Il y a six mois sortait le documentaire "The Sound of Belgium" dans un relatif anonymat, avant de se répandre comme une trainée de poudre partout dans le plat pays, et de gagner un certain succès d'estime chez tous les amateurs de musique faite par des ordinateurs, mais aussi de dance music cradingue à écouter avec les doigts.

Quand j’arrive à la gare centrale de Bruxelles, le réalisateur Jozef Devillé vient me chercher, le plus simplement du monde. On ne dirait pas qu’il revient de deux mois en Amérique du Sud, où il a été invité par deux festivals de cinéma documentaire. Projection au Fuse, au Rex et bientôt à la Gaité Lyrique, sortie d’une excellente compilation qui retrace la trajectoire de cette musique bizarre de gens qui n’aiment pas se coucher…. Jozef est assis en face de moi, j’allume ma bière et décapsule le dictaphone pour capter cette bonne histoire belge.

Pour commencer avec The sound of Belgium, est- ce que tu pourrais parler un peu de la naissance du projet ?

J’adore la musique, je connaissais cette musique new beat parce que… moi j’étais petit à l’époque, je sortais pas, mais tout le monde à l’époque connaissait la version commerciale du New Beat. Ca sortait à la télé, à la radio à la fin… tout le monde dansait là dessus, les enfants, les grand-mères, tout le monde. C’était de la musique ridicule. C’est venu seulement après, quand j’ai commencé à acheter des disques vers 15 ans en découvrant les marchés aux puces à Bruxelles, et à l’époque les seuls disques que je recherchais c’était les disques funks et les disques jazz. Mais les vieux trucs, tout le reste c’était pour la poubelle, et c’est comme ça que j’ai récupéré plein de disques disco, des maxis, de la musique pop mais aussi beaucoup de musique techno, il y en avait plein en Belgique, et c’est là que j’ai découvert que dans le New Beat il y a des trucs qui sont incroyablement bons… Et j’adore les documentaires sur la musique électronique, mais c’est très Anglais. Ou bien ils sont pas au courant. Dans tous les cas je suppose qu’ils sont pas au courant qu’il y a quelque chose ailleurs qu’à Londres, Chicago Detroit et New York. Et donc la Belgique était toujours niée. Mais si t’aimes la musique, tu découvres l’histoire derrière. Et je l’ai trouvé assez valable pour en faire un documentaire.

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Sans parler même de clubbing, le documentaire montre qu’il y avait une tradition assez longue de la fête en Belgique ?

Oui, depuis toujours. La Belgique a toujours été bien pour faire la fête. Déjà il y a cent ans les français traversaient la frontière  parce que la bière était meilleure, les prix étaient plus bas, la musique était mieux… Pourquoi ? Parce que la Belgique est beaucoup plus jeune et les pays les plus jeunes  sont, dans beaucoup de cas bien, les pays les plus libéraux avec les phénomènes nouveaux, avec des lois plus ouvertes… et donc les lois ici elles étaient parfaites pour faire la fête ! Il y avait pas d’heure de fermeture, les taxes sur les drogues étaient beaucoup moins fortes (les drogues comme l’alcool et la cigarette par exemple). Ca a toujours été comme ça, c’est seulement depuis, je sais pas, vingt ans que ça diminue, cette tolérance envers les autres.

Pour en venir à la New Beat, du Pop Corn au Boccaccio il y a quand même un monde : est ce que c’est la New Beat qui permet ça ?

C’est à l’époque du New Beat que les clubs ont vraiment explosé. Il y avait plein de petites discothèques, de bars partout – ou de grandes salles avec des orchestres. Le Pop Corn ça a toujours été quelque chose de très underground. Mais il y avait par effectivement le Boccaccio, qu’on appelle le vieux boccaccio, qui était une petite discothèque où on jouait du Pop Corn, mais ça dépendait des jours. Les jours où il y avait le plus du monde, c’était les jours commerciaux, où ils jouaient les tops 50 des radios. Mais après, cette histoire là elle est pas dans le film, ça c’est un exemple assez concret… il y avait une autre boite à côté du Boccaccio, qui marchait super bien le dimanche soir, qui s’appelait Carrera, et là on jouait une musique assez bizarre ; ce qu’on appelait la musique « AB » (de la boite qui s’appelait Ancienne Belgique à Anvers), mais bon, ça dépend, au Carrera on disait la musique de « Dj TC », parce que c’était lui le Dj du Carrera… Bref les gens qui ont fait le Boccaccio, ils ont surtout gagné un pari : investir dans une nouvelle boite construite de A à Z pour faire la fête. Avant c’était toujours un autre bâtiment, une salle de concert ou une ancienne villa qui était reconverti en discothèque. Ici non ; avec le Voccaccio c’était la première fois qu’on a construit un truc immense juste pour faire la discothèque. Et après il y en a des autres qui ont vu que c’était un succès énorme… Et pour la petite histoire; ce sont les patrons du Boccaccio qui ont mis feu à la boite en face, le Carrera. Sans surprise, tout d’un coup il y avait plein de gens dans leur boite…

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Et donc, concrètement, la New Beat, on peut dire que ça commence avec quoi ?

