins de temps qu’il n’en faut pour le dire, des odeurs de cannabis se répandent dans l’atmosphère. Ce qui me fait penser à Syd Barrett, camé notoire, qu’on lui rabâche à longueur d’interviews, ce qui n’est pas sans l’agacer : « je l’aime bien, tu sais, mais ce n’est pas mon « maître ». Il n’est même plus sur ma playlist« . En 2015, il préfère écouter « des petits groupes canadiens et des trucs français aussi. Vous avez des groupes de pop cinématographique hyper bons !« . Notre ego flatté, on propose à l’ami hollandais de continuer la soirée avec nous : « Super, je veux découvrir le Paris Rock’n’roll !« . Le début d’une aventure nocturne avec l’orfèvre pop batave.

21h30. On the Road to Pop In. On part en direction du troquet de la rue Amelot, à pied. Inévitablement, Jacco monte sur mon skate, il ride comme un chef. Quelques centaines de mètres plus loin, je me retrouve une nouvelle fois face à cette angoisse : « mais bordel, de quel côté du Boulevard Voltaire on doit aller ?!« . Il dégaine son Iphone et lance Google Maps : « suivez-moi ! Quand j’ai ce truc dans les mains, je peux aller où je veux« . Ou comment Jacco Gardner guide des parisiens paumés dans leur propre ville. Devant le cirque d’hiver, où il se verrait bien faire un concert, il se remémore quelques ratés monumentaux : « mec, le concert à la Cigale est un très mauvais souvenir. Tout allait de travers ce soir là. Le pire de ma carrière !« . J’espère que celui du Point Ephémère, où je me rendrai pour vous le débriefer, sera d’une meilleure facture. Presque arrivé à destination, il m’explique le sens de la chanson Clear The Air : « ça parle d’une relation amoureuse, et de ses complications.. ». Une des plus grandes chansons du premier album « Cabinet Of Curiosities » dont le titre s’inspire « d’un musée visité étant gosse« .

22h. Le temps des bières. Il est temps de passer aux choses sérieuses. On rentre dans le Pop In, on commande une première tournée de bières et on s’installe à l’étage, où trône le célèbre vieux piano désaccordé. Jacco saute dessus pour nous envoyer une version acoustique de Clear The Air de derrière les fagots, que j’enregistre avec mon vieux dictaphone pour les futurs tombés de camion à 1 million. Sa musique est faite pour être jouée sur un instrument foireux comme celui-ci. Avant de s’improviser professeur : « regarde comment je fais. Tu vois, c’est pas compliqué« . Hum, pas évident d’apprendre du Gardner en cinq minutes. La jeune élève parisienne pique sévèrement du nez. A mon tour d’écouter les conseils du boss’ qui tente de m’apprendre le riff du cultissime Green Onions, avant de m’accompagner une fois ma partie maîtrisée. Un duo à 4 mains d’anthologie : « tu l’as bien fait mec! ».

Je peux juste payer mon loyer et ma bouffe tu sais…

Jacco redemande de la bière. Deuxième tournée. Je lui montre mon vieux mp3, où s’affiche une bonne partie de ses chansons : gêné mais fier, il me sourit. Je lui fais écouter sa musique avec mon casque : ça y est, on l’a perdu. Avant de me mettre à chanter à tue-tête Clear the Air, ce qui le fait bien marrer. C’est bien beau tout ça mais réussit-il à en vivre ? En toute honnêteté, il m’explique : « je peux juste payer mon loyer et ma bouffe tu sais..« . Pour enfoncer cette note dramatique, je lui joue Within des Daft au piano, il acquiesce : « J’aime bien la mélodie« . L’heure de descendre en bas pour une nouvelle tournée.

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Jacco commence à être bien bourré. Ni une ni deux, il casse un verre bien rempli. Le barman lui en sert un autre aussitôt. Quelqu’un lui montre la photo d’une fille plutôt bien roulée, il verse alors dans le poétique : « j’adore les seins tu sais, c’est la seule chose qui compte pour moi en ce bas monde« . Un mec normal je vous dis. Quelques minutes plus tard, la phrase philosophique : « je vis l’instant présent et je rêve le futur« . L’alcool est passé par là. On sort dehors pour cloper. Trop peu pour lui : « je ne fume que du cannabis!« . Je lui fais écouter Alba Lua, Neil Young et.. Terrapin, de Barrett. L’effet est immédiat, il tourne sur lui-même et s’extasie sur la musique, le monde autour de lui s’évaporant peu à peu. La vieille obsession est encore là..

Touché mais pas coulé, Gardner veut continuer la soirée, en dépit d’une journée d’interview qui s’annonce harassante, lever 8h : « je vous suis« .

00h30. En taxi avec Jacco. Le temps de dire adieu au reste du groupe, on se retrouve à 2 avec lui, à l’arrière d’un petit tacos. Direction le sud de Paris, où ma pote connaît un endroit bien sympa. Il jubile : « j’adore ces moments où tu ne sais absolument pas où tu vas« . On traverse une bonne partie de Paris, dont la seine et.. Notre-Dame : « oh, c’est magnifique!« . Le conducteur étant dans une forme olympique, on arrive à Denfert-Rochereau en moins de temps qu’il n’en faut pour le dire.

Derrière la porte des toilettes : « Jacco, ça va ?« . Il répond : « ouais, ouais, j’arrive. T’inquiètes« , avant de déglutir.

01h30. Drogues et Rock’n’roll au Lock Groove. Le bar vient de fermer, mais le patron nous accueille à bras ouverts, à la vue du beau poisson psyché qu’on lui ramène. Il faut dire que le lieu est un repère d’amoureux de garage-rock et de psychédélisme. Jacco reprend une pinte, peut-être la bière de trop. Le barman fait tourner un joint de cannabis bien chargé. Les yeux explosés, il passe des vinyles de Barrett et de… Jacco Gardner, évidemment. Quand ce dernier décide d’aller aux toilettes. Cinq minutes passent. Puis 10, 15. Je vais derrière la porte : « Jacco, ça va ?« . Il répond : « ouais, ouais, j’arrive. T’inquiète« , avant de recracher son dîner dans la cuvette. Un mec normal, je vous dis..

Pendant ce temps, on continue à boire et à fumer de la bonne weed. Je suis raide mais bien. Il sort, livide : « ça va mieux, je t’assure » avant de demander un sac poubelle pour gerber. Vu son état, on décide de lui payer un Uber pour rentrer dans son hôtel, à l’autre bout de Paris. Une petite bagnole arrive : « On se voit le 22 avril! ». Sur la carte, la voiture fait du sur-place : il a du s’arrêter pour vomir. Avec « Manipulator » de Ty Segall qui passe à fond, je finis ma bière, bourré, défoncé et joyeux. J’ai passé une soirée avec Jacco Gardner, artiste génial et mec normal.

Jacco Gardner // Hypnophobia // Polyvinyl (PIAS). Sortie le 4 mai.
http://www.jaccogardner.com/

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