Tous les ans, c’est la même blague : des milliers de journalistes musicaux se réunissent secrètement pour élire ces meilleurs albums que, tels des Van Gogh traumatisés par trop de sanglantes chroniques à base d’adjectifs du Larousse, ils n’ont écoutés que d’une oreille jusqu’à la piste 3. Cette fois, il était trop tentant de pousser le bouchon encore plus loin grâce à un top vraiment inédit : celui des disques en .zip qu’on n’avait jusque-là jamais pris le temps d’ouvrir.

Partout dans le monde, là où guerres et famines n’empêchent pas les habitants d’avoir accès à des nouvelles aussi importantes que l’internement de Kanye West en hip-hopital psychiatrique, on sait bien que le journalisme musical est une bataille de tous les instants.

Il faut non seulement parvenir à écouter des disques sans être jugé par vos voisins de bureau, savoir regarder au-delà de cette ignoble pochette pour déceler le potentiel de ce nouveau groupe krautrock venu de Caen, mais également répondre aux sollicitations permanentes d’attachés de presse qui vous confondent avec un autre « influenceur » analphabète et, depuis quelque temps, également composer avec l’évolution du monde qui veut qu’on envoie désormais plus facilement aux journalistes des liens d’écoute par WeTransfer afin d’économiser l’envoi desdits disques par la poste ; ce qui soit dit en passant est une très bonne chose quand on sait que 93,4 % d’entre eux finissent de toute façon à la poubelle ou en frisbee pour open space. Arrivé à la fin de ce très long paragraphe, vous aurez évidemment compris que le combat de notre profession n’est pas de sauver des enfants de la dictature syrienne, et encore moins d’obtenir le Prix Pulitzer grâce à des reportages où l’on aurait risqué notre iPhone 6 gris métallisé pour faire éclater la vérité au grand jour.

Il n’empêche : chaque jour ce sont des dizaines d’archives en .zip (et plus rarement en .rar, ah ah blague de geek) qui atterrissent sur nos disques durs tels des feuilles mortes que personne ne ramassera. On ne fera pas l’offense à Jacques Prévert de le citer pour justifier l’intérêt de ce papier, mais toutes ces archives jamais décompressées représentent, quand vient l’heure du ménage de fin d’année, une somme de kilobits tellement importante qu’il aurait été dommage de ne pas tenter, une dernière fois, de simplement faire notre boulot.

Afin que ces albums trouvent peut-être d’heureux propriétaires et que les attachés de presse cités plus haut continuent de saturer nos ordinateurs avec des fichiers MP3 prêts à être parqués au chenil de l’oubli, voici les dix archives .zip de l’an 2016. Que cela vous aide à décompresser avant l’écoute des « 10 000 titres qu’il fallait écouter » compilés par les rats de laboratoire de Pitchfork ©.

1. wetransfer-2cb2b9 : Marie Mathématiques – « Tous nos lendemains dès aujourd’hui »

Publié en septembre dernier chez les Toulousains de 2000 Records (Laure Briard, Julien Gasc, etc.), le disque vintage se pose là, non seulement pour sa pochette pastiche de Ma sorcière bien aimée, mais aussi pour la musique qu’on y entend, mélange des Limiñanas (pour la batterie binaire et préhistorique), Gainsbourg (pour le côté jazz rive gauche) et garage low-fi 60’s chanté par Jacqueline Taieb. Plus rétro tu meurs, mais c’est évidemment plus passionnant que toutes les faces B de Cléa Vincent (ça marche aussi pour les faces A).

2. wetransfer-34b2dx9 : Marion Cousin et Gaspar Claus – « Jo estava que m’abrasava »

Dès le deuxième dézippage, ça devient plus complexe. Aucune musique à l’horizon dans les sous-dossiers, mais l’étonnante présence du… plan promotionnel. Où l’on apprend notamment que les « cibles médias » du projet sont FIP, France Inter, Le Monde, À Nous Paris et Les Inrocks. Passons sur le fait que le disque a été composé avec « des chants de travail et romances de Minorque et de Majorque » (c’est marqué sur la pochette.jpg) ; c’est vraiment à se demander pourquoi on a absolument tenu à ce qu’on écoute ce disque. Du coup, on vous laisse juger par vous-même. Après tout, il n’y a pas de raison qu’on soit les seuls à bosser.

3. wetransfer-bd492dftY : « Hammer-horror-classic-themes-1958-1974 »

Certains font des compilations pour se mettre un paquet de pognon sous l’aisselle, d’autres, comme l’asso Bordeaux Rock, préfère dilapider l’argent qu’ils n’ont pas dans des rétrospectives audio des meilleures B.O. de films d’horreur. Disons-le : l’idée est absolument géniale et les musiques sélectionnées (Dracula, Captain Kronos, The Gorgon, etc.) assez flippantes pour servir de générique à votre horrible réveillon en compagnie de gens que vous détestez tout en faisant semblant de vous intéresser à leurs vies déprimantes ainsi qu’à leurs étagères Ikea pleine de B.O.F. mille fois moins délirantes que celle dont il est question ici (au hasard : Le Grand Bleu).