Ca dépend… Pour beaucoup de gens, la musique New Beat, c’est l’époque qui va de 87 à 89. C’est très court, parce qu’après ça a tellement explosé que les gens n’en voulaient plus. C’était trop commercial, ils y touchaient plus. Mais pour les anciens, la New Beat ça commence déjà au début des années 80, je sais pas 83, 84, 85, avec les petites boites comme le Carrera à Gand ou la plus connue, l’Ancienne Belgique à Anvers, où ils ont commencé à jouer ce mix assez bizarre. Un truc new-wave synthétisé d’Allemagne, avec les rythmes de Serge Gainsbourg – Requiem pour un con. Tu peux te dire que ça marche pas ensemble, mais pour beaucoup de gens ça c’était déjà du New Beat. A l’époque, il y avait un truc de Beastie Boys, de Public Enemy, pour les gens c’était pas du hip hop, parce qu’ils connaissaient pas le terme hip hop, c’était New Beat.

Et au delà de la musique, est ce qu’on peut dire qu’il y avait une sous culture New Neat ?

Oui, enfin à l’époque, comme avec le grunge après. Les jeunes ils s’accrochent à la musique qu’ils aiment. Avec le punk, tu pouvais voir quelle musique aimaient les gens. ça c’est fini maintenant. Et la New Beat c’était tellement grand, que la culture, les vêtements, les danses spécifiques… sont venus avec.

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Et au niveau des drogues, est ce qu’il y avait des drogues en particulier qui étaient populaires… C’était important dans le mouvement ?

Je pense que dès le début il y avait des gens qui étaient dans la drogue. Dès le Pop Corn on allait à la pharmacie pour acheter des amphétamines, tu pouvais encore en acheter dans les magasins. Dans la New Beat aussi, je suis sur qu’il y en avait, et la cocaïne ouais ça régnait, chez les dj aussi. Mais je pense qu’en général il y en avait moins aussi, moins que ce qu’on pense. Mais petit à petit il y a eu de plus en plus de drogue qui sont rentrés et c’est là que tu entends comment ça a changé la musique : il y a des amphétamines qui sont plus fortes, l’ecstasy, et ça rend aussi la musique plus dure, plus agressive.

Aujourd’hui, les personnes qui ont pris part à ce mouvement, est ce qu’il se revendiquent, par exemple au même titre que quelqu’un qui aurait été ancien punk, est-ce qu’ils disent :  « j’ai été new beat » ? Je veux dire, est ce que c’était une identité forte ?

Peut-être maintenant oui, ça revient chez les gens qui sortaient, mais pour plein de gens c’était seulement une passade de jeunesse. Maintenant peut-être qu’avec le film, certains l’ont vu et se sont dit « ah oui, c’était ma jeunesse, mais putain c’était quand même important, il y avait un truc qui se passait » alors qu’ils ne s’en étaient pas rendu compte à l’époque.

Et pour en revenir aux clubs : est ce que politiquement, juridiquement, il y a eu un terrain particulièrement favorable ?

Ah non. Les pouvoirs ne sont jamais réceptifs aux mouvements de jeunes. Les lois permettaient que tout ça se passe en Belgique, c’est seulement après, quand on voit qu’un mouvement de jeunesse devient tellement grand que les politiciens commencent à se poser des questions.

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Et c’est pour ça qu’il y a eu ces grandes boites d’ouvertes un peu au milieu de nulle part ?

Ca c’était la tradition des grands cafés, avec les orgues aussi, c’était jamais dans les villes. Si tu vas  en France, les grandes boites connues sont à Paris. En Angleterre aussi, il faut aller à Londres. En Belgique c’était légal, mais on savait qu’il ne fallait pas le faire dans une ville où il y a trop de monde… Et puis en Belgique c’était facile de prendre la voiture, d’aller dans une boite. C’est pour ça aussi qu’elles étaient au milieu de nulle part.

Et donc c’est au moment où le phénomène commence à vraiment se médiatiser que ça commence à péricliter et perdre de sa force? C’est quand ?

C’est assez logique, c’est l’apparition de la première chaîne commerciale en Flandre, VTM ça s’appelait, le premier février 1988. A cette époque là, les chaines nationales ne touchaient pas du tout cette musique là parce que pour eux c’était pas de la musique, c’était fait avec un ordinateur : « tout le monde peut le faire donc c’est pas de la musique ». Mais bref, il y a cette chaine commerciale qui arrive, et pour se distinguer de ces chaines nationales, ils vont sur tous les sujets que la chaine nationale ne touche pas. Donc tout d’un coup ils ont vu qu’il y avait un public pour ce phénomène new beat, pour cette musique là, et c’est comme ça que ce phénomène s’est agrandi, et que les gamins et les grands-parents ont commencé à danser là dessus. Et c’est comme ça qu’on tue une musique, ou un mouvement. C’est le même cas maintenant, quand il y a quelque chose de populaire, c’est chouette mais à partir du moment où les médias sont dessus, c’est fini pour la plupart des gens.

