Alors que quelques uns s'excitent encore sur l'énième conseil d'administration d'un groupe qui n'a pas sorti un single valable depuis quarante piges, un énergumène californien propulsé par des fuzz en pagaille s'acharne à reprendre un vieux train en marche. Comme au temps des chemises à jabots, le petit Ty Segall vient de se faire l'instigateur de trois albums en quelques mois. Entre le travail à la chaîne, les promenades du chien et les courses à beaufland, il a fallu du temps pour se pencher sur son dernier-né, « Twins ». Un temps pour formuler une vitale question : « Est-ce bien raisonnable pour un seul homme ? »

Difficile de savoir comment Ty Segall gère ses tâches ménagères, sa vie de couple et ses réseaux sociaux mais, à voir sa récente discographie (« Slaughterhouse » et « Hair«  avec White Fence), on tient peut-être là l’employé rock du mois, voire de l’année. Pas tant pour son application ni son attitude au boulot, plus sûrement pour son génie du pointage. En gros, le gars fait la nique aux néo-retardataires futuristes dont l’exercice consiste à mettre trois ans, 24 sodomies et 665 masturbations pour accoucher d’un single en carton. Ce qui est, en revanche, certain, c’est que pour californien qu’il soit, Ty Segall n’a pas dû beaucoup voir le soleil ces derniers mois, et s’il continue à refuser de se ménager (voir sa reprise pas vraiment fluette du Femme Fatale), son teint déjà bien pâlichon va ressembler à une diarrhée d’asperges. Peut-être même qu’un jour, une vidéo le montrera tombant raide pour avoir planté son jack dans le rectum étoilé de Roky Erickson. Qui sait même si, à l’orée de 2013, atteint d’un infâme lumbago, Ty Segall n’entamera pas une carrière de bluesman, donnant des concerts pépère sur un rocking-chair au Trabendo ?

Quoi de neuf alors, Mister Segall ? Épluchant le tracklisting du très jaunasse et vinylesque « Twins » (You’re the doctor ; Ghost ; Who are you ; There is no tomorrow), on peut se demander si, niveau moral et santé mentale, le petit diable est au top. Pour tout dire, cette crainte va se confirmer au niveau fréquence sonique. Car, les plus informés le savent, Ty Segall a de lourds problèmes psychiques : cas clinique atteint du syndrome viral cette-époque-n’est-pas-la-mienne, cet amoureux de la fuzz est, lors d’éveils musicaux tenus secrets, scruté par une horde de médecins littéralement sans voix devant la dextérité du type pour martyriser bois, cordes et tout ce qui lui passe sous la main. Évidemment, un tel boucan ne serait rien si il n’était accompagné d’échos paranoïaques et autres feulements aigus de l’intensité d’une crèche sous speed.

The Shining

Comme un bon bilan de santé avant les fêtes, la dernière crise de foi du gars Segall débute par l’excellent manifeste fédérateur Thank God for the Sinners. Le genre de profanation gorgée de reverb comme seul ce chien fou sait les prescrire. Dans la foulée, l’angelot de San Francisco ouvre son cœur avec un scalpel bien plus tranchant que celui d’un barbier filmé par Burton (You’re the doctor). La défouraille qui suit, Tell me what’s inside your heart, pourrait être branchée sur un pacemaker Nuggets au voltage démesuré. S’ensuit le martial The Hill qui, propulsé par un riff tronçonné et sur fond de vocalises de la part œstrogène de Thee Oh Sees, donne presque envie de se taper un bang et d’enfiler un ours épileptique. Bref, au terme de l’explosive face A, c’est le corps vidé, les circuits revigorés, que l’on s’inquiète de savoir à quand remonte une pareille érection et une telle atomisation des neurones.

Fatalement, dès l’entame de la Face B, le patient Segall semble comme diminué par trop d’exercice. La rythmique s’alourdit, la ferraille retombe dans les travers caverneux d’alors, et la voix de Segall paraît anesthésiée par une injection de barbituriques. Résultat : cauchemars, réveils en pleine nuit et flash de jumeaux au fond du couloir. Comme un remake de Shining, on traverse là les conduits du crâne de Ty Segall. À un moment, si tant est qu’on soit capable de mesurer le gouffre d’un tel abandon, le petit diable retrouve assez de jugement pour se réveiller en sursaut et lacérer ses sangles (Handglams). Mais, au bout du rouleau, fuyant la horde de médecins qui le poursuit (Who are you), l’angelot californien désespère de trouver la sortie… La lumière scintillera d’une vielle acoustique abandonnée là, par on ne sait quel hippie freak. Segall s’épanche alors avec la grâce de celui qui, observant la vie normale, voudrait se défenestrer (Gold on the Shore). Titillé par ces accords déglingués, Neil Young, en train de converser à quelques cellules de là avec Danny Whitten, défoncera sa porte pour prêter ses lancinantes distorsions et mettre un barouf d’honneur au ravageur There is No Tomorrow.

Bilan : en un peu plus de trente minutes d’une consultation à deux paquets de clopes, Ty Segall vient d’offrir son meilleur bulletin de santé à ce jour. Dans un monde pas fermé pour ravalement de façade, sa galette s’inviterait en famille, sous le sapin, entre deux vieilles soupes réchauffées.

Ty Segall // « Twins » // Drag City (Module)

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