4. wetransfer-td4d3fhS : Exploded View 

A posteriori, c’est la preuve qu’on peut publier un album dénué de toute chanson et malgré ce vide abyssal réussir à passionner environ 250 péquenots parisiens ravis d’écouter une chanteuse sous Valium (Anika) imitant le bruit de la bombe Air Wick parfum Lavande avec un batteur échappé des Tambours du Bronx. N’est pas Nico qui veut.

5. wetransfer-tt67rtd3 : TOTORRO – « Come to Mexico »

La biographie dit de Totorro qu’il est « un groupe unique, difficile à catégoriser, qui offre des repères, certes, mais des sensations et des émotions qu’on n’a jamais assemblées de cette façon. Une musique instrumentale qui en dit long, où chaque épisode raconte des choses qui rendent les mots inutiles. » Bon, ben du coup on va tous gagner du temps en disant que « Come to Mexico » fait beaucoup penser à Tortoise, à NLF3, au post rock de la fin des années 1990 et à tous ces concerts où l’on a pensé à sa liste de courses au bout du troisième morceau.

6. wetransfer-ennuit64pianotd3 : Yann_Tiersen_EUSA_mp3

Post-it sur le frigo : penser à écouter le nouvel album mélancolique de celui qui ne voulait plus qu’on lui parle d’Amélie Poulain. Post-it sur le frigo : penser à écouter le nouvel album mélancolique de celui qui ne voulait plus qu’on lui parle d’Amélie Poulain. Bon, c’est vrai que c’est beau ; on a presque envie qu’il pleuve pour pouvoir coller le nez au carreau de la fenêtre comme dans un téléfilm allemand. Idéal pour accompagner vos mots croisés dans votre maison secondaire sur l’île de Ouessant ; celle où le bois est toujours trop mouillé pour faire un bon feu de cheminée, PUTAIN.

7. wetransfer-xtp5tdpod4 : C. Duncan – « The Midnight Sun »

Okay, là c’est de la triche, j’ai énormément écouté ce disque au cours des derniers mois mais n’ai point trouvé le temps d’en faire l’écho. L’archétype parfait de l’album qui mériterait qu’on se rende sur la fiche Wikipedia pour trouver des choses intelligentes à en dire, mais qui, à l’écoute, dévoile une espèce de pop électronique gazeuse absolument passionnante composée par un mec qu’on soupçonne d’avoir passé beaucoup de temps à Berlin (raté, il est écossais). « The Midnight Sun » est d’autant plus fascinant que C. Duncan est également capable, sur la fin du disque, d’un morceau au niveau du « Some Other Ones » de Mac DeMarco. L’adjectif « aérien » prend ici toute sa pleine mesure.

8. wetransfer-da3871 : Le SuperHomard – « Maple Key »

Le label Pop Club, basé dans les Alpes depuis 2012, nous envoie chacune de ses sorties sans qu’on puisse, pour une raison qu’on continue d’ignorer, parvenir à les écouter. Il y a toujours quelque chose d’autre à faire, un autre disque à écouter, des impôts à payer (« c’est une occupation du temps », disait Houellebecq) et c’est vraisemblablement une belle injustice puisqu’un disque comme le « Maple Key » du Superhomard, sans rien révolutionner, s’inscrit dans la droite lignée de tout ce qu’on a aimé chez Tricatel au cours des années 1990 puis 2000. L’ombre de Burgalat n’est jamais loin et l’objet devrait ravir tous les mélomanes pour qui la pop est aussi affaire de complet-veston. Résolution 2017 : écouter un peu plus les disques du Pop Club.

9. wetransfer-tufy45jdr : La Jungle – « II »

Second tour de passe-passe avec un disque trois fois reçu au bureau et dont le malheur aura été que chacune des trois copies a été perdue au gré des voyages. C’est bien dommage du reste, car La Jungle condense en cinq titres toute la folie qui manque à tant de groupes instrumentaux qui ont passé trop de temps à lire New Noise pour composer des musiques moins codifiées qu’une notice de télévision à écran plasma. Fou, kraut, belge dans l’esprit (libre) et foncièrement atteint de la maladie de Parkinson, ce disque secoue plus que l’intégrale de Phil Collins.

10. wetransfer-p3a5r3i7: Alister – « Mouvement perpétuel »

Une fois passés les oublis involontaires (sic), restent enfin les silences conscients. Et tous ces albums de personnes qu’on a tant aimées, mais qu’on refuse de suivre par conviction, de peur d’être déçu, parce que le temps, en musique, fait souvent plus de dégâts que de miracles. Tout cela pour dire que le « Mouvement perpétuel » d’Alister, sorti cette année, est resté coincé dans le carton d’emballage. Appelons ça de la fainéantise, mais il était impossible d’aller au-delà du single Je travaille pour un con. Et c’est hélas toujours le cas.

4 commentaires

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