Fleuron de l'écurie Trouble In Mind (Fuzz, Dick Diver, Jacco Gardner,…), le duo londonien était il y a peu de passage à Paris pour expliquer son album « Dusk », l'une des grandes petites réussites de l'année passée.

La course vers la modernité rencontre parfois quelques obstacles sur sa route. Tenez, Jack White, par exemple. Voilà un putain d’obstacle. Dès que les White Stripes ont explosé en 2001, il n’y en eut rapidement plus que pour le vintage, le micro d’époque, la gratte millésimée, etc. C’était reparti pour une nouvelle (re)visite du musée rock. Cette fois en l’habillant de rouge et de blanc, un concept pas trop cher et qui avait le mérite de la sobriété. Au même moment, des Strokes pas encore bouffis par les drogues ressortaient la cravate en cuir, le jean slim et les Converse pourries. Pas forcément mieux. Rien de nouveau, le passé dans la musique a toujours été omniprésent. Pour l’adouber ? Le combattre ? Peu importe, l’essentiel tenant là-dedans : en bouffer pour mieux grandir.

Et Ultimate Painting dans tout ça ? Ne pas se fier aux apparences, même si « Dusk », troisième album en trois ans, rappelle à une lettre près un prétendu must-have de Fleetwood Mac, James Hoare (membre de Veronica Falls) et Jack Cooper (membre de Mazes) ne rendent pas hommage aux seventies qu’ils honnissent. Ici, on cause plutôt Byrds des grandes plaines, comme le prouve la pochette clin d’oeil au « Fitfh Dimension » des Oyseaux. De grands morceaux joués sur du matériel d’époque, donc. Et si pour une fois, on remerciait Jack White au lieu de lui taper dessus ?

Je vois que tu as un sac de disques avec toi. Qu’y a-t-il dedans ?

Jack Cooper : Quelques albums que je viens d’acheter. Mazzy Star, « So tonight that i might see »… et deux ou trois autres trucs dont je ne parlerai pas.

Vous êtes au courant qu’Hope Sandoval a sorti un nouvel album ? Il y a un duo avec Kurt Vile dessus.

Oui, j’ai vu ça. C’est déjà disponible ?

Oui. Mais venons-en à l’interview. Troisième album en trois ans ?

James Hoare : C’est vrai ! [Après réflexion]. Mais je ne crois pas qu’on soit particulièrement productifs. Beaucoup de groupes qui nous ont influencé avaient un rythme de sorties encore plus élevé. Je pense aux Beach Boys, aux Beatles, à tous ces groupes des 60’s. Les Beach Boys, c’était dingue. Ces mecs sortaient parfois deux ou trois albums par an, avec des singles, des faces B, des EP’s. Aujourd’hui, c’est très différent et c’est paradoxal. En fait, ça n’a même aucun sens pour moi. Internet aurait dû permettre de revenir à ce rythme de sorties des années 60, d’accélérer les choses. Pourtant c’est l’inverse qui se produit. Dès que tu es sur un label un peu gros, tu dois parfois attendre 12 mois avant que le disque sorte. Délirant.

Vous ne voulez donc pas être sur un gros label ?

Non, non, on ne dit pas ça bien sûr. Je dis simplement qu’on peut penser que nous sommes très productifs, mais en réalité, on essaye juste de faire les choses comme tout le monde devrait les faire. Tout est devenu si compliqué. Nous, on fonctionne avec nos modèles du passé. On aime bosser ensemble, sortir des choses régulièrement. Ça permet de rester concentrés, de stimuler notre créativité. Ça me paraît très difficile de revenir aux affaires quand tu n’as rien sorti depuis plusieurs années.

Le mythe du créateur fainéant serait donc… un mythe ?

James Hoare : Je vais te répondre simplement. Nous ne nous retrouvons pas du tout là-dedans. Des groupes ont pu jouer de ça à une certaine époque, s’inscrire même dans un mouvement qui n’a plus vraiment d’héritiers aujourd’hui. Ça leur permettait de se trouver une identité. Aujourd’hui, personne n’a besoin de fonctionner comme ça. J’étais super jeune dans les 90’s, et j’ai pas de tatouage Pavement sur mes bras.