Pour revenir un peu sur les producteurs de cette scène musicale… d’abord peut- on parler d’une scène ?

Oui, oui il y avait un scène. Et c’est pour ça que dans le film j’arrête au milieu des années 90, parce qu’après c’était fini. Bien sû qu’il y a encore plein de  gens qui font la musique, maintenant encore, comme Soulwax, ou plein d’autres… Qui ont de chouettes projets, mais à l’époque il y avait vraiment une scène. Tu peux regarder des films pour vérifier, en France ou en Angleterre cette musique là régnait partout. En Angleterre, j’ai vu un documentaire sur la jungle, où les mecs disaient « on a commencé à faire ça parce qu’on en avait marre de cette musique belge qui régnait dans nos discothèques ».

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Et donc cette scène elle était organisée comment, autour de labels, clubs… ?

Oui, bah c’était tout des petites bandes quoi. Il y avait les bandes d’Anvers, ou les labels, mais c’était pas vraiment organisé. Mais il y avait des rencontres qui se faisaient dans les boites, ou dans les magasins de disques. Et si tu enlèves les boites, il n’y a plus d’endroit social, donc ça fait mourir une scène aussi, comme dans les années 90.

Oui. Et donc cette production, elle a connu une explosion, tu pourrais rappeler ce que ça représente ?

A cette époque là si tu regardes un peu le top 10, à certains moments, il y avait 6 ou 7 sons New Beats qui étaient là dedans. Pile au moment où aucune radio, aucune télé ne jouait cette musique là, donc ça c’est assez incroyable.

Et à ce moment là les producteurs ils vivent ça comment ? Est ce qu’ils se rendent compte de la chose ?

Ah oui, ils se sont rendus compte qu’ils pouvaient faire de l’argent ! C’est pour ça qu’il y a eu plein de crasse, de trucs commerciaux. Même un truc qui n’était pas bien ils en vendaient encore dix mille ou trente mille. Aujourd’hui si t’en vends dix mille t’es numero un pendant six semaines ou six mois peut-être. A l’époque meme un disque qui n’était pas bien, t’en vendais beaucoup et tu gagnais de l’argent. Même les artistes de rock par exemple, qui n’aimaient pas nécessairement cette musique là ils commençaient à fabriquer la musique comme ça parce qu’ils pouvaient gagner plein de fric avec. Alors qu’avec leur musique soi disant beaucoup plus artistique, ils gagnaient que dalle.

Et donc, même au niveau international, est ce qu’on pouvait dire qu’il y avait une certaine fierté à faire partie du « sound of belgium »?

Oui bien sur, chez certains. Il y avait certains groupes qui avaient fait des tournées en France par exemple. Oui, ça rend heureux, ça apporte l’argent, ça nous montre qu’on est capable, même dans un petit pays… Qu’on est capable de produire quelque chose qui est valable pour le reste du monde. Mais la fierté belge ça n’a jamais existé, enfin pas vraiment. Et c’est ce qui est bien en Belgique ; il n’y a pas de chauvinisme comme en France, pas de patriotisme comme aux Etats-Unis, et c’est ça qui nous rend humble d’une certaine façon, c’est ça qui nous rend ouvert aux les autres cultures. Mais c’est ça aussi qui fait que moi, je suis le premier à parler de ce sujet, seulement après vingt-cinq ans. Il n’y a personne d’autre qui ait trouvé une fierté là dedans.

Aujourd’hui, pour toi, qu’est-ce qui se fait de bien en Belgique ?

Bah je sais pas. Il y a eu des trucs individuels que j’aime bien. Soulwax c’est pas mal mais c’est la même chose que la techno du début des années 90;  ils ont juste ajouté une batterie et une basse. Faut pas le dire peut-être, mais dans beaucoup de cas c’est ça. Moi personnellement, maintenant je préfère beaucoup plus la musique qui vient d’Amérique du sud ou d’Afrique, de ce pays qui commencent juste à avoir les moyens d’acheter des ordinateurs en utilisant les sons européens, les sons électroniques, les sons des synthés, et en mélangeant ça avec leurs rythmes à eux Mais il y a pas de son belge aujourd’hui Il y a beaucoup de gens qui sont occupés avec la musique, d’une manière assez intéressante, mais il n’y a plus de mouvement ou quoi que ce soit.

http://watch.tsob.be/
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Projection à la gaîté lyrique le 16 avril

1 commentaire

  1. On trouve plein de très bonnes musiques d’Amérique du Sud ou d’Afrique sur le label Crammed… qui est belge. Vive les Belges !

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