Le week-end dernier se tenait à la Courneuve la nouvelle édition de la Fête de l’Humanité, sorte de never ending tour du Communisme depuis 1930 (qui a donc fêté ses 85 ans l’année dernière). Une plongée dans la fournaise à 26° et un récit très Fear & Loathing in la Courneuve où l’auteur croisera les fantômes d’Hunter S. Thompson, Roland Barthes et Léo Ferré. C’est extra.

Le meilleur moment, je dirais que c’est le début : l’arrivée au quasi-terminus de la ligne 7, Fort d’Aubervilliers, le vendredi vers 15h00. On est plein soleil et une grosse centaine à rejoindre la navette qui va mettre environ 20 minutes à démarrer. Ce qu’il faut savoir c’est qu’à l’origine, la Fête n’est pas ouverte au public le vendredi, elle est réservée au militants et dans ce bus, il en reste quelque chose de cette section Vip de la Fête de l’Humanité : des dames âgées un peu hippies qui sourient, de jeunes types cools et défoncés (les rires ados de la colle sniffée, l’odeur du joint sur les vêtements pour faire passer tout ça) et des jeunes filles bien organisées, sac à dos et tenue de routardes si ce n’est pas carrément des vêtements de campeuses (parce qu’il y a un camping à la fête dont le pass est proposé à 35 euros). Ici, on ne lit pas Grazia Beauté : notre mode d’emploi pour redessiner vos sourcils ») mais plutôt Causette (« Sperme sauvage : plaisir d’offrir, joie de recevoir »). Mais surtout, on a très chaud.

Le trajet est incroyable : une épopée d’environ 30 minutes à travers La Courneuve puis le Bourget, petit crochet par Dugny et hop, retour à la Courneuve au parc départemental Georges Valbon (l’élu communiste qui a créé la MC 93 de Bobigny où, à peu près au même moment, Frank Castorf balançait ses 6h15 de « Frères Karamazov » post-industriels). Une longue route embouteillée, parsemée d’arrêts de bus provisoires et de restaurants de tous les continents qui rivalisent d’offres alléchantes. Ce n’est pas vraiment une zone industrielle mais ça pourrait même si, enfin, quelque chose de  la ville apparaît à l’horizon : un immense centre alimentaire « O frais » avec des Kiwis et des oranges géantes qui scintillent et dansent sur la devanture (le Yop à 1,19 euros au lieu de 1,79 euros, dans la limite des stocks disponibles). L’arrivée est sans histoire. On n’imagine pas qu’un putatif gang de bobonnes en viennent à allumer leurs cigarillos devant le Parc. Non, l’arrivée est tranquille, résumée ci-dessous par un clip de 2012 qui pourrait parfaitement être celui de 2016.

J’avoue que je presse un peu le pas pour ne pas louper ma première « ambiance communiste » en l’occurrence la débaptisation de la Halle « Nina Simone » reconfigurée en Halle « Léo Ferré », centenaire de naissance oblige, en compagnie du directeur de l’Humanité, la fille et l’épouse de Léo. Ces dernières resteront totalement silencieuses, laissant Patrick le Hyaric (le patron de l’Huma) se lancer, bonhomme et optimiste, dans un hommage à ce précieux compagnon qui savait trouver le chemin entre la culture et la politique. Et chacun de se souvenir – sourire – que Ferré a pris une carte du PC avant de la déchirer 5 minutes ou 60 minutes plus tard (les avis divergent sur ce point). Et de le citer, « pas de Comité central !! » les yeux hilares et nord-coréens du Hyaric, « un Comité central, on n’en n’a plus ! » devant sa fille Cécile, timide, à ne plus savoir où se mettre (« je vais vous donner le numéro de téléphone de mon frère, me dit-elle avec un fort accent du Sud, moi je ne peux pas »). On apprend qu’un timbre à l’effigie de Léo vient tout juste d’être mis sur le marché et alors doucement le monde de l’Humanité refait surface avec la Poste et les PTT bien rangés à côté de la culture lettrée (les stands des éditeurs engagés) qu’on donne par grosses poignées au peuple reconnaissant. C’est « la politisation de l’esthétique », comme disait Walter Benjamin pour distinguer le communisme du capitalisme (qui lui, à l’inverse, esthétise la politique). La veille, de mystérieux casseurs ont vandalisé le stand du Parti de gauche : le logo de la devanture arraché, des éviers volés, des excréments répandus. Peut-être des artistes underground ? On ne veut tirer aucune conclusion hâtive : « La direction de la Fête de l’Humanité mène l’enquête », rapporte Paris-Match.