Jack Cooper : C’est étrange. Quand je pense « glandeurs », moi aussi je pense Pavement. Et laissez-moi vous dire que c’est stupide. Grosso modo, voilà un groupe qui a sorti 5 albums en 7 ou 8 ans. Entre-temps, ils ont fait des tournées, sorti des B-sides, etc. Je trouve que la presse a toujours été injuste de les associer à des glandeurs. Regarde leur discographie, regarde sur combien de temps elle s’étale et fais le calcul, merde. Si on parle musique, certains de leurs morceaux avaient aussi un côté laidback qui se rapprochait d’une certaine forme de « quality music ». Pavement était très loin de faire de l’Antifolk paresseux. C’est pas parce que ces mecs avaient des tronches à livrer des pizzas ou que leur LP’s pourraient être réédités sur Burger records qu’on doit les considérer comme des feignasses. C’est pareil pour nous. Ou pour Parquet Courts. Je vois ici et là qu’on commence à leur coller une image de nouveau Pavement et c’est faux. Archi-faux. Eux aussi sont hyperproductifs et tournent énormément. On ne veut surtout pas être associés à un phénomène slacker, ni décrits à l’inverse comme un groupe super-productif.

« Un album ne doit pas excéder 33 ou 34 minutes. »

Ce qui ressort à l’écoute de « Dusk », c’est votre goût du songwriting et votre fascination pour les 60’s. Là-dessus, tu es forcément d’accord.

James Hoare : C’est difficile à dire. On ne fait évidemment pas de l’EDM, mais on n’est pas pour autant passéistes. « Dusk » est différent de ce qu’on a fait jusque-là. C’est dur à expliquer. Il y a quelques morceaux qui sonnent à peu près comme des morceaux de « Ultimate painting » et « Green lanes », nos deux premiers albums. Ever side ou Good fair par exemple. Sinon, il dure à peine 30 minutes. On a tout enregistré dans mon appartement, avec du matériel analogique. C’est important pour moi, le matériel. J’ai passé une grande partie de ma vie à chiner, chercher, pour trouver tout ça. Des claviers vintage, des orgues, etc… Ça fait partie du son du groupe. Au final on se retrouve avec 10 morceaux assez courts. Avec le développement d’internet et des smartphones, les gens ont des capacités de concentration de plus en plus limitées. On n’est plus en 1973 du temps de Pink Floyd. Tu sais, cette période des triples albums live, ce genre de trucs qui paraissent délirants aujourd’hui. De manière générale, un album ne doit pas à mes yeux excéder 33 ou 34 minutes. C’est suffisant, et ça évite de se lasser. J’ai aucun problème à écouter un LP qui ne fait que 25 minutes. Si je l’aime, je vais l’écouter encore et encore et encore. Alors qu’un album de 70 minutes…

Ce nouvel LP semble quand même moins influencé par le Velvet Underground que les précédents. Il a même un côté bucolique.

James Hoare : Peut-être, oui, mais c’est dur à dire pour nous. C’est probablement dû aux sonorités des guitares.

Jack Cooper : je crois qu’après deux albums on a bizarrement déjà fait le tour de certains sons. Ca pourrait devenir une zone de confort. Je crois que la pop, ou n’importe quelle forme d’art découle d’un rapport direct avec le process de fabrication. Être artiste, c’est aussi remettre en cause ce process, savoir se bousculer. Avec ce nouvel LP, on a supprimé de tout ce qui pouvait parasiter notre façon de bosser, en se focalisant sur les aspects positifs du groupe. Au final, c’est certainement ce qui donne à « Dusk » son côté positif, presque apaisé.

Désolé d’insister sur les références du passé, mais la pochette rappelle énormément celle du « Fifth Dimension » des Byrds.

James Hoare : Oui, c’était une volonté spécifique. Pour les pochettes des deux précédents, on avait bossé avec un mec qu’on connaissait au Texas. Là, on a rapidement décidé de retravailler mais en expliquant qu’on voulait une photo et une référence explicite aux Byrds.

Cette fascination pour les 60’s, vos collègues (The Liminanas, Jacco Gardner, …) du label Trouble in Mind l’ont également.

