C'est pendant l'un de ces dimanches de solitude que j'ai appris que les héros peuvent parfois revenir. "No more heroes" des Stranglers en tête avec le moral dans les chaussettes, ce fut finalement le "Happy Alpha Air" des Toxic Kiss qui devait me regonfler pour longtemps et me faire retrouver mes... 17 ans.

De quel droit, à l’époque et du haut de mes 17 ans, croyais-je être le seul sur Terre à écouter les Stranglers ? Dans ma petite chambre de lycéen, cramponné à mes études, avec pour seule préoccupation d’obtenir la sacro-sainte moyenne, sur l’air de Walk on by ou de Let me down easy. Petite vie dérisoire de branlottin à la tête de chou façonnée à l’Aural Sculpture et persuadé que les héros, ben, ça n’existerait plus jamais. Le temps a passé, mais suis-je devenu pour autant moins naïf ? That’s the question. J’en ai eu la preuve il n’y a pas si longtemps. C’était un dimanche. Un de ces dimanches où absolument rien ne se passe et où tout te gonfle, envie de rien, prostré tel Hamlet devant ses œufs au plat et ses biscottes sans sel, prenant la pose pas très inspirée. Définitivement « not to be », quoi. La copine au turbin, les gamins chez leur mère, les chats endormis comme des feignasses, la machine à laver qui fait sa pétasse avec son tambour déglingué, les disques à chroniquer qui s’entassent sur le burlingue et moi suspendu au crochet de mon ennui, à plusieurs centaines de mètres au-dessus du vide.

Alors, plutôt que de cultiver les fleurs d’un spleen baudelairien et dans un ultime sursaut de dignité, je décidai d’enfourner « Happy Alpha Air » dans la platine, histoire de voir, un peu résigné, ce que ce truc allait pouvoir m’offrir. A première vue, comme ça, le nom de Toxic Kiss m’évoquait l’un de ces groupes de hard FM allemand. J’imaginais cinq types chevelus, visages grimés de couleurs écolos, jaune et vert, prenant la pose en costumes à paillettes pour vociférer des mélodies suintantes à la gloire de Greenpeace et du shampooing aux herbes, une Durex king size en guise de mediator et un batteur prenant sa queue de Scorpion gluante pour une baguette. Fausse idée, évidemment. Je commençai à écouter, studieusement, les six titres de ce nouvel album de ces Lorrains pure souche, me faisant intérieurement le constat dérisoire “ ça, c’est un bon petit groupe ”. Mais assez pour en faire une chronique.

Alors je cherchai le pourquoi du comment, avant de finalement trouver : un bon petit groupe c’est tout d’abord de l’énergie, de la cohésion et des talents personnels qui se révèlent sur des mélodies catchy. Une batterie qui cogne invariablement comme un cœur en surdose d’adrénaline, des basses omniprésentes menant la rythmique à un train d’enfer, une guitare écorchée vive et des voix surtout, bien posées, sûres dans leur engagement et jamais dévissées, avec un accent anglais quasi parfait. J’avoue être tombé bêtement amoureux de la voix de Lætitia Vançon, avec son vibrato qui part dans les hautes sphères et prend sa pleine mesure dans Antoine Blue, mais aussi le groove obsessionnel qu’elle dégage dans Journey’s End, le palpitant à 2000 à l’heure. Un bon groupe c’est aussi un son, un son que Sam Ramon – chroniqueur décoiffé officiant ici-même – peaufine  avec les moyens du bord et dont il parvient à restituer la quintessence même du groupe. Bon comme un vieux Stranglers que j’écoutais dans ma piaule et, plus tard, dans les pubs du nord la Bretagne, où je m’envoyais des Kriek en matant les gonzesses du bout de ma queue de billard anglais. Puis il y a Today, mélodie d’un peu plus de deux minutes, un modèle du genre qui reste accroché aux tripes et au cœur pendant des jours. Et j’ai compris ce que voulait dire ce Toxic Kiss, salement embrassé par les arpèges empoisonnés d’amour des entrelacs de guitares. Je me suis repassé Today en boucle tout ce dimanche où je me croyais à jamais perdu dans le labyrinthe de l’ennui. Puis j’ai ressassé mes références pour les recoller à ce que j’avais entendu. Les Stranglers bien entendu, mais aussi le côté punchy du Cure des débuts, le grain de folie des B52’s et l’underground garage des Fuzztones. Non, même avec mes gros sabots dondaine de quarantenaire, je ne suis jamais passé par la Lorraine. Pour moi, Nancy c’était Platini, la mirabelle, la quiche, et ça s’arrêtait là. Enfin, ça s’arrêtait là jusqu’à ce que j’entende Toxic Kiss, c’était un dimanche mortel sauvé par de nouveaux héros qui devaient me regonfler pour quelques temps encore. Avec leur « Happy Alpha Air », ces gars là m’avaient simplement redonné la sensation de retrouver le bonheur naïf de mes 17 ans.

Toxic Kiss // Happy Alpha Air // Novalis Impulse 2011
http://toxickiss.bandcamp.com/

Toxic Kiss – Mulberry Tree from Bertrand FRITSCH on Vimeo.

2 commentaires

  1. De bons morceaux, un chanteur français qui tient la route (pas si fréquent on admettra), pas de partie musicale bêtement démonstrative pour faire « ambiance » et… deux chefs d’oeuvre : Today et Journey’s end. Franchement, demander plus c’est croire au père Noël et à l’immaculée conception. Mais pour les plus réalistes d’entre nous, il y a ce disque, ici et maintenant. Today, single de l’année, d’aussi loin que je suis concerné comme ils disent.

  2. D’accord avec toi Syd, bien entendu. Il y a aussi le fait qu’on ressent à l’écoute de ce nouvel album, une plus grande maîtrise et une plus grande cohésion d’ensemble qu’avant … la maturité sans doute. La captation en live par contre … bof

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