Je quitte la Halle, saisi par la chaleur qui pèse sur des stands encore peu fréquentés. J’achète un petit bracelet confectionné par des travailleurs turcs (5 euros) que je perdrai très vite. Il y a tant de choses incroyables à raconter : la vente d’occasion des livres de Marx ou des revues d’éducation populaire de 1982, les fédérations régionales à la queue leu leu qui proposent un repas assis, à base de spécialités (la tartiflette salade et son verre de vin à 8 euros pour le stand de Levallois Perret). C’est une sorte de super camping où, en effet, çà et là des débats s’étirent dans un entre soi communautaire. Fédération du logement et comités des travailleurs tunisiens disent et redisent, affûtent leurs arguments tandis que l’Agora de l’Humanité voit défiler les Mélenchon et les Benoit Hamon qui rameutent le 20 heures. Ainsi donc tout est en place : apéro saucisse, journaux télévisés et tous ces slogans qui dansent autour des stands dont j’ai sélectionné quelques hits : « Organise ta colère ! » ou, plus direct, « j’aime la classe ouvrière » ou, encore, tragi-comiques « A la fin c’est nous qui gagnons » et « Nous ne sommes pas en trop, nous sommes en plus » … Il y aussi ce mot de Madame B, l’héroïne du film que Jero Yun a tourné plusieurs années durant entre la Chine et les deux Corées et finalement projeté ici, en avant-première. Le mot de celle qui se laisse vendre à des Chinois pauvres pour quitter la Nord-Corée et parier sur une vie meilleure. Mais le scénario se déglingue… Après avoir fait passer ses deux enfants en Corée du Sud, elle prépare l’arrivée de son mari chinois, finalement sympa, mais un peu lent à la détente au point qu’il faut un peu le secouer au téléphone : « Il n’y a rien à préparer, prends juste des chaussures robustes. » Si ça, c’est pas clair…

À intervalles réguliers, les haut-parleurs diffusent des « alertes humanité », sorte de « messages information » qui expliquent que le temps est compté, sur les moyens de production, l’environnement, les conditions de vie (la voix, féminine, est particulièrement convaincante). Et d’ailleurs, puisque l’urgence est dans l’air, le gouvernement va annoncer quelques jours plus tard que la Sncf va acheter très cher à Alstom des équipements dont elle n’a nul besoin et ça, on peut le dire, c‘est une belle victoire de l’édition 2016 de la Fête de l’Humanité. Maintenant, je cherche le service de presse et c’est difficile. Mais c’est normal, parce que c’est pensé en communiste. La presse patate chaude qui logiquement doit être encadrée et qui, parce qu’elle ne peut plus l’être, se met à devenir introuvable.

Je m’explique : d’abord, on m’envoie très loin à l’autre bout du Parc où je croise les jeunes teufeurs du bus qui font la queue pour accéder à l’emplacement qu’ils ont réservé (la queue, le strict opposé du journalisme ?). Je marche environ une trentaine de minutes avant de comprendre que non, ce n’est pas là (du tout). Le service de presse (et là est la métaphore) est précisément à l’endroit d’où je suis parti. Pour dire l’effet d’optique communiste, l’organe information n’est pas caché mais pas du tout, sauf qu’il apparaît seulement aux initiés qui par malheur ont tous disparu. Le communisme, pour toujours, restera un jeu à plusieurs bandes. Un grillage, des barrières qu’il faut soulever pour rejoindre un dernier bungalow … Non pas celui-là (pas celui sur lequel il est écrit « Ce n’est pas le pôle presse, merci ! ») mais celui d’après où le dénuement est extrême, où il n’y a pas spécialement d’internet ni de programme, mais des filles qui ont un joli sourire et des têtes bien faites. Malheureusement j’ai trop soif et me dirige fissa vers le « village du Monde » en quête de bières belges, croisant de vieux militants attablés, très dignes sous le feu de décibel Raggamuffin bien de chez nous. Quand enfin j’atteins mon but, une dame entre deux âges me demande si je suis abonné à l’Humanité. Je lui dis non et, curieusement, on en reste là, ce qui reste quand même un mystère.

