Dans la catégorie des one-man band qui font du bien aux cages à cérumen, quelques énergumènes sautent immédiatement à l'esprit. Citons au débotté le Neil Hannon des débuts, Colin Stetson ou plus récemment Jessica93. Probable qu'il faille dans quelques temps ajouter un autre énergumène: Max-Antoine Le Corre, leader ‘’un-homme-groupe’’ de Tropical Horses, un projet low-fi et bricolo mais à cheval sur quelques principes….

Quatre ans après ‘’Stand on the beach’’, premier EP jeté négligemment sur Bandcamp, Tropical Horses sort donc de sa sacoche l’album « Mirador », premier LP droit dans ses bottes qui mérite plus qu’un petit arrêt aux stands. On peut donc être né à Lorient, refuser l’embrigadement du bagad local, puis partir faire ses études à Rennes, ne pas finir vendeur de galettes-saucisses (#PorteOuverte) et terminer à Paris sans se gaver d’hamburgers bio à 0,2 % de smic l’unité. Pardonnez les clichés faciles et l’approximation sur le prix du burger, mais la vie est formidable. La preuve, tout le monde peut s’en sortir. Même un provincial. (#JePrendsLaPorte)

Boulimique de sons, Max-Antoine a même un temps exercé l’activité de disquaire. Mais si, rappelle-toi, le mec qui vend des vinyles à 25-30 euros en bas de chez toi. Ben c’était peut-être lui. Fasciné par Michael Gira de Swans sans pour autant reconnaître son influence sur sa musique, le lorientais étonne d’abord sur scène, et ensuite pour son approche de l’enregistrement en studio. Max ‘’Spector’’ Antoine a composé son disque sur le logiciel le plus oecuménique au monde : Garageband. Le résultat ? ‘’Mirador’’, un album sonique et délirant qui sonne tout sauf Bricorama. Leroy-Merlin à la rigueur, tant il se révèle enchanteur pour qui goûte le son de la roulette chez le dentiste. En attendant l’apparition de l’étiquette « Shoegaze breton » dans les bacs à disque, c’est parti pour une partie de ping pong pour parler de ce disque qui doit son existence à une nouvelle sainte trinité de labels : Anywave, Montagne Sacrée, et Balades Sonores. On les bénit au passage.

(C) Astrid Karoual
(C) Astrid Karoual

GONZAÏ : Bonjour Max-Antoine. Quel est ton numéro de matricule?

Max-Antoine Le Corre : Je viens d’un peu nulle part. J’ai jamais vraiment eu réellement l’intention de faire de la musique. Quand j’étais à la fac, Radio Campus avait organisé un concours. Un truc assez simple. Les participants devaient piocher dans une banque de données de sons et en faire une création sonore. Je me suis lancé et ça s’est bien passé même si je n’ai pas gagné. A l’époque, j’enregistrais déjà de nombreux sons en extérieur. Je me suis mis à creuser un peu les logiciels. J’écoutais beaucoup Animal Collective et ça m’a sûrement un peu influencé. Les musiques répétitives, également, une de mes grandes passions. Philip Glass, Steve Reich, d’autres. J’ai fini par passer mes morceaux en soirée et ça ne choquait personne. J’ai continué, histoire de voir ce que ça pouvait donner.

« J’ai fait les voix avec le micro du Mac pour pas emmerder mon coloc ».

C’est assez éloigné de tes études de cinéma et de communication.

Pas tant que ça, car je fais moi-même mes clips. Je vois la musique comme la possibilité de réunir plusieurs choses. Mes liens avec le cinéma sont plus étroits que ceux que j’entretiens avec la musique, mais c’est plus facile de se faire des potes dans une salle de concert en étant un peu bourré que dans une salle de ciné en mangeant du popcorn. En plus mon colocataire est critique ciné.

Tu es né à Lorient. Le fait d’être breton a-t-il eu une incidence sur ta musique ?

Je ne crois pas. Mais j’ai fait mes études à Rennes, et ça a évidemment été fondamental dans mon parcours. C’est la ville des Transmusicales, et les rennais ont un rapport assez sérieux à la musique. On n’en fait pas pour déconner. C’est une sorte de temple où il s’est passé des trucs forts, comme le premier concert de Nirvana en France, Moondog, Fever Ray, etc… A l’époque, c’était passionnant mais les riverains ont peu à peu pris le pouvoir, et j’ai l’impression que Rennes a fini par devenir une ville aussi chiante que les autres. En tout cas pas attirante, car de nombreux bars ont fermés depuis.

« Et j’ai même fait un concert dans mes toilettes »

A quel moment as-tu commencé à démarcher les labels pour signer?

Aucun. Je m’en fous. Pas par arrogance, mais en 2012, je pensais qu’il fallait sortir mes premiers EP (‘’Stand on the beach’’ et ‘’Don’t stand on the beach’’) sur Bandcamp. J’ai jamais imaginé que ma musique puisse plaire à un label. Donc j’ai balancé tout ça à l’arrache, et j’ai eu des retours, assez nombreux mais qui sont arrivés très progressivement. Et tant mieux. Ca m’a permis de faire pas mal de concerts pendant toutes ces années. J’en ai même fait un dans des toilettes. J’ai appris à tenir des gens, à maîtriser la dialectique du concert. Il m’est arrivé de me prendre des méchantes tôles aussi.

Ton plus mauvais souvenir?

Le point éphémère. J’adore ce lieu à Paris, mais là, ça n’avait pas marché. Je faisais la première partie de Black Bananas, la meuf du mec de Royal trux. Elle était complètement allumée. Ca sentait la drogue et le botox de partout. Un mannequin ravagé qui ne te donne pas envie de faire de la musique pendant 20 ans. J’ai pas la même vie, je bois du chocolat au lait. Ma période de débauche est passée. Mes derniers concerts de cette époque étaient assez pénibles car j’avais parfois l’impression de m’autoparodier sur scène. C’est ce qui guette les mecs qui jouent souvent. Et là, tu perds l’impact sur le public et tu mérites qu’on te crache à la gueule.

« Et puis j’ai aussi un attaché de presse au tarif RSA »

Sur quel matériel as-tu enregistré  »Mirador »?

Je fais tout sur mon Mac. J’ai une carte son, j’utilise Garageband. J’enregistre le morceau, je fais le clavier, les voix. Je fais les voix avec le micro du Mac, pour pas emmerder mon coloc et les voisins. Au départ, c’était une contrainte, et il se trouve que j’aime ce son assez granuleux. Un truc avec beaucoup de reverb’. On se croirait dans une grotte, mais avec la clim’ et une baie vitrée creusée dans la roche. C’est une grotte aérée. Une fois l’album enregistré, je l’ai passé à Anthony de Princesse. Il a produit l’album. En travaillant sur des petits détails, de stéréo, de textures, d’éléments. Il rajoute des choses et peut aussi en enlever pour que le résultat soit bien équilibré. […] Je voulais un œil extérieur, et que ce quelqu’un soit aux antipodes des codes de ma musique. Si j’avais pu, j’aurais même pris un type qui fait du dub. J’ai voulu casser mes codes. A moindre coût. Parce que ce disque n’a rien coûté. Zéro euro. Personne n’a été payé. Ni la graphiste, ni Anthony. J’ai aussi un attaché de presse au tarif RSA… J’ai passé deux jours dans un studio qu’on m’avait gracieusement prêté. Et je me suis vite rendu compte que je ne suis pas fait pour ça. Quand on manque de temps, il faut y arriver avec des morceaux construits, définis, terminés. Alors que j’ai besoin de tourner des boutons, de revenir sur un titre plusieurs mois après, etc. J’ai un rapport très bricolo et assez physique à la composition. Au final, l’enregistrement s’est étalé sur une année. Je suis assez lent. J’en ai profité pour sortir un 45 tours avec Albinos Congo.

 »Mirador », c’est un hommage à Tarnation ou à Johnny Hallyday?

Ni l’un ni l’autre. Je savais pour Tarnation mais pas pour Johnny dont j’aime beaucoup la première période et Poème sur la septième. C’est un immense morceau écolo sorti quelques années avant le naufrage de l’Amoco Cadiz.

Les titres de tes morceaux sont très sombres.

Au vu de ce qu’on vit, et encore plus depuis les événements de novembre dernier, c’est compliqué d’être cool et positif, non ? Et puis je suis d’une génération qui a pas mal fréquenté les soirées techno gavées de drogues. Ca n’aide pas forcément à optimiser le monde. On a souvent un esprit très métallique, hyper souterrain. On aime ou on a aimé se faire mal. J’ai aucune envie d’écrire des morceaux d’amour. Notre génération est à la fois hyper cool et complètement à côté de la plaque ; y’a plein de self made men dans le lot, mais je crains que pas mal d’entre nous ne terminent SDF.

Tropical Horses // Mirador // Coproduction Anywave / Montagne sacrée / Balades sonores

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