Jack Cooper : Les arts continuent. La photo, la musique, le cinéma. Les technologies ont été développées et ont atteint leurs sommets pendant les années 60-70. Le nier serait stupide. Si tu cherches, tu vas avoir beaucoup de mal à trouver un ingénieur du son ou un photographe qui te dira que le matériel numérique est meilleur que le matos analogique. Bien sûr que le digital est plus pratique que l’analogique, que c’est plus pratique, etc. Mais ces arguments ne permettent pas du tout de dire que c’est meilleur. Ce serait même une sacré connerie de dire ça si tu veux mon avis. Le son analogique est plus concret, plus vrai. Et ça fait du bien dans une société où on va dans une direction opposée. Avec internet, le monde est de plus en plus fragmenté et devient barge. À ton avis pourquoi des artistes nés dans les années 60 ou 70 veulent revenir vers ce son ? Juste parce qu’il sonne plus vrai, moins froid.

« La musique des 70’s est atroce. Et celle des 80’s vraiment pas terrible. Duran Duran ? De la merde. »

James Hoare : Sans même parler de technologie, le fait qu’on soit fascinés musicalement par cette période est assez normale. L’âge d’or des sixties a une explication toute simple : le rock and roll est arrivé au milieu des années 50, il a grandit ensuite extrêmement vite. Au milieu des sixties, il était arrivé à maturité. En gros, de 54 à 69, c’est l’histoire qui s’écrit. Tout le rock’n’roll est là. Lester Bangs disait que le rock était fini depuis le début des années 70. Personnellement, je n’aime pas trop la musique des seventies. Bien sûr, il y a des exceptions. J’adore le krautrock, j’adore Neil Young. Mais j’ai le même avis que Bangs. Pour moi le rock est mort en 70. Tout ce qui se fait de mieux avait déjà été fait : les Beatles, le Velvet Underground, les Beach Boys. Tous ces groupes se sont séparés. Ou alors ils ont continué en faisant moins bien. Ensuite on a produit différemment, on a enregistré des sons nouveaux. Petit à petit on a appliqué au rock de nouvelles techniques de production. C’est cool, mais le rock n’est jamais allé plus loin qu’au niveau où il était en 68-69. Ensuite, les mecs ont essayé d’autres choses pour se renouveler, Neu !, Kraftwerk ou « Trans » de Neil Young par exemple. Marc Bolan c’était cool, mais tu as aussi tellement de trucs sans intérêts dans les 70’s. Comme les Bay City Rollers. Pour moi, la musique des 70’s est atroce. Et celle des 80’s vraiment pas terrible. Plus pop. Avec des effets électroniques. Mais au final, ça fonctionnait vraiment rarement. Duran Duran ? De la merde.

Jack Cooper : C’est aussi pour ça qu’un mouvement comme le punk est apparu. Pour retrouver un peu de la fraîcheur du début des 60’s et lutter contre toute les merdes ambiantes. C’était le retour de l’amateurisme dans le bon sens du terme.

Autre taré des sixties : Jack White. Vous avez enregistré un live pour son label Third Man records. Quelles relations avez-vous avec lui ? Il a vraiment perdu le Mojo depuis quelques années.

Jack Cooper : On a été invités pour enregistrer ce live. Il possède un énorme complexe à Nashville. Même si aucun de nous deux n’est un gros fan des White Stripes, on a évidemment énormément de respect pour Jack White. C’est assez fascinant de voir le souci du détail qu’il peut avoir sur tous ces équipements. C’est un passionné de musique, un vrai passionné. Et ça ne peut qu’inspirer. T’es obligé de faire preuve de décence quand tu parles de ce mec. En ayant atteint le niveau qu’ont atteint les White Stripes, je me demande même comment il fait pour conserver ce degré d’implication dans la musique. Maintenir la qualité, c’est quasiment impossible. Même Bob Dylan a eu ses pics, des périodes de hauts et de bas. Même les plus grands ont eu un âge d’or qui n’a pas duré. 

Ultimate Painting // Dusk // Trouble in Mind
http://ultimatepainting.tumblr.com/

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