À l’entrée du stand belge, un vieux monsieur portant la casquette d’un général Russe vend deux euros les tickets de Pills Pression, délicieuses. Encore de jolies femmes qui parlent mais pas trop, mettant plutôt leur beauté communiste au service de la pensée de militants truculents et cacophoniques qui les accompagnent. Au loin, c’est « cigare et rhum du Nicaragua » et bien sûr Cuba, à fond les ballons du marketing. C’est un peu par hasard si je me retrouve sur le stand des Irakiens (je ne veux pas de falafel, je me réserve pour une wurst allemande), frappé par un type qui accorde sa drôle de flûte dans le brouhaha de ce qui pourrait être une sorte de fête de mariage, où chacun a sorti sa tenue du dimanche. Les hommes ressemblent un peu à des serveurs du Wepler et les femmes, à de vieilles princesses jordaniennes. Je l’observe jusqu’à ce qu’il remarque mon badge de presse. Il est professeur de littérature à Amsterdam et raconte comment toute cette musique s’est perdue, tout doucement ; et puis il me propose une interview après le concert. Mais bon, ce n’est pas parce que j’ai avec moi les deux volumes du disque du Congrès du Caire de 1932 que je peux lui donner la réplique. Je m’en vais donc discrètement, commander ma saucisse.

La foule est plus épaisse, des parents d’enfants d’un peu plus de 15 ans, des employés sortis du bureau et venus rejoindre leurs potes de section et ça dure et ça dure depuis tellement de temps (j’entends dans la foule, c’est ma dix-septième fête !). La fête reproduit des espaces régionaux où chacun se retrouve, un monde très vingtième siècle où le « monde » est situé dans une sphère extérieure à celui où l’on réunit tous les autres, les Belges, donc et les Chinois. Peu à peu, ce qui ressemblait plutôt à un 14 juillet se transforme en un 21 juin, une fête de la musique avec ses musiciens, plus ou moins amateurs (un sosie de Renaud, un groupe folk de femmes tunisiennes, des rappeurs du 93). Je ne prends pas le temps d’écouter Pierre Laurent qui est LE communiste officiel, c’est-à-dire journaliste, ancien directeur de la rédaction de l’Humanité et secrétaire national du parti communiste français. Je suis snob, je préfère les saucisses.

(C) Amit Shimoni

En fait, je suis comme les sociologues de gauche qui expliquent que le peuple n’a plus confiance dans les discours de « la France d’en haut » ; les gens de Paris quoi. Je vais rentrer parce que mine de rien je n’ai plus un sou (et la dernière navette part à minuit). J’y vais tranquillement maintenant que je connais la route en compagnie d’une femme entre deux âges et un peu folle qui me raconte par le menu son concert de Lauryn Hill (une autre folle). En courant vers le bus, je me trompe et me retrouve dans le 651 en direction du Bourget mais why not ? Par terre, le dernier numéro du Stylist dont le blanc maculé de poussière fait un peu pitié. À côté de moi, une jeune Anglaise au français impeccable explique qu’elle n’a pas vu tout ce qu’elle voulait ( Killason ? Bagarre ? Ludwig von 88 pour qui, soit dit en passant, j’avais demandé une interview). Et puis, il y a François et Myriam, la pente douce de la quarantaine et de longues années de Fête de l’Humanité (mais c’est vrai, les prénoms ont été changés). Myriam a une boîte sous vide dans laquelle elle a glissé plusieurs petites tranches de saucisson. Elle porte une robe assez sexy, dans le style 1986 et toise un peu son mec à qui elle demande des précisions sur le stand qu’il tient ici, depuis, depuis combien de temps déjà François ? La conversation roule sur le philosophe Gilles Hanus (et ça ne se prononce pas « anu ») et sur l’ex-mao Benny Levy à qui François reproche de ne pas avoir d’ « œuvre » ? Mais, qu’est-ce que tu appelles une œuvre, lui demande Myriam. « Une œuvre ce sont des livres qui sont autant d’étapes », se voit-elle répondre. À la fin, elle se blottira contre lui dans le RER B, abandonnant le bouquin d’Emmanuel Carrère qu’elle a vaguement regardé avant de le repousser au prétexte que cette « écriture de droite » l’assomme. Finalement elle va s’assoupir tandis qu’il feuillette un vieux guide LGBT. On arrive très vite gare du Nord comme quoi, la fête de l’Humanité, c’est vraiment à deux pas.

http://fete.humanite.fr/